Vous aussi, apprenez à jouer au Mölkky comme un champion
Jacques Besnard SLATE.FR
24.08.2016
La «pétanque finlandaise» n'est pas qu'un jeu d'apéro mais un véritable sport, avec sa technique et ses calculs, dont les championnats du monde viennent de se tenir en France. Le champion d'Europe de la spécialité nous les explique.
À l’heure de l’apéritif, les puristes lui préfèrent encore la pétanque mais le Mölkky gagne du terrain dans l’Hexagone. Les quilles de ce jeu finlandais fleurissent sur les bords du Canal Saint-Martin, dans les allées des campings, dans les festivals de musique et sur les plages du littoral, invitant souvent les badauds à avoir la même réaction: «Comment vous dites? Le Moulky? Ah oui, mais c’est marrant, tiens donc…»
Jeu de glande par excellence autour d’une bière, le Mölkky, comme toutes les disciplines, a ses experts. Les meilleurs se trouvaient au Rheu, à côté de Rennes, le week-end dernier, où 268 équipes issues de quinze pays différents se disputaient le Graal, le titre de champion du monde, avec à la clef un podium 100% français. L'occasion de parler avec Julien Freneix, 35 ans, champion de France en 2013, demi-finaliste du Mondial 2014 et surtout champion d’Europe de la spécialité en février dernier.
Discipline au nom de table basse Ikea
Quand quelqu’un découvre le Mölkky, s’ensuit bien souvent une explication des règles un peu bancale de la part d'un de ses amis.
«Bon, alors, tu as un gros bâton et tu dois faire tomber les petits bâtons. Si tu renverses la quille 7 et la 3, ça te fait deux points.
–Attends, mais si je touche la quille 7 et la quille 3, ça fait 10, non? Alors que j'ai déjà 47, ça me fait bien 57. Le but c'est pas d'atteindre 50? Mais pourquoi je retombe à 25?!»
Pour ceux qui ont déjà pratiqué, vous pouvez passer au sous-titre suivant. Pour les novices, j'ai un peu de coeur, je vais quand même tenter de vous expliquer (en gros) les règles.
Le Mölkky est un jeu finlandais qui s’inspire d’un jeu traditionnel: le kyykkä. Dans cette discipline au nom de table basse Ikea, les participants envoient une sorte de rouleau à pâtisserie pour faire valdinguer des petits cubes d’un carré. Là aussi se disputent des championnats du monde –dans la neige, parfois, comme sur cette vidéo.
Plus sérieusement, le Mölkky, inventé il y a une vingtaine d'années par une entreprise finlandaise, est un petit peu plus subtil. Avec le gros bout de bois qui donne son nom au jeu, le but est également de faire tomber des quilles en bois et d'atteindre un total de 50 points pour gagner.
Pour arriver à empocher des points, deux solutions:
1) Faire tomber plusieurs quilles. Si vous renversez trois quilles, vous gagnez trois points. Vous en renversez cinq, vous gagnez cinq points, etc.
2) Viser une seule quille, qui rapporte le nombre de points inscrits dessus. Vous renversez la quille sur laquelle il est inscrit le chiffre «3», vous gagnez 3 points. Vous tapez la «5», vous gagnez 5 points.
Attention, d’autres règles qui compliquent le jeu:
1) Vous devez remettre les quilles à l’endroit où elles sont tombées, en les positionnant à la base de la quille et non à la pointe (on a déjà vu des familles s’entredéchirer sur cette question). Le jeu s’écarte donc de plus en plus.
2) Si une équipe ne touche aucune quille à trois reprises, elle perd automatiquement la manche.
3) Si une équipe dépasse le chiffre 50, elle revient à 25.
Pour connaître toutes les règles, le plus simple est d’aller sur le site de la fédération.
Maîtriser le «bâton de berger»
La façon la plus simple de toucher le plus de quilles est le lancer horizontal du Mölkky. Logique. Ca se complique quand la quille qu’on veut toucher se trouve entre deux autres quilles. On peut dès lors tenter ce qu’on appelle apparemment dans le jargon un «bâton de berger», dixit Julien Freneix:
«En France, on tente plus que les Finlandais le bâton de berger, on va prendre plus de risques. Lancer le Mölkky de manière verticale pour taper une seule quille, nous, on le fait très souvent.»
