DRUON : HALTE AUX "HALLETTES" DU MARCHE NOTRE DAME
Pour les membres du gouvernement, si l'on en croit M. Druon, le mois d'août n'est pas synonyme de vacances. En tout cas, arrivant de Niort,, lui venait d'interrompre les siennes. Mais il se préparait, après son passage à Poitiers et, dans la foulée, une visite à Angers, à reprendre un peu de repos. Dans la région de Libourne, cette fois. Du vacancier, l'auteur des "Rois maudits" avait la coiffure. En l'occurence, un chapeau blanc de raphia à larges bords. Accompagné de M. Mazery, conseiller technique, M. Druon a été accueilli à la préfecture par M. Vochel, préfet de région. Le préfet était entouré de MM. Strawzinsky, maire-adjoint de Poitiers - qui allait "guider" la visite ministérielle - et Nicolini, directeur régional des "Antiquités", ainsi que de MM. Gendron, conservateur adjoint des musées, représentant le conservateur Reyrolles et Verney, directeur régional des bâtiments de France. A la préfecture, où il est arrivé vers 10h15, le ministre a pris part à une séance de travail. Au cours de cette réunion, divers problèmes ont été abordés. En particulier les questions relatives à la circulation liées au rôle du coeur de Poitiers, pôle d'attraction et d'animation de la cité.
M. Druon: "C'est si beau que je veux payer"
La visite ministérielle a débuté à l'ancienne abbaye de Ste-Croix, où se construit le futur Centre culturel qui regroupera les musées de Poitiers et salles de conférences. M. Druon s'est attardé devant un mur - reconstitué - en arêtes de poisson. Puis, dans le sous-sol, devant un autre mur. Ce vestige datant du premier siècle, sera dégagé en hauteur sur quatre mètres pour qu'il puisse être vu à partir d'une coursive. "Ce chantier est bien parti" a estimé M. Druon. Puis bouleversant le programme prévu, il a tenu à visiter le baptistère St-Jean, où le cortège s'est trouvé mêlé aux touristes. En sortant, M. Maurice Druon a mis la main au gousset et donné 3F: "Ce monument est si beau que je veux payer mon entrée."
En suite, le cortège officiel s'est rendu place du Marché, et a pénétré sur le chantier. La visite s'est déroulée, plans en mains, commentée par M. Nicolini. L'un des problèmes techniques évoqués, celui de la poursuite de fouilles. Les travées de l'église Notre-Dame reposent sur une excavation. Il va falloir couler un mur de béton pour éviter une décompression des sols. "Les fouilles devront être effectuées scientifiquement, par couches" a recommandé le ministre.
Lorgnette en main
Les voitures du cortège ont ensuite filé Grand-Rue, où se situe l'ensemble qui, abritant la direction régionale des Affaires culturelles, groupera tous les services de cette administration.
A l'ancienne école des Beaux-Arts, rue Jean-Macé, M. Druon a jugé le bâtiment "pas intéressant". Puis il y a eu un retour place du Marché. Le ministre et sa suite se sont engouffrés dans l'ancienne Faculté de droit. A une fenêtre, lorgnette en main, M. Druon a examiné encore le chantier. Puis il a longé la façade de l'église Notre-Dame qui pose le problème de la désagrégation de la pierre.
C'était ensuite la réception à l'Hôtel de ville. Sur les marches de la mairie, l'écrivain Druon a repris le pas sur le ministre. Deux jeunes Poitevins, Yves Goux et sa soeur, lui ont demandé de dédicacer "Tistou et les Pousses-verts". M. Maurice Druon a paraphé l'ouvrage, avant de se rendre à la réception donnée dans le bureau du maire. Parmi les personnalités présentes, on notait les maires du district, les élus locaux, M. Villard, directeur des archives départementales et le R.P. Don Coquet qui, l'après-midi à l'abbaye de Ligugé, allait accueillir le ministre en visite dans le secteur.
"L'importance de Poitiers"
Dans son propos de bienvenue, M. Strawzinsky, maire adjoint, a remercié le ministre de sa "trop courte visite". Il a confié: "Nous sommes tiraillés entre le désir d'assurer la sauvegarde d'un patrimoine et celui de préparer l'avenir, quelquefois dans des conditions difficiles. Nous nous attachons à ne pas considérer l'intérêt privé, ni la somme des intérêts privés, mais seulement l'intérêt public." Puis M. Strawzinsky remis au ministre la médaille d'honneur de la ville de Poitiers, où figure une tête de Minerve "symbole de la prudence guerrière".
