LA RUE PIETONNE FAIT SON CHEMIN
Vieille ville dont les rues furent tracées au temps des chaises à porteurs, Poitiers connaissait, en son centre, depuis fort longtemps, des embarras dont Boileau lui-même n'aurait pu imaginer les conséquences. De la même façon que les régions infertiles sont les plus belles (on préfère généralement les forêts de la Lozère aux champs de betteraves de la Beauce), les villes les plus charmantes, les plus humaines sont celles dont les rues sont étroites et sinueuses. Le cas de Poitiers est exemplaire à ce sujet. C'est une ville intéressante à laquelle l'inévitable Zup n'a pas retiré ce qui faisait son originalité.
Poitiers est probablement le genre de ville où la nécessité d'aménager des rues piétonnes s'imposait le plus. Les édiles pictaves l'ont bien compris qui viennent d'aménager trois rues du centre en rues piétonnes dans le cadre d'un plan plus vaste de réorganisation de ce centre. Rue St-Porchaire, rue Gambetta et rue des Cordeliers, malgré une mise en sens unique déjà ancienne, la circulation automobile était devenue quelque chose comme un gymkhana aventureux pour citadins doués. Les visiteurs et les automobilistes de la campagne évitaient ce chemin douteux. Il fallait faire quelque chose. C'est fait.
Pas d'improvisation. Des élus locaux ont effectué des voyages d'études afin, comme me l'a précisé M. Strawsinzky, adjoint au maire, de "profiter des erreurs des autres". Dossier en mains, ils se sont mis à l'ouvrage. Il s'agissait de mener simultanément deux opérations: effectuer la réfection ou la réorganisation des réseaux souterrains pour le gaz, les égoûts, l'eau et le téléphone puis, immédiatement après organiser la mise en voie piétonne de la rue.
On a donc supprimé les trottoirs et redessiné de la rue destinée cette fois aux seuls piétons et d'une manière ponctuelle aux camions de livraisons et d'une manière occasionnelle aux véhicules de secours.
Ceci est bien fait. Encore que certaines critiques se soient élevées en ce qui concerne le dallage auquel on reproche son manque de finesse.
Selon M. Strawsinsky, il s'agit d'un choix délibéré reposant sur trois critères. Sur un plan esthétique, il convenait d'installer un revêtement de sol "à l'ancienne" de façon à laisser à la rue "son côté rugueux". Pour des raisons techniques, il convenait également d'utiliser un matériau anti-dérapant (pluie et gel). Enfin, ce matériau devait supporter des véhicules lourds (camions de déménagement et de pompiers). Il a donc été contrôlé en laboratoire afin de pouvoir répondre à ces 3 critères. En tout état de cause, on peut penser que l'érosion le rendra moins malaisé à l'approche du retour des talons aiguilles.
Un regain de vigueur commerciale
Enfin, un mobilier sera testé au fur et à mesure de l'utilisation des trois rues piétonnes. Actuellement, une fontaine et des bacs à fleurs sont installés en un endroit plus large de la rue Saint-Porchaire, afin de ne pas gêner la circulation épisodique des véhicules. On peut craindre, en effet, qu'une fontaine devienne immobilière par destination.
D'ores et déjà, il est permis de dresser un premier bilan. Les réactions sont très positives. On remarque que le centre a trouvé une nouvelle vigueur selon les propres paroles de M. Strawsinzky qui a l'avantage de bien appréhender la situation dans la mesure où il est lui-même commerçant de l'une de ces nouvelles rues piétonnes. Des comptages dans un large périmètre le prouve. D'autre part, on constate un retour des clients de l'extérieur. Enfin, on note une plus-value considérable des commerces concernés. A ce phénomène s'ajoute l'enthousiasme manifesté par les commerçants pour apporter leur pierre à la réhabilitation d'un quartier. Actuellement, de quinze à vingt demandes de permis de construire ont été pour la réfection des magasins et des immeubles es rues piétonnes. Ceci est assez significatif.
Enfin, indiquons que la réalisation de ces trois rues piétonnes s'inscrit dans un projet plus vaste de restructuration du grand centre poitevin, lié à l'ouverture de la rue du Moulin-à-Vent sur la rue de la Regratterie, en doublement de la rue du Palais avec, à l'horizon 80, la mise en rues piétonnes de la rue de la Regratterie et de la rue des Vieilles-Boucheries. Ainsi, pourra-t-on aller en flânant de la place Leclerc, ancienne Place d'Armes à la très belle église Notre-Dame qui retrouvera ainsi sa paix ancestrale.
Jean CHEDAILLE
La Nouvelle République, Mardi 1er Février 1977.