Les duettistes et tous les autres
Un impitoyable engrenage pré-électoral fondé sur la stratégie logiquement égoïste des "grands" candidats, et sur une loi d'organisation fixant haut - 500 signatures d'élus qui seront rendues publiques - la barrière des parrainages de candidatures, restreint inexorablement l'éventail des candidats.
MM. Giscard d'Estaing et François Mitterrand sont immédiatement tombés d'accord sur une règle du jeu complice pour cette campagne. Il y aurait eux deux, les vedettes, face à face et en vedette. Et puis les autres tous les autres.
M. Marchais a sèchement dénoncé ce "numéro de duettistes" de MM. Giscard d'Estaing et Mitterrand. Mais la stratégie était inévitable. Et d'ailleurs MM. Chirac et Marchais n'ont, dans leur propre démarche, pas plus de souci pour les autres candidats.
Les quatre leaders politiques ont, en effet, verrouillé à leur profit exclusif les parrainages. Ils ont demandé - ou laissé comprendre - aux élus porteurs de leur couleur politique de ne pas accorder de soutiens aux autres candidats.
Et au demeurant, l'auto-censure est là, pour bloquer toute velléité libertaire d'élus de petites communes qui auraient bien aimé donner leur appui à un Lalonde, une Bouchardeau, voire un Coluche, mais qui n'en feront rien sachant que cet appui sera rendu public par le Conseil constitutionnel, avec toutes les conséquences financières, politiques et administratives qui pourront en découler pour eux et leur commune.
Au bout du compte les "petits" candidats risquent donc d'être préalablement écartés. C'est ce qui explique le S.O.S lancé par Brice Lalonde, candidat écologiste, qui n'arrive pas à obtenir ses 500 signatures (il en est à 310).
Bien sûr, il faut un minimum de dignité à la campagne présidentielle. Et il convient d'empêcher que n'importe qui puisse utiliser la tribune offerte pour y faire de la publicité y dire n'importe quoi.
Mais les arguments écologiques par exemple ne méritent-ils pas d'être entendus? De même le P.S.U. a lancé en France certains courants de réflexion (autogestionnaire par exemple) qui ont progressé, pourquoi la représentante de ce mouvement, Mme Bouchardeau, n'aurait-elle pas droit d'animer, voire d'enrichir le débat présidentiel?
Or, que peuvent faire ces "petits" candidats?
Menancer? Mme Huguette Bouchardeau évoquant "les pressions exercées pas la direction du P.S. sur ses élus" pour qu'ils ne donnent pas leurs parrainages à qui que ce soit d'autre que le candidat socialiste a laissé entendre à François Mitterrand dans la perspective du second tour: "Si François Mitterrand nous contraignait au silence au premier tour, il nous y contraindrait aussi au second". Autrement dit pas de P.S.U.: pas de soutien P.S.U. Mais est-ce suffisant?
Compter sur l'évolution des bons sentiments?
On dit que les "stratèges" giscardiens souhaitent que le courant écologiste soit représenté et pourraient ainsi aider Brice Lalonde à obtenir ses 500 signatures. C'est possible. C'est même probable. Avec une bonne publicité, M. Giscard d'Estaing ferait ainsi connaître ses sentiments écologistes. Cela lui serait bénéfique pour le second tour. D'autant qu'au premier tour, M. Lalonde pourrait drainer un maximum de voix de jeunes opposants et en priver par contre-coup M. Mitterrand...Mais dès lors cette participation des écologistes au débat présidentiel apparaît subordonnée à des stratégies électorales. Ce ne semble pas satisfaisant.
Il y a assurément quelque chose qui grippe un peu dans l'élection présidentielle dans la mesure où elle est théoriquement au suffrage universel direct mais passe d'abord par les "censures" de 500 élus et leurs partis.
Jean-Claude ARBONA
La Nouvelle République, vers le 20 Mars 1981.