Avant de signer le livre d'or, M. Maurice Druon a pris la parole. Il a assuré que lui aussi avait trouvé trop bref son séjour à Poitiers. Il a dit ensuite que sa visite dans notre ville répondait à l'un de ses soucis primordiaux, "consacrer une partie de son temps aux régions, aux provinces. Aller sur lace, voir ce qui se fait, ce sui doit s'y faire, et la mesure dans laquelle son ministère y est intéressé." Le ministre a souhaité "pouvoir trouver des solutions aux problèmes de Poitiers qui sont d'ordre culturel." Mais, a ajouté M. Druon "il n'y a rien qui ne soit culturel."
Il a insité ensuite sur la nécessité d'harmoniser "les permanences du passé", et les impératifs du progrès. le ministre a conclu: "J'aime beaucoup Poitiers, je sais ses richesses et son importance dans l'ensemble français. Une des vraies forces de la France, c'est cette belle ville."
"Poitiers, un coeur qui doit battre fort et bien"
C'était ensuite la conférence de presse. Répondant à une question relative à la faiblesse des moyens financiers du secteur culturel, le ministre a répondu: On le dit dans tous les secteurs. Partout, les moyens sont faibles par rapport aux ambitions qui, elles sont immenses. Et puis, on ne regarde que l'immensité à accomplir, mais pas assez la somme de ce qui a été accompli."
Puis, M. Druon a dit ce qu'il pensait des problèmes de Poitiers: "Poitiers est une ville labyrinthique, et pas octogonale. C'est dans les villes labyrinthiques que se développe la civilisation, et toutes, elles ressemblent à un organe du corps humain. Le vieux Poitiers ressemble à un coeur. C'est un coeur qui doit continuer à battre fort et bien, pour irriguer toute cette région. Pour les pulsations c'est aux habitants et aux élus de Poitiers d'en donner le rythme."
Abordant le chapitre de la place du Marché, le ministre a estimé qu'elle offre "une réunion exemplaire de superposition des cultes et des activités humaines. Il y avait vraisemblablement là un sanctuaire, un forum et un marché. Un lieu d'échanges avec l'au-delà, d'échanges entre hommes, et d'échanges de marchandises. Il appartient aux Poitevins de dire s'ils veulent continuer, dans notre temps, ce qui a été fait dans les âges, ou de faire tout autre chose. Mais ce n'est pas le ministre qui choisira à la place de shabitants de Poitiers. Bien sûr, une fois cette décision prise, il appartiendra au ministère de donner son avis, et parfois ses instructions, mais seulement pour que tout soit fait en bonne connaissance de cause."
"Le secteur de sauvegarde, une mesure heureuse"
Sur une question précise concernant l'interruption des travaux, et le projet des "hallettes", M. Maurice Druon a encore expliqué:
"J'ai vu le projet, j'ai demandé qu'on le suspende. Ce qui n'implique pas une critique à l'adresse des édiles ou des architectes sur la valeur architecturale intrinsèque. C'est une mesure d'attente sur un projet où il y a un parti général à considérer. D'une manière générale, il faut conserver aux villes et à leurs quartiers anciens leurs unité d'aspect. Dans trop de villes, on voit se dresser un élément qui défigure l'unité monumentale, architecturale. Il n'y a rien de plus mauvais que la carte d'échantillons des siècles."
Le ministre a ajouté que s'il était là, "c'était pour aider à trouver, le plus vite possible, les solutions."
Du secteur de sauvegarde de Poitiers, M. Druon a dit qu'"il mérite d'être sauvegardé. C'est une mesure heureuse." En 1975 ce sera l'année européenne des secteurs sauvegardés, et - pour le mnistre - celui de Poitiers sera de ceux qui permettront à la France d'avoir un rang honorable.
M. Maurice Druon a, d'autre part, évoqué la sauvegarde des ruines d'Oradour-sur-Glane, bourg martyr limousin de la sauvagerie nazie: "Il s'agit de maintenir une destruction en son état. Nous essayons de résoudre ce problème au mieux."
En fin de compte, on retiendra de la visite à Poitiers de M. Druon deux éléments. Ils concernent le dossier de la place du Marché. Il y a d'abord l'assurance d'une reprise - à une date non déterminée - des travaux; cette reprise s'accompagnant d'une poursuite "scientifique" des fouilles. Et puis, la condamnation - en principe sans appel - des fameuses "hallettes" qui auraient singulièrement tranché dans ce site du vieux Poitiers.
Chapeau sur l'oeil, le ministre écoute les explications de MM. Strawzynski et Nicolini. Au fond, tout contre les fondations de Notre-Dame (à gauche) il faudra éviter la décompression du terrain, devait dire M. Verney (Photo Guy Meingault)
Centre Presse, Juillet ou Août 1973.