La ville de la Vienne est devenue un des symboles du débat sur l'hébergement de réfugiés dans des zones désertifiées, où ils sont vus à la fois comme une menace et comme une chance.
Trois Français triés sur le volet ont interpellé Manuel Valls sur le plateau de l’émission Des Paroles et des Actes, diffusée par France 2 le 24 septembre. Parmi eux, Romain Bonnet, ouvrier à Loudun et également militant du parti Les Républicains, venu protester contre un «centre d’accueil de demandeurs d’asile qui a été imposé à la population et aux élus locaux». Avec cette intervention, la commune de la Vienne s’est affichée comme l’exemple d’une politique vouée à désengorger Calais en implantant des centres d’hébergement de réfugiés en pleine campagne. Sur place, le projet a bien apporté son lot d’interrogations et ses élans de rejet, exprimés en direct sur France 2: «Les demandeurs d’asile ne pourront pas s'intégrer dans une France du monde rural, durement touchée par la crise.» Mais il a lancé, aussi, des mouvements de soutien et de solidarité.
Ils étaient ainsi jusqu’à vingt personnes, Loudunais de naissance ou d’adoption, à se masser, un jeudi de la mi-septembre, autour des petites tables carrées du Blue Note Café, un bistrot-concert qui fait aussi cave à bière et transfère la scène dans la cour les soirs de beau temps. Devant eux, quelques gâteaux apportés par les participants accompagnent le café servi par la tenancière du bar, qui soutient l’initiative. Tous ont répondu à l’appel lancé à peine 48 heures plus tôt par Hélène, vendeuse en boulangerie, qui s’est improvisée coordinatrice du mouvement sur la page Facebook «OUI au Centre d’accueil de demandeurs d’asile à Loudun». Dans son message de quelques lignes, l’ordre du jour: «Organiser un café avec les réfugiés pour faire connaissance et leur montrer qu’il y a encore un peu de solidarité à Loudun.» Car jusqu’ici, les habitants s’étaient davantage mobilisés pour exprimer leur agacement.
Le centre d’accueil de Loudun fait figure de pilote pour un projet qui sera prochainement amené à se reproduire dans d’autres villes rurales. Selon un document détaillant les propositions d’hébergement révélé par Le Monde, 7.500 places seraient encore inoccupées dans des bâtiments appartenant à l’Etat et autrefois utilisés par l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA). Manuel Valls l’a confirmé sur France 2 en évoquant des «centres Adoma qui pour la plupart vont être rénovés pour accueillir des centres d'hébergements d'urgence». Autant de toits potentiellement disponibles pour les 30.000 réfugiés que la France s’est engagée à accueillir.
La spécificité de cette solution, c’est qu’elle ne demande aucun investissement à la commune: les travaux, l’hébergement et le personnel sont pris en charge par l’État via Adoma, qui gère déjà 150 centres dans toute la France. Au contraire, le centre d’hébergement est présenté comme une chance pour des villes ou villages qui se désertifient. «C’est une configuration qui apporte beaucoup sur le plan économique, estime Claire Jouanny, responsable de la communication d’Adoma. Les villages continuent à vivre, les réfugiés achètent leur baguette à la boulangerie du coin, les enfants sont scolarisés dans les écoles municipales et permettent parfois de garder des classes.»
Si certains Loudunais se mobilisent pour soutenir le projet, pourtant géré à l’échelle nationale, c’est surtout parce que personne ne l’a fait jusqu’ici. De l’avis général, tous ont été «pris de court», municipalité comprise. Le maire divers droite de Loudun, Joël Dazas, assure qu’il a été prévenu par hasard, en mai dernier, de l’installation d’un centre d’accueil de demandeurs d’asile dans sa commune. «Ça lui est tombé dessus», confirme Martine Aumont, élue de l’opposition.
L’édile voulait utiliser un bâtiment de l’AFPA, inutilisé depuis 2007, pour y déplacer le centre de loisirs. En mai, il s’en est ouvert au sous-préfet. Sans cela, peut-être n’aurait-il jamais rien su du projets, déjà lancé par l’Etat. Durant l’été, l’édifice a été réhabilité en centre d’hébergement d’urgence estampillé Accueil Temporaire - Service Asile, ou AT-SA. Ouvert début août, il compte «90 chambres regroupées par unités de vie à 3 ou 4, avec cuisine et salle d’eau à partager», comme l’indique la plaquette de présentation. Le site, ouvert aux médias quelques jours début septembre, refuse désormais les demandes de reportages, «pour que les équipes travaillent en toute quiétude».
Depuis début juin et l’annonce de l’ouverture du centre, dans les colonnes du journal local La Nouvelle République, les opposants n’ont pas tardé à se manifester, à coups de pétition set de posts sur Facebook. En première ligne, le militant Les Républicains Romain Bonnet et son camarade de révolte, Olivier Amselek, exploitant forestier et Loudunais depuis douze ans. Les deux hommes ont mis en place une communication efficace, faisant jouer leurs réseaux dans les médias nationaux, jusqu’au plateau de France 2. «Le chômage est important à Loudun, notamment chez les jeunes. L’État n’apporte pas beaucoup d’aide, les services publics disparaissent peu à peu et on nous impose un centre de migrants sans aucune consultation, proteste Olivier Amselek. Le gouvernement nous a pris pour des crétins et a voulu être faire passer le projet en catimini. Alors, on a fait en sorte que ça se sache aux quatre coins de la France!»
