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Par Henri LANDES et Charles RASSAERT
La COP21 qui commence à la fin du mois de novembre sera le grand rendez-vous climatique du siècle. Tenant compte de leurs réticences historiques sur les questions climatiques, les deux plus grands pollueurs de la planète - Chine et États-Unis - sont écoutés avec beaucoup d'attention depuis un an et demi. D'un côté, leurs positions n'ont jamais autant convergé. De l'autre, ils présentent toujours des obstacles à des négociations fructueuses. Est-ce que l'Europe, et dans une moindre mesure la France, pays hôte et présidente de ce sommet, peut conduire à l'obtention d'un nouvel accord universel et contraignant sur le climat ?
La conférence des parties ne commence que dans deux semaines, mais les négociations en amont ont permis d'avancer. Un des derniers pas en avant fut le lundi 2 novembre, lorsque le président François Hollande a rencontré son homologue chinois Xi Jinping pour établir une "déclaration commune" en faveur du climat. Pour la première fois de l'histoire, la Chine s'est prononcée favorablement à un mécanisme contraignant pour réviser les objectifs de réduction de gaz à effet de serre de manière périodique (vraisemblablement tous les 5 ans).
"Avec cette déclaration, nous avons posé les conditions qui nous permettent d'entrevoir un succès" estimait donc François Hollande, après 12 visites en Chine de son Ministre des Affaires étrangères depuis sa prise de fonction ! L'enthousiasme de Laurent Fabius a nécessairement été émoussé par les déclarations de son homologue américain quelques jours après la déclaration commune franco-chinoise : "ce ne sera certainement pas un traité (...). Il n'y aura pas d'objectifs de réduction juridiquement contraignants comme cela avait été le cas à Kyoto."
Des déclarations "peu heureuses" qui révèlent l'intérêt stratégique des ces négociations climatiques qui dépassent, à présent, largement la simple réduction des gaz à effet de serre pour prendre en compte l'approvisionnement énergétique, le développement économique et l'adaptation aux conséquences du changement climatique.
Xi Jinping a répondu présent, sous la pression sociale
La Chine est-elle en train de changer son fusil d'épaule ? Sans faire preuve de naïveté, on constate clairement un repositionnement chinois : l'intérêt grandissant de Pékin pour les questions environnementales est de plus en plus visible.
Pendant longtemps, la Chine, membre de la coalition des pays en développement du G77+ Chine, avait une position attentiste dans les négociations. En 2005, le Premier ministre chinois, Xie Zhenua, déclarait: "la Chine s'engagera et pendra des décisions après évaluation des efforts des autres pays". Lors de la conférence de Bali (COP 13) en 2007, la Chine était restée sur ses positions tant que les pays développés n'avaient pas fixé d'objectifs précis de la réduction des gaz à effets de serre d'ici 2020. Les Etats-Unis qui ne voulaient aucun objectif contraignant avaient donc anéanti toutes avancées concrètes.
Depuis cette même année 2007, la Chine est devenue le plus gros émetteur de gaz à effet de serre de la planète (bien que son taux d'émanation par tête demeure bien inférieur à celui des Etats-Unis). La pollution aux particules fines est à son comble dans la capitale de l'Empire du milieu. En 2014, la pollution de l'air battait des records. On a enregistré jusqu'à 500 microgrammes par mètre cube d'air en moyenne (le niveau de concentration était même monté à 993 microgrammes). A titre de comparaison, en France on considère un épisode de pollution de l'air quand celui-ci atteint le seuil des 50 microgrammes !
La pression sur le gouvernement chinois pour engager la transition énergétique vient donc de la pression de sa propre opinion publique : 9 manifestations sur 10 sont liées à des préoccupations environnementales. La pollution menace la stabilité du pays et devient un problème politique urgent.
Plus généralement, le gouvernement chinois définissait sa position dans les négociations en fonction du rapport énergie / croissance économique découlant essentiellement de trois facteurs : la paix sociale, les émissions de CO2 et l'approvisionnement énergétique.
