La tradition française n’est plus ce qu’elle était, s’affole le Wall Street Journal. “L’un des grands symboles de la gastronomie française est en danger. Célèbre pour sa forme particulière et son enveloppe croustillante, la baguette risque d’être désormais décrite en d’autres termes : pâteuse et mal cuite.”

Le quotidien américain déambule dans les rues de Paris et sonde des boulangers atterrés. L’un deux raconte que sur les 1 500 baguettes qu’il cuit chaque jour, 90 % ne sont pas mangeables à son goût, car il les retire du four deux à trois minutes trop tôt afin de satisfaire le client.

Quelle mouche a donc piqué les Français ? Le pain est pourtant un pilier de leur culture ! “Même si la consommation de pain en France a décliné depuis les années 1950, le pain est toujours un aliment essentiel”, note le journal. Présent à tous les repas, il est “considéré par beaucoup de
gens comme une extension du couteau et de la fourchette avec lequel on pousse la nourriture dans l’assiette”.

Une mie mal cuite n’est pas assez aérée pour être pénétrée par les enzymes digestifs, d’où un risque de brûlures d’estomac et de flatulences, explique une nutritionniste parisienne. Autre risque : en interrompant la cuisson, on risque d’empêcher “l’effet Maillard”, une réaction chimique qui se déclenche à la fin et à laquelle la baguette doit sa texture et son goût particuliers, explique Steve Kaplan, professeur américain et expert ès baguettes. Arrivé à Paris à 18 ans, il est littéralement tombé amoureux de ce délice français, et lui a voué sa vie. Cette passion l’a mené à la rédaction de plusieurs ouvrages, et lui a valu d’être fait chevalier de l’ordre du Mérite et de l’ordre des Arts et Lettres, comme le relatait en 2011 le même Wall Street Journal, décidément très préoccupé par la cause de la baguette.

 

 

Au diable la baguette !

Au pays de la grande cuisine, le pain industriel taille des croupières aux boulangers.

 

L’heure de gloire du pain de mie est arrivée, du moins en France. Le marché représente plus de 500 millions d’euros par an. A la mi-juin, la plus grande boulangerie industrielle de France a ouvert ses portes à Châteauroux, sur une surface équivalente à six terrains de foot. Cette usine qui appartient à Barilla, le groupe d’agroalimentaire italien, va produire 160 millions de paquets de pain de mie par an, et ce presque exclusivement pour le marché français.

Pourquoi les Français sont-ils soudainement si friands de pain industriel ? Sans doute possèdet-il l’avantage d’être pratique et de se conserver plus longtemps. En France, les femmes sont très nombreuses à travailler, et on a de moins en moins le temps de passer tous les jours à la boulangerie, comme le veut la tradition. Dans les grandes villes, les habitudes ont également changé : le traditionnel déjeuner entrée-plat-dessert est de plus en plus remplacé par le snacking, surtout chez les jeunes. Plus de 2 milliards de sandwichs ont été vendus en France en 2014, dont plus d’un tiers à base de pain de mie et non plus de baguette. L’autre élément de réponse se trouve dans un marketing astucieux. Le pain de mie Harrys se présente comme un American sandwich. « D’inspiration américaine, explique Géraldine Fiacre, directrice marketing de Barilla, la marque reflète la modernité et la liberté. »

 

The Economist (extraits)Londres, 27 Juin 2015. In Courrier International, N°1290, 23 Juillet 2015.