Les portes de l'Enfer se sont ouvertes en pleine nuit face aux usagers de l'A 10
La Une de la Nouvelle République, Vendredi 12 Novembre 1993.
Croquis de l'hypothèse principale du carambolage.
La région
Cauchemar sur l'autoroute
Carambolage sur l'A 10 en Charente-Maritime: au moins 17 morts et 49 blessés dans un brasier gigantesque.
Six camions, deux camionnettes, trente-huit voitures se sont carambolés mercredi soir sur l'autoroute A 10, à Mirambeau et se sont presque tous embrasés immédiatement. Jeudi soir, le bilan (provisoire) était de quarante-neuf blessés et dix-sept morts (selon la préfecture, quinze selon le procureur), pour la plupart carbonisés et méconnaissables.
Les véhicules ont été malaxés, compressés, déplacés sur plusieurs mètres lors des chocs successifs. Le feu enfin a embrasé les épaves d'où beaucoup de blessés n'avaien pas pu se dégager rapidement.
Vingt-quatre heures après le drame, les enquêteurs ont retenu le scénario le plus plausible (voir infographie): sous une pluie intermittente, et sur un axe particulièrement chargé à la veille du "pont" du 11 novembre, un camion britannique s'est, semble-t-il, arrêté sur le côté droit de la chaussée, à la suite de l'échauffement d'un pneumatique ou d'un essieu qui a mis le feu au camion. Un autre routier s'est arrêté pour lui prêter main forte, mais l'incendie a progressé, dégageant une épaisse fumée noire et provoquant un ralentissement. Un camion citerne, vide et dégazé, a freiné brutalement et s'est mis en travers des voies où il s'est immobilisé.
Les autres véhicules se sont ensuite "entassés" sur à peine 150 mètres. Bien qu'aucun des camions accidentés ne transportait d'hydrocarbures, un embrasement général s'est produit, alimenté sans doute par le carburant de réservoirs éventrés. Le commandant du peloton de gendarmerie a nettement mis en cause la vitesse excessive des usagers.
Les sauveteurs ont eu les plus grandes difficultés à extraire les victimes des tôles tordues et calcinées. Aucune identité n'a été publiée. Deux chauffeurs de poids lourds dont le Britannique, chauffeur du camion sur lequel s'est produit l'incident inital, ont été placés jeudi en garde à vue.
Déclaration du ministre des transports (gouvernement Balladur): outre les "leçons à retenir" et que "la lumière soit faite sur l'affaire", Bernard Bosson a déclaré: "Nous perdons 25 personnes par jour sur la route, et lorsqu'il n'y a pas d'accident aussi grave qu'aujourd'hui, c'est dans l'indifférence la plus totale que toutes les 50 minutes, jour et nuit, 365 jours par an, il y a un mort sur la route".
NdPPP: En 2012, ce ratio est à environ un décès toutes les 140 minutes, avec environ 3650 morts dans l'Hexagone l'an passé, contre plus de 9000 en 1993.
TEMOIGNAGES
"Une seule chose à faire : partir, vite"
"En quelques secondes, le feu s'est propagé partout". Récit d'un rescapé.
"Le nuage de fumée était tel que je n'ai rien vu avant d'être dessus. Ma voiture a cogné un peu. Le temps de descendre, il était trop tard. J'étais pris au piège; d'autres voitures étaient venues se heuter derrière moi." M. Seynat, de Cadillac-en-Fronsadais (Gironde), a immédiatement compris l'ampleur du drame.
Partout , des flammes perçaient le brouillard de fumée qui inondait la nuit. Entre le souffle des explosions des réservoirs, on entendait des cris de douleur et de désespoir. "Il n'y avait qu'une chose à faire: partir, et vite", explique-t-il, ce mercredi soir, en la mairie de Saint-Martial où la population essaie d'offrir un peu de réconfort aux rescapés.
Comme beaucoup, ce quinquagénaire a tout abandonné dans son véhicule. Passant par dessus les tôles enchevêtrées, il a gagné le plus rapidement possible le refuge du talus de l'autre côté de l'autoroute. Pour cela, il lui a fallu traverser les deux voies montantes où un flot de voitures continuait à s'écouler à grande vitesse. "C'était de la folie".
Il a été parmi les derniers à encastrer sa voiture dans l'horrible chaos. Quelques minutes auparavant, cette catastrophe n'était encroe qu'un accident ordinaire. Un camion-citerne venait de se mettre en porte-feuille, barrant de sa masse imposante toute la chaussée dans le sens Paris-Bordeaux.
"Quand je l'ai vu, je me suis arrêté sans toucher. Il y avait trois ou quatre voitures accidentées. A peine descendu, j'ai entendu boum boum. Ca tapait de partout, raconte un autre survivant. Alors, un camion est arrivé, écrasant plusiurs voitures, les poussant les unes sur les autres. L'essence coulait en larges rigoles des réservoirs crevés. Elle se répandait partout. Et puis, ça s'est embrasé derrière et ça a explosé devant."
En quelques secondes, le feu s'est propagé partout. Les moins touchés ont fui en traînant les plus blessés. Debout sur le toit de sa voiture, un homme tire par la fenêtre sa femme blessée. Deux inconnus en portent un troisième qu'ils ont trouvé gisant, a jambe fracturée, entre les rails de sécurité.
Face aux rescapés, aux blessés qui ont rejoint le talus salvateur, il n'y a plus qu'un immense brasier. Tout le monde sait, pour les avoir vus, que des gens inconscients ou conscients sont restés prisonniers de l'inextricable piège d'acier. "On ne pouvait plus rien faire, les flammes étaient trop hautes."
Plus tard, quand les pompiers auront éteint les flammes, quand les puissants projecteurs seront branchés, le funèbre tableau se révèlera dans toute son ampleur. Sur moins de cent mètres d'autoroute, près d'une cinquantaine de carcasses calcinées et broyées s'enchvêtrent en un immonde puzzle. A travers la fumée persistante, on de vine les corps noirs des malheureuses victimes. Image insoutenable, ici une jambe et une tête sortent à travers une portière que l'on a pu qu'entrouvrir.
Michel REBIERE
La citerne ne transportait pas de produit inflammable. Le conducteur, un Britannique, qui avait dû stopper son camion sur la bande d'arrêt d'urgence, a été placé hier en garde à vue. (A.F.P.)
La Nouvelle République, Vendredi 12 Novembre 1993.
Les 10 premières minutes du journal télévisé de France 2
France 2, Bruno Masure, 20H, Jeudi 11 Novembre 1993.