Pour bien maîtriser leurs gestes, les pros du Mölkky essaient de s’entraîner. Il existe, selon Julien, une soixantaine de clubs en France, et c’est évidemment bien mieux en équipe…
«Moi, depuis que je suis parti en province, à Vendôme, je m’entraîne moins. Tout seul, je me fais ch... . J’en ai fait quelques-un là, avant la compétition. En principe, on joue entre potes à Paris. On aime bien faire des parties, des entraînements avec des quilles solitaires, des groupes de quilles…»
Penser plusieurs coups à l'avance
Une fois qu’on maîtrise tous les coups –«En général, à un certain niveau, tout le monde touche quasiment tout le temps»–, il faut miser sur la stratégie pour gagner des points le plus rapidement possible. Et là, comme aux échecs, le but est de jouer en anticipant les coups suivants. Cela tombe bien, Julien Freneix et son acolyte Geoffroy Gourdon se sont connus à l'école et sont tous les deux statisticiens.
«La stratégie est différente quand tu joues au haut niveau. Il faut savoir calculer les points très rapidement. Quand tu joues comme ça, pour le plaisir, tu penses au 50 lorsque tu atteins 40, tu te dis qu’il faut faire un 8 et un 2. Nous, c’est vrai que dès qu'on a 14 points, on commence déjà à calculer nos coups pour arriver à 50. Il faut penser trois coups en avance au minimum.»
Quand on joue au Mölkky, il ne faut pas non plus se focaliser sur son propre jeu mais faire attention à celui de son adversaire. Ainsi, on est parfois tenté d'empocher un maximum de points en dégommant la quille 12. À court terme, ça peut avoir son petit effet. À long terme, ça peut aussi être le moyen de laisser une voie royale à son adversaire.
«Il vaut mieux prendre moins de points sur un coup et choisir une autre quille que d'en prendre beaucoup et d'isoler deux quilles pour une autre équipe...» On vous aura prévenus.
«On joue selon les règles…»
Lorsqu'on est avec des potes, l'ambiance est plutôt détendue. Si vous participez aux championnats du monde, le moins que l'on puisse dire, c'est que ça ne plaisante pas. En tous cas, en ce qui concèrne le règlement. Des jurés sont ainsi spécialement prévus pour ramasser les quilles.
«Tu ne peux pas faire un pas dans le terrain. Tu dois sortir par derrière. Si tu sors sur le côté, pareil, tu es pénalisé. A la pétanque, il y a un rond, au Mölkky, c'est un trapèze en bois qui s'appelle le molkari. Il ne faut pas franchir une ligne fictive sur le côté, ou mordre. Il y a des règles de fou.»
Au Mondial, lorsqu'un joueur mord ou touche le morkari, le point est donc tout simplement annulé. C'est Walter Sobchak, le vétéran coléreux du film The Big Lebowski, qui serait content...
Jouer sur un boulodrome
On peut jouer pratiquement partout à ce jeu scandinave, et même en salle, comme lors des championnats d'Europe, l'hiver dernier en Estonie (oui, l'hiver, il fait froid dans les pays baltes-.
«On a joué dans un gymnase. Si tu tapes le sol avant la quille, le Mölkky fait des sauts d'au moins un mètre. On n'avait jamais joué là-dessus. On s’est adaptés et c'est d’autant plus beau.»
Selon notre spécialiste, la pire surface reste le bitume: «Ça rebondit dans tous les sens et en plus ça abîme le jeu.» L’herbe reste «super sympa si le terrain est plat et qu'elle est tondue.» Le sable dur aussi. Si vous cherchez un terrain optimal, Julien conseille sans hésiter le boulodrome: «Il n'y a pas de caillou.»
Boire ou lancer, il faut (parfois) choisir
Quand on joue avec des amis lors d'un apéro, il y a toujours un champion dans le groupe qui semble mieux jouer à mesure qu'il enfile les verres (et qui charrie en plus). Pour les championnats du monde, Julien et ses amis avaient décidé de louer une maison avec 18 concurrents et copains pour faire aussi la fête. «La picole, ça dépend des joueurs. Certains enchaînent les bières de 10 à 19 heures. La majorité des associations viennent de Bretagne ou des Pays de la Loire, c'est justement peut-être parce que ça boit beaucoup», se marre-t-il.
«Moi, au bout de deux bières, j’en touche plus une. Sur les compétitions, je ne bois pas. Certains arrivent à toucher les quilles. Je ne sais pas comment ils font, je n’ai jamais compris. On a des potes, ils vont souvent loin dans les tournois mais on les chambre car ils échouent tout le temps à la fin. Malgré tout, je pense que sur la longueur, t’as quand même plus de chances de gagner sobre que saoûl.»
La différence, peut-être, entre le bon et le mauvais joueur de Mölkky.
Jacques Besnard