Or, ces trois facteurs font bouger la Chine d'aujourd'hui. Les débats et les manifestations se succèdent en Chine pour dénoncer des projets jugés trop polluants sous le slogan "la croissance oui mais pas à n'importe quel prix". La classe moyenne chinoise se sent de plus en plus concernée par les questions écologiques. Face à cette situation alarmante, la Chine a décidé de faire de l'environnement une priorité pour le prochain plan quinquennal qui débutera en 2016. Dans les faits, cela passera par une réduction de l'utilisation du charbon (la Chine détient la troisième plus grande réserve de charbon derrière les Etats-Unis et la Russie) et l'utilisation d'énergies renouvelables comme l'éolien et le solaire. En somme, une bonne nouvelle pour la COP21 ?
Barack Obama sait qu'il a rendez-vous avec l'Histoire à Paris
Les Etats-Unis ont plombé les négociations internationales sur le climat lorsqu'ils n'ont pas ratifié le protocole de Kyoto, qu'ils avaient pourtant signé à la COP3 en 1997. Sans la participation du plus gros pollueur de la planète de l'époque, les autres pays ne pouvaient être aussi inspirés pour mener la transition énergétique et se développer de manière propre. La position américaine depuis vingt-cinq ans a peu changé : les solutions de marché et les technologies vertes sont à privilégier et il ne faut pas entraver l'économie par un traité international contraignant sur le climat. Cette position demeure, à l'image de la dernière déclaration de John Kerry cette semaine.
Il ne faut pour autant pas y voir un signal d'échec des négociations de la COP21. La position américaine a évolué depuis quelques années, notamment grâce au volontarisme de son président. Barack Obama, convaincu de la nécessité de fixer un cadre pérenne pour lutter contre le changement climatique, un mécanisme qui transcenderait les clivages et l'alternance politique. Il s'est mobilisé en faveur de la protection de l'environnement comme jamais un président américain ne s'était engagé auparavant ; les faits parlent d'eux-mêmes :
- L'administration Obama a développé des règlementations sans précédent sur le secteur énergétique, notamment pour diminuer la pollution des centrales à charbon.
- En novembre 2014, les États-Unis font une annonce conjointe avec la Chine sur des objectifs de réduction de gaz à effet de serre, une première de l'histoire.
- Tout récemment, le président s'est opposé à la construction de l'oléoduc XL provenant du Canada, contre le gré des puissants lobbies fossiles américains.
Certes, Barack Obama a attendu son deuxième mandat pour prendre le sujet à bras le corps. Le climat n'est guère un sujet facile à traiter pendant une campagne présidentielle, notamment avec nombreux États démocrates "charbonniers" au Nord-Est du pays. Mais il a pris son bâton de pèlerin pour réorienter son pays dans le sens de l'histoire. Il compte bien réussir la COP21 en obtenant un accord universel et contraignant. La nuance à noter : un accord contraignant dans la forme, mais pas dans le fond. Car un accord contraignant sur plus qu'un simple mécanisme de révision des objectifs devra être ratifié par le congrès américain, contrôlé par le parti Républicain historiquement climato-sceptique. Barack Obama pourra mettre en œuvre l'accord de Paris lui-même, par décret, si celui-ci ne contraint le pays qu'à déclarer ses objectifs de manière transparente et à les revoir de manière périodique avec tous les autres pays de la Convention. C'est d'ailleurs la même position pour nombreux autres Etats historiquement frileux sur la question (Chine, Inde, pays pétroliers, etc.).
Voir au-delà de Paris
Ainsi, l'Union européenne et la France ont comme tâche de tirer profit de ce mouvement positif au sein des négociations internationales sur le climat. Malgré les apparences, l'accord de Paris sera vraisemblablement signé et le Protocole de Kyoto, éminemment limité et lacunaire, devrait être remplacé.
Cependant, ce n'est pas cet accord de Paris qui résoudra à lui-seul le dérèglement climatique. Non seulement les objectifs de chaque pays seront à revoir au fur et à mesure, mais les grandes avancées en faveur du climat devront se faire ailleurs, surtout dans les arènes classiques de décisions sur l'économie, à savoir le G20, le G7 et l'OMC. La lutte contre le changement climatique s'apparente à une transition économique, et n'est pas simplement une affaire de négociations entre techniciens de la politique environnementale.