Leurs arguments sont similaires à ceux avancés contre les projets d’hébergement de migrants ailleurs en France. Le taux de chômage, qui atteint 15%, est déjà trop élevé. La ville est loin de tout. La préfecture du département, Poitiers, est à une heure de route. C’est là que s’effectuent de nombreuses démarches administratives. Beaucoup d’habitants peinent déjà à boucler leurs fins de mois. Loudun a perdu plus de 1.000 habitants en trente ans et les commerces du centre ville ferment peu à peu leurs portes.
Mais leurs inquiétudes touchent aussi des questions identitaires, dans une commune où les habitants ont voté à 23,5% pour le Front national aux dernières élections départementales, le score du parti sur l'ensemble du canton (28%) dépassant la moyenne nationale. «Que fera-t-on de ceux qui seront déboutés du droit d’asile, de ceux qui resteront ici et qui ne trouveront pas d’emploi?, s’inquiète Olivier Amselek, en montrant du doigt la place Saint-Croix, quasiment vide et baignée de soleil en cet après-midi de septembre. Pendant ce temps, leur chambre dans le centre sera donnée à d’autres réfugiés, et ainsi de suite. En dix ans, ça fait combien de personnes? Et combien qui errent sur la place, désoeuvrées et malheureuses?»
Ici, ce n’est pas la publication de la photo du petit Aylan qui a suscité un élan de solidarité jusqu’alors peu visible, mais un reportage du magazine 66 minutes diffusé sur M6 le 13 septembre. En voix off, la journaliste présente Loudun comme une ville où les migrants sont «une charge», où «les amalgames sont choquants» et où «certains discours sont à la limite de la xénophobie». À l’image, un Loudunais attablé en terrasse, le visage flouté, s’inquiète d’un centre qui amènerait «de la délinquance et de la prostitution».
«Chacun s’énervait de son côté derrière sa télé ou son ordinateur», explique Sabine, revenue vivre à Loudun après deux ans de volontariat au Burkina Faso. «J’avais trop honte, j’avais envie de dire à mon tour "Not in my name"», clame une jeune femme, qui a eu écho de la réunion par des amis. Elle fait désormais partie du Comité loudunais du 17 septembre qui, après une matinée de discussion, dispose déjà d’un petit conseil de direction et d’un siège social.
Aux manettes pour le moment: Georges, la cinquantaine et une queue de cheval grisonnante, s’y connaît en réseaux sociaux et sait comment créer un groupe Facebook où l’équipe pourra discuter. À ses côtés, Sabine, en recherche d’emploi depuis son retour, est prête à s’engager pour redonner à sa ville natale son statut historique de terre d’accueil. Hélène, à l’initiative du rendez-vous, s’occupe d’acheter le café et les petits gâteaux qu’ils apporteront ensemble au centre de réfugiés. Le Blue Note Café, où les derniers convives célèbrent la création du comité autour d’un verre de crémant de Loire, fera office de siège social.
«On ne peut pas résoudre les problèmes du monde mais on a des gens qui sont là, juste en bas de chez nous, alors le minimum c’est de tendre la main!», ajoute l’une des membres du comité. Avant elle, d’autres habitants ont fait le choix de la solidarité avec ces réfugiés qui n’ont pas choisi de venir à Loudun. L’association d’aide aux devoirs Coup d’Pouce, dont le local n’est séparé du centre d’accueil que par une haie d’arbustes, a pris sous son aile «tous les enfants du centre: cinq élèves de primaire et un collégien», précise la présidente Dominique Moreau. «L’an dernier, on avait une vingtaine de bénévoles, décompte-t-elle. Aujourd’hui, on en a déjà 5 de plus, avant même notre réunion de rentrée.»
Les questions des premiers jours commencent à trouver leurs réponses, et l’accueil s’organise. «Des partenariats commencent à se mettre en place avec des associations locales pour réceptionner et trier les vêtements donnés, pour organiser des activités sportives», affirme-t-on du côté d’Adoma. Amnesty International souhaite aussi développer un jardin partagé et un atelier de réparation de vélos. Les membres du Comité loudunais du 17 septembre avaient prévu d’offrir le café aux résidents du centre. Ils seront reçu plus tard, pendant une journée portes ouvertes.
Le projet, désormais, suscite aussi son lot d’espoir: les enfants des réfugiés, scolarisés dans les écoles de la commune, ont permis de maintenir une classe. L’hôpital profite de l'ouverture de ce centre pour appuyer la nécessité de conserver son service des urgences, menacé de fermeture. «Mieux ils seront intégrés pendant leur séjour ici, et plus ils auront envie de rester, avance Martine Aumont, qui est aussi présidente de l’antenne locale d’Amnesty international. Ils ne représentent que 1% de la population locale, ce n’est pas énorme, si?»