Pour bien saisir la puissance du Parti national écossais, il suffit de se pencher sur les régions d'Ecosse (SNP), il suffit de se pencher sur les régions d'Ecosse où il est considéré comme étant faiblement implanté, comme la région frontalière des Marches écossaises. Aux dernières élections, les nationalistes y ont recueilli moins de 10% des suffrages. Mais cette année, des sondages menés par les conservateurs donnent à penser que le SNP pourrait tripler sa représentation dans cette région, qui fait pourtant partie de celles qui sont traditionnellement unionistes. Depuis des mois, les enquêtes d'opinion dessinnent des perspectives plutôt sombres pour les unionistes. Selon ces enquêtes, les nationalistes vont remporter une victoire, dont on ne saisit pas encore toute l'ampleur en Angleterre. Le SNP pourrait, semble-t-il, rafler 55 des 59 sièges écossais, alors qu'il n'en compte que six aujourd'hui. Personne ne peut se résoudre à croire qu'un séisme d'une telle magnitude va frapper la politique écossaise. Les bookmakers donnent une victoire du SNP moins écrasante, mais même un résultat de 35 sièges empêcherait Ed Miliband, le dirigeant des travaillistes, d'otenir la majorité. Sans la base celte, le Parti travailliste aurait du mal à gouverner la Grande-Bretagne, à moins qu'il ne forme une coalition avec les nationalistes, ce que Miliband exclut.
Loin d'être fatale au SNP, la campagne du référendum de septembre 2014 l'a laissé plus fort que jamais. Le SNP n'est plus seulement un parti, c'est un mouvement qui, proportionnellement au nombre des habitants, compte plus du double de membres que les trois principaux partis unionistes réunis. Un Ecossais sur 50 l'a rejoint depuis le référendum. Le parti de Nicola Sturgeon, la Première ministre d'Ecosse, compte plus de membres que l'armée britannique de soldats.
Une cause puissante. Ni le Premier ministre David Cameron ni M. Miliband ne peuvent déterminer le résultat de l'élection en Ecosse. Tous deux sont curieusement impuissants. Ils ne peuvent faire autrement que d'attendre avec angoisse les nouvelles du Nord qui viendront jusqu'à Londres, et qui pourraient décider de leur sort. Le SNP, qui recueille 40% d'intentions de vote depuis quatre mois jouit d'un important avantage structurel. A la différence de ses adversaires, il défend une cause qui fédère un grand nombre de partisans, et une cause est quelque chose d'extrêmement puissant. Plus fort en tout cas q'un unionisme faible et divisé. A qui d'autre que nous, dit le SNP, pourrait-on faire confiance pour défendre les intérêts de l'Ecosse?
Les unionistes font comme si de rien n'était. A Edimbourg, M. Cameron a affirmé le 20 février que la question constitutionnelle était réglée. Mais en Ecosse personne ne juge que c'est le cas et, si le Premier ministre le croit, il se berce d'illusions. L'autosuffisance des unionistes est leur plus gros problème, après leur incapacité à reconnaître qu'ils en ont un, de problème.
Tous les stratagèmes employés pour tuer le nationalisme écossais n'ont fait que le renforcer. Le transfert de certains pouvoirs du gouvernement britannique à l'Ecosse a abouti à l'élimination du Parti conservateur au nord de la frontière, mais a aussi nourri le nationalisme. L'hégémonie du Parti travailliste en Ecosse avait besoin d'une opposition, et le SNP s'est empressé d'occuper cette place. Le référendum sur l'indépendance a rendu plausible l'idée de sécession. Il a permis d'entrevoir un autre avenir et de le défendre avec un optimisme louable, voire héroïque. Compte tenu des circonstances, il n'est guère étonnant que 45% des Ecossais aient jugé que le risque valait la peine d'être couru. A longue échéance, cela ne présage rien de bon pour l'unionisme. Quant au SNP, c'est justement le long terme qu'il a en tête. Il lui suffit de gagner une fois un référendum sur l'indépendance, tandis que l'unionisme ne peut se permettre une telle défaite.
Second référendum. Bien loin d'être réglée, la question de l'Ecosse est donc plus préoccupante que jamais. Sur le plan de la politique intérieure, elle représente la plus grande remise en cause de l'autorité et de l'assurance de l'Etat britannique depuis 1918, quand le Sinn Féin a remporté une victoire écrasante dans ce qui est aujourd'hui la République irlandaise. Pour des raisons évidentes, le SNP n'aime pas être comparé au Sinn Féin. Néanmoins, il a le même objectif que lui: le démembrement de l'Etat.
Si M. Cameron obtenait un second mandat, il conforterait la théorie du SNP selon laquelle l'Ecosse et l'Angleterre sont des entités si différentes que l'appartenance à la même union politique a de moins en moins de sens. Le SNP a en effet l'intention de demander le divorce pour cause d'incompatibilité d'humeur.
Tant mieux si cela exaspère les électeurs anglais. Alex Salmond, l'ancien Premier ministre écossais, sera envoyé au sud de la frontière pour faire office d'ambassadeur de Nicola Sturgeon dans les studios de télévision londoniens. Son rôle consistera à mener une campagne de guérilla pour semer la discorde et la division. Il ne sera pas facile de résister à ses provocations, d'autant que très peu de conservateurs anglais, dont l'arrogance n'a d'égal que l'ignorance, sont conscients que le vrai ennemi est le SNP et que le Parti travailliste ne représente que l'opposition.
Pour le SNP, les élections générales ne seront qu'une étape. Remporter une majorité de sièges écossais serait un excellent début, mais le parti songe surtout aux élections parlementaires de 2016 à Holyrood. Car s'il remporte la majorité des suffrages l'an prochain, il sera en mesure d'organiser un second référendum. Comment Westminster pourrait raisonnablement s'y opposer si une majorité d'électeurs écossais le revendiquent?
Un autre pays. Puis il y a l'Europe. Si M. Cameron s'assure un second mandat, il tiendra un référendum sur l'appartenance à l'UE. Les Anglais sont plus favorables que les Ecossais à une sortie du Royaume-Uni de l'Union Européenne. Si les Anglais votaient pour sortir de l'Europe et les Ecossais pour y rester, la soif d'indépendance écossaise pourrait s'avérer insatiable.
Il est affligeant que tant de conservateurs anglais soient manifestement plus préoccupés par des menaces de Bruxelles que par celles d'Edimbourg. Un membre de gouvernement l'exprime bien: "L'Ecosse est vraiment devenue un autre pays, je ne cherche plus à comprendre". Et beaucoup ne s'y intéressent plus du tout. Il est évident qu'une large part des conservateurs anglais accepterait l'idée de l'indépendance écossaise si c'était le prix à payer pour une sortie du Royaume-Uni - ou ce qu'il en resterait - de l'UE.
Les suffrages écossais pourraient fort bien déterminer le résultat des prochaines élections générales, mais la question de l'Ecosse, autrement dit la bataille de la Grande-Bretagne, ne sera pas réglée au mois de mai. Les élections ne sont qu'une simple échauffourée avant la bataille de plus grande envergure qui nous attendent. David Cameron aurait donc tort de penser que sa mission en mai est d'atteindre la ligne d'arrivée: son combat ne fera que commencer. Les unionistes devraient éprouver un lourd pressentiment, car les élections seront désastreuses.
Alex Massie, The Spectator, publié le 28 février 2015, in Courrier International, 30 avril 2015.