IV. UN MATCH DE BILLARD ADMINISTRATIF
La Place d'Armes de Poitiers en 1859, avant le percement de la rue impériale, un document unique reproduit avec l'aimbale autorisation de Centre Presse.
Le trait tiré par le préfet Mercier-Lacombe, sur le plan de Poitiers, entre le rue du Puygarreau et le côteau de la Visitation, allait provoquer la plus belle discussion de style administratif qui ait jamais opposé au XIXème siècle, la ville de Poitiers à l'autorité préfectorale.
Une véritable rencontre - au sens sportif du terme - eut lieu pendant deux années, dans toutes les règles d'un art qui tenait à la fois de la manille aux enchères et du jeu de billard. Annonces quelque peu surfaites et cartes forcées; longues périodes au cours desquelles chaque joueur marque seul des points tandis que l'adversaire attend la fin de la série en "frottant le procédé", telles nous apparaissent, aujourd'hui, les actions des deux parties en présence.
BILLE-EN-TETE
Or donc, Mercier-Lacombe avait attaqué, bille-en-tête: une Préfecture ici, une rue toute droite, dans l'axe, et, toujours dans l'axe, en face, une mairie...On l'imagine, mettant la mairie de Poitiers au courant:
-Vous m'obligeriez beaucoup, cher M. Grellaud, en voyant de très près cette question de la rue impériale...
Et ajoutant, avec une bonne grâce un peu condescendante:
-Peut-être pourriez-vous par voie de conséquence, si j'ose dire, pressentir une assiette pour votre futur hôtel de ville...
Henri Grellaud avait la soixantaine ombrageuse. Il était grave par complexion naturelle, du fait de son veuvage aussi et, endin, parce qu'il enseignait le droit à la Faculté. Pas de grands besoins et 7000 fr. de rentes déclarées: un certain désir d'indépendance, toutefois, qu'il avait manifesté en 1847 lorsqu'il s'était démis de sa charge de procureur du Roi et qui avait pu apparaître comme une opposition à la monarchie de Juillet. Il administrait la mairie de Poitiers depuis cinq années ayant du pouvoir central qui lui avait, au surplus, donné le décant de la Faculté de Droit.
Le préfet, avec toutes ses façons de colonisateur et cette intempestive manière de surcharger les cartes de géographie comme s'il se fût agit d'un désert africain ou de quelques ardents de porphyre en Provence, le préfet donc, révérence parler, importunait le maire et le doyen Grellaud.
Ce n'est pas que l'association des intérêts combinés de la ville et du département ne méritât une étude mais il y fallait mettre quelques formes et, en tous cas, y consacrer une longue période de réflexion.
UN COUP MASSE
Quand la déclaration de Mercier-Lacombe selon laquelle le nouvel Hôtel de Préfecture ne devait rien laisser à désirer "sous le rapport de la facilité des abords, des dégagements extérieurs, du voisinage et, autant que possible, de l'agrément du site" fut applaudie par le Conseil général, en août 1860, Henri Grellaud sentit peser la menace.
Décidément, le Préfet avait confiance dans la justesse de son premier coup d'oeil et, pressé d'en finir, usait de virtuosité devant un Conseil général complaisant ou obséquieux...
Quand, enfin, Mercier-Lacombe fixa au 1er janvier 1861, terme de rigueur, le vote par le Conseil municipal d'une grande voie de 16m. de largeur allant de la Préfecture à la Place d'Armes, alors Henri Grellaud pensa que ce coup massé, asséné par un joueur expert, ne devait pas rester sans riposte.
Il entreprit de rendre visite à ses conseillers municipaux pour leur exposer ses remarques et son plan.
Alain R. DANY.
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