La Nouvelle République, Début Mars 1981.
"UN CITOYEN-CANDIDAT, PAS UN PRESIDENT-CANDIDAT"
Voici l'intégralité du discours du président Giscard d'Estaing du Lundi 2 Mars 1981, diffusé à 19H, puis dans le JT d'Antenne 2 de 20H.
"Françaises, Français,
Mes chers amis,
Dans un peu plus de cinquante jours, vous voterez pour le premier tour de l'élection présidentielle. A ce sujet, j'ai trois choses à vous dire.
Je vous rendrez le pouvoir que vous m'avez confié en mai 1974. Ce pouvoir, je me suis efforcé de l'exercer pour le bien de la France, et aussi celui des Français dans la mesure de mes moyens. Je n'ai jamais pensé qu'il m'appartenait. J'ai toujours su qu'il était à vous, qui me l'avez confié pour la durée de mon mandat. Je vous le rendrai intact.
Je veux aussi remercier toutes celles et tous ceux qui m'ont aidé, par leur soutien, à assumer ma tâche dans ces temps difficiles. Ce ne sont pas les Français les plus bruyants. Ce ne sont pas non plus ceux dont la vie est la plus aisée, mais je les ai reconnus. Ce sont ces Françaises et ces Français qui ont fait, qui font, et qui demain feront la France.
Qu'elle est à deux mois de l'élection la situation politique de notre pays? La crise économique, avec les mécontentements et les inquiétudes qu'elle engendre, et que je comprends, pèse sur les esprits.
L'opposition demeure identique à elle-même, avec les mêmes dirigeants acharnés depuis 1958 dans leur lutte contre la Vème République, dirigeants condamnés par la force des choses, soit à gouverner avec les communistes, soit à trahir leurs électeurs, après avoir bénéficié de leurs votes, ce qui n'irait pas sans secousses graves. Proposant pour sortir de la crise des formules étatiques et bureaucratiques, qui ont échoué partout, et dont les défenseurs ont été chassés du pouvoir.
En même temps, toutes les informations indiquent, de manière évidente, qu'aucun autre candidat, ne pourrait l'emporter contre l'opposition.
Chacun de vous peut comprendre, par un raisonnement simple, qu'il serait conduit à coup sûr et malgré lui, vers une société dont il ne veut pas, et vers une décadence politique et économique, qui s'observe ici et là.
Tout l'effort de rétablissement et de remise en ordre, tout le travail courageux des Français pendant les dernières années, serait dissipé en quelques mois. Adieu alors, la solidité du Franc, et la liberté d'entreprise. Adieu l'indépendance nucléaire et le rôle de l'indépendance dans le monde. On l'a vu se produire ailleurs, on le verrait aussi chez nous.
Nous ne pouvons pas accepter que le sort de la France se joue de cette manière. Elle ne peut pas être enchaînée à une fatalité qui l'entraine dans la direction contraire à celle où elle veut aller. Je ferais tout ce qui dépend de moi pour le lui éviter.
Et je vous demande de lutter contre cette mauvaise fatalité, et d'apporter votre soutien personnel aux progrès de la France.
La France mérite un vrai débat démocratique. Où la voix de la raison et du coeur, de la liberté et de la solidarité, se fasse entendre et finalement, j'en suis sûr, l'emporte.
J'ai décidé de me présenter à l'élection présidentielle pour un septennat nouveau. Pourquoi? Comme président, je n'y ai aucun droit particulier. Et personne ne me doit rien.
Mais pendant les sept années où j'ai veillé avec la France, j'ai connu ses problèmes et ses difficultés, j'ai aperçu son avenir, j'ai cherché et compris ce qu'il doit être fait pour qu'elle soit forte, heureuse et fière, et pour qu'elle s'adapte avec confiance dans ses possibilités qui sont grandes, au monde qui vient. Je vais vous le proposer.
Je ferais donc campagne. De quoi s'agit-il? De choisir un président pour la France, qui la représente dans le monde, qui anime et oriente sa politique à l'intérieur. Ce président ne peut pas être l'homme d'un parti. Je ne solliciterai l'investiture d'aucune organisation. Je n'accepterai aucun engagement, combinaison, ou manoeuvre.
C'est pourquoi je fais appel à toutes les Françaises et à tous les Français, pour que ce soient eux qui organisent leur soutien, à partir de leur ville, ou de leur terroir. Eux qui s'expriment et eux qui l'emportent.
Je ne cherche pas à recruter des partisans. Je cherche à réunir les Français. Je ne ferai pas appelle à la haine et à la véhémence. Mon rôle n'est pas de déchirer le tissu national. Il est de le recoudre. C'est pourquoi je ferai appelle à la raison et l'unité pour travailler et vivre ensemble.
Le Président de la République, continuera sa tâche jusqu'au bout ce qui est son devoir. Le candidat s'en distinguera entièrement. Je ne serai pas un président-candidat mais un citoyen-candidat.
Ma campagne comportera deux étapes: jusqu'à la fin du mois, en raison de mes fonctions, une campagne d'informations et d'explications. Puis à l'ouverture de la campagne officielle, une campagne de rencontres sur le terrain, avec vous.
Cette campagne, je ne la cueille pas comme une épreuve, mais comme une délivrance. Pendant sept ans, mon devoir d'Etat et la réserve nécessaire à ma fonction, m'ont interdit de m'exprimer en toute liberté. Enfin, je vais pouvoir vous dire d'homme à homme, ce que j'ai dans l'esprit, et sur le coeur. Je rendrai compte de mon mandat. Je montrerai comment j'ai respecté les engagements pris en 1974.
Je dirais les motifs et les circonstances de toutes les décisions importantes de mon septennat. Je montrerai comment, dans la crise économique la plus grave que le monde ait connu depuis cinquante ans, la France a fait face et a préparé son avenir; comment elle a progressé dans son niveau de vie, mais aussi dans sa justice sociale vis-à-vis des personnes âgées, des handicapés, des familles, des travailleurs manuels, comment elle a protégé sa liberté, comment elle a organisé sa sécurité, comment elle a agit pour la paix, qui était mon premier souci, et pour laquelle j'ai pris des risques personnels.
Je dirais quels problèmes nouveaux se posent à nous, notamment à notre jeunesse, pour son emploi et pour son avenir et comment nous pouvons les résoudre: ce sera l'engagement central de ma campagne.
Je ne ferais aucune promesse qui ne puisse être tenue.
Un mot personnel avant de vous quitter. Dans ce débat, mon sort n'a pas d'importance; il n'en n'a ni pour vous, ni pour moi. Tout s'efface devant le seul choix qui compte: celui du meilleur avenir pour la France. Et ce choix là, vous le tenez entre vos mains.
Bonsoir."
Avec l'aide la Nouvelle République, Mardi 3 Mars 1981.