Légende de la photo centrale : "Le crime monstrueux d'un médecin paranoïaque" voulant vraisemblablement se venger de son chef de service: c'est ainsi qu'a qualifié jeudi le chef du département anesthésie, le Professeur Pierre Mériel, l'acte de deux médecins qui ont conduit à la mort d'une jeune femme hospitalisée à Poitiers
M. Bakari Diallo, anesthésiste français d'origine voltaïque, qui a été inculpé d'assassinat, a permuté deux tuyaux d'un appareil de réanimation, l'un contenant du protoxyde d'azote et le second de l'oxygène, a précisé M. Mériel au cours d'une conférence de presse.
Ci-dessus: le professeur Mériel (à gauche) et M. Guilhemsens, directeur général adjoint du C.H.R.U.
(Photo C.P. Jacques PASQUIER)
La Une de Centre Presse, Vendredi 9 Novembre 1984.
L'assassinat du C.H.R.U.:
Une manipulation diabolique ayant pour objet la vegeance
FACE AUX ACCUSATION PORTEES, LES DEUX MEDECINS NIENT
Au soir du second jour, qui a vu éclater comme une bombe, ce que l'on a nommé, l'affaire des "médecins diaboliques de Poitiers" où en était-on? D'un côté, l'arme du crime, le respirateur saboté, placé sous scellés par la police et constituant la preuve matérielle de l'assassin et perpétré un mobile, des présomptions graves et concordantes, de l'autre deux médecins anesthésistes, les docteurs Bakari Diallo et Denis Archambaud, inculpés d'assassinat sur la personne de Mme Nicole Berneron, écroués à la maison d'arrêt de la Pierre Levée de Poitiers, qui nient.
Si le juge d'instruction et le procureur de la République, de même que les policiers, qui ont mené l'enquête, gardent le mutisme le plus absolu et se refusent à tous contacts, les avocats des inculpés, Me Damy pour le Dr Denis Archambaud, Me Drouineau et Me Diallo, ce dernier du barreau d'Angers pour le Dr Bakari Diallo se taisent également, observant un prudent silence. Tous unanimement conseillant d'ailleurs la plus grande prudence dans ce qui peut être écrit ou diffusé. "On marche sur des oeufs" dans cette affaire, s'est exclamé hier l'un de nos collègues de la presse nationale, qui dans ses quotidiens et hebdomadaires, comme dans la presse parlée et télévisée, est très largement présente sur le terrain depuis mrcredi soir. C'est en effet une impression, qui est ressentie par tout le monde, quoiqu'à certain niveau des convictions se sont faites. Si le secret est de règle dans la magistrature, "le secret de l'instruction", par contre du côté de l'hôpital, on a levé le voile et le professeur Meriel dont on trouvera par ailleurs de larges extraits de la déclaration qu'il a faite, a tenu une conférence de presse, à l'issue de laquelle d'ailleurs il a présenté "un autre respirateur" expliquant ce que lui et trois de ces collaborateurs avaient découvert, dans l'après-midi du mardi 30 octobre, après la mort de Mme Nicole Berneron.
Le professeur Meriel, chef du service d'anesthésie accuse et étaye son raisonnement de faits, qui apparaissent plus que troublants. Il y a eu assassinat, il est formel. Avec ses collaborateurs, il a vérifié "l'arme du crime", le respirateur, il avait été saboté. On avait permuté les bagues et les repères colorés, ceci démontrant la préméditation. "J'étais visé, dit-il. On savait que c'était moi qui assurerait l'anesthésie. On s'était arrangé...
"Pourquoi cet acte monstrueux, cet acte de folie, fait d'un paranoïaque? Parce que son auteur nourrissait vis-à-vis de moi une hostilité. J'avais procédé à sa mutation de service". Cette mutation faisait passer celui qui en était l'objet du service ORL de l'hôpital Jean Bernard, au service d'urologie de l'Hôtel-Dieu. Et elle atteignait le Dr Diallo qui en avait été informé le lundi 29 octobre à midi par le professeur Meriel.
Pourquoi cette mutation? "Le Dr Diallo avait des rapports difficiles avec les collègues du service où il travaillait. Il y avait eu des plaintes"."Il y avait des problèmes relationnels" dira le proffesseur Meriel. "On ne peut pas tout le temps mettre en cause, les heures opératoires, le protocole, les méthodes de traitement, contester devant les malades la qualité du chirurgien; quand on fait partie d'une équipe, on accepte".
Et le Dr Diallo n'acceptait pas, pas plus qu'il n'acceptait que je sois son chef de service". Alors, il est arrivé que la coupe a débordé, une dernière plainte d'un chirurgien, et le professeur Meriel prend sa décision: "Je n'avais jamais eu de mots avec lui, je n'avais pas à discuter, je lui ai notifié".
Et c'est alors que le processus de la vengeance allait s'engager. "La machine sabotée, la malheureuse opérée, n'avait aucune chance de rester vivante? Et le saboteur, était un spécialiste compétent et adroit, qui savait comment elle marchait, qui savait comment faire, a dit le professeur Meriel pour lequel "l'instigateur" c'est Diallo et le "complice" Denis Archambaud.
Pourquoi ce plan démoniaque machiavélique, a-t-il échoué? "Ce qui a perdu Diallo, c'est d'avoir été trop intelligent. Il ne pensait pas que j'irais vérifier aussi vite; peut-être pensait-il que je vérifierais seul. Un tel plan, c'est l'oeuvre d'un génie. Quand on a vérifié l'appareil, il y avait un bonne alimentation au sol et c'est en remontant plus haut, que l'on a constaté que les tuyaux étaient inversés."
L'auteur de ce sabotage, serait-il revenu ensuite pour masquer son crime si il en avait eu le temps, le professeur Meriel l'estime: "Tout a été fait pour me mettre sur le dos! L'appareil a été trafiqué durant la nuit."
La mort de Mme Nicole Berneron a été constatée vers 12h, pendant une heure 1/4 on poursuivi la réanimation. Puis devant une telle mort que l'on ne comprenait pas, survenue dix minutes après la fin de l'intervention, la malheureuse avait péri asphyxiée. On a mis en route, tout le porcessus qu'entraîne un décès suspect et l'on découvrit l'appareil saboté.
Quel a été le rôle du Dr Denis Archambaud dans cette affaire? "Le jour de l'opération, il était présent. Il ne pouvait qu'être au courant de la manipulation. Il a obéi aux ordres sans se rendre compte de la portée des choses. Diallo lui avait poeut être dit, on va jouer un bon tour au patron. Et alors qu'un malade reçoit toujours une bouffée d'oxygène avant l'opération, on lui a donné du protoxyde d'azote. Et le chef de service d'ajouter: "Archambaud est venu au début, et a masqué l'appareil, il a brouillé les cartes au moment de l'intervention. Si il n'avait pas été devant l'écran j'aurais vu le débit de la petite boule blanche s'élever, qui m'aurait immédiatement éclairé, et m'aurait fait conaître que quelque chose d'anormale se passait".
Ainsi donc, quand le patron de l'anesthésie a demandé de l'oxygène, c'est du protoxyde d'azote qui était envoyé, celui qui manoeuvrait la manette n'a pas eu le courage de faire le geste sauveur!...
Selon le professeur Meriel: "Le Dr Archambaud a obéi aux ordres, sans se rendre compte de la gravité de son acte. C'est un élève qui a suivi son responsable de stage, qui est une personnalité paranoïaque, sans aucune conscience morale, qui n'a pas eu une réaction d'homme. J'aurais compris, qu'il ait démoli mon bureau, brûlé ma voiture, maculé ma maison. Mais c'est une médecin qui a tué dans l'exercice de ses fonctions, un malade innocent."
Voilà ce qu'a dit d'une manière résumée, le professeur Meriel hier matin.
Est-il besoin d'ajouter, si l'on veut reconstituer l'atmosphère de cette journée, que l'émotion est considérable, aussi bien au CHRU de Poitiers, que dans la capitale régionale et dans la France entière et que les mots qui reviennent le plus souvent sont "démoniaque, machiavélique, abominable, odieux". Qu'on évoque dans les milieux médicaux "un cas exceptionnel" ou "la folie". Qu'on parle, qu'on formule des hypothèses, qu'on suppute, au niveau de la rue.
Mais qu'il ne faut pas aussi oublier que comme le professeur Meriel l'a justement dit: "Une jeune maman est morte victime d'une main criminelle".
Une déclaration de M. Jacques Santrot
Président du Conseil d'Administration du Centre Hospitalier Régional
Président du Conseil d'Administration du Centre Hospitalier Régional, M. Jacques Santrot, député-maire de Poitiers, que nous avons interrogé sur cette affaire, nous a fait la déclaration suivante:
"Quand nous avons été mis au courant des faits qui venaient d'être découverts, et dont on se rendait bien compte qu'ils n'étaient pas normaux et qu'il ne pouvait s'agir là d'une erreur, nous avons pris un certain nombre de dispositions. C'est ainsi que le permis d'inhumer ayant été refusé, une autopsie pratiquée et ordonnée, la Justice a été saisie. M. Alix directeur général de l'hôpital est allé auprès de la famille pour lui dire de porter conjointement plainte, après que nous l'ayons fait nous-même.
"Qu'on se dise bien, et nos démarches en portent témoignage, qu'à aucun moment, nous n'avons voulu couvrir ou camoufler cette affaire, dont l'horreur est ressentie par chacun d'entre nous. Nous désirons que la vérité éclate. Sans ignorer la complexité d'une enquête c'est la plus grande clarté que tout le monde veut. Cette affaire est désormais entre les mains de la justice. L'acte qui a été commis, ne s'est jamais produit en France. Il n'est pas pensable tant il est odieux, abominable, car à ma connaissance, tous les éléments qui ont été réunis, font apparaître, qu'il est le fait d'une volonté. Et cela n'est pas pensable!..."
Centre Presse, Vendredi 9 Novembre 1984.