Mis à jour | 09h27
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Lorsque l'Histoire s'est approchée, les minutes ont semblé s'étendre. Les bateaux-portes séparant l'Hermione du fleuve se sont bloqués dans la vase brune et le ciel est devenu dramatique. Un long frisson a parcouru les 65 000 spectateurs massés le long de la Charente, parfois installés depuis le matin, souvent déguisés, appareils photo déjà dégainés. Une rumeur d'annulation. De «galère La Fayette».
Hier, l'Histoire s'est fait attendre et puis, au son des canons, la réplique s'est détachée lentement, venue du passé et des siècles.
Après quinze ans d'attente, le fleuve prend l'Hermione de son berceau de pierre. Une coque en chêne sans mât dans une eau vaguement marron. La légende oubliera les détails, et cette vedette qui remorque un bateau toujours en travaux. Car si l'Hermione n'est pas encore autonome, ce voilier sans voile à 25 millions d'euros est déjà depuis longtemps le moteur d'une ville entière.
Lancé en 1997, son chantier-spectacle aura attiré plus de 3,5 millions de visiteurs. Un succès populaire impressionnant (273 000 entrées en 2011, record battu) qui arrime depuis quinze ans le destin de Rochefort à la construction de sa figure de proue. «Il n'y a que ça», ironise Kevin Magniet, assureur en centre-ville. L'Hermione et rien d'autre. Ou, pour être juste, l'Hermione et l'industrie aéronautique, EADS installé à quelques mètres de la frégate et qui fait de Rochefort le deuxième pôle économique du département.
«Gagner en notoriété»
Mais, comme en rigole Kevin Magniet, ancien footballeur angoumoisin, à Rochefort, après 18h, «même les chats ne sortent plus». L'arsenal attire beaucoup de monde, et pas seulement l'été, mais hors de lui, la ville sonne parfois un peu creux, un peu vide. Ce n'est pas un hasard si la municipalité et ses partenaires ont investi 900 000 euros pour faire de la mise à flot du symbole local une grande fête de rue, turbulente et nocturne (lire encadré). Comme pour effacer, le temps d'un week-end, une image de cité thermale trop calme, un brin excentrée de la ferveur littorale.
Ce week-end, Rochefort joue gros. Et ne cache pas son ambition: «Gagner en notoriété», «en rayonnement» en France et à l'étranger. Enfin, aux États-Unis surtout. Hier, si 65 000 spectateurs ont regardé une simple coque dériver timidement sous un ciel morose, l'avenir doré de l'Hermione se jouait à New York. Dans les murs du consulat français, trois cents décideurs et porte-monnaie d'entreprises ou de fondations ont suivi en direct vidéo ce premier bain. Côté français, on souhaite ériger le navire en «ambassadeur permanent de l'amitié franco-américaine». Ce rêve américain a déjà un peu de coffre. Un million de dollars récoltés dès à présent pour financer la fin des travaux et le grand voyage prévu pour 2015.
Rochefort-Boston, comme La Fayette, plus de deux siècles après la traversée historique du marquis, parti à 21 ans rejoindre le général Washington et la légende du Nouveau Monde.
En 2015, demain, la ville abandonnera son produit phare. Orpheline pour un temps. Bien sûr, Rochefort restera le port d'attache de l'Hermione, mais le lot des grands moments du présent, comme la mise à flot d'hier, est souvent de projeter sur le futur un peu de vertige.
Alors, Rochefort pense à l'après. Déjà. Et organise cet «écrin de l'arsenal», comme l'appelle le maire, Bernard Grasset. Le projet? Installer dans la double forme de radoub un chantier pérenne de construction, de réparation et d'entretien des vieux gréements. Attirer les Belem et les foules. Encore.
La réussite de l'Hermione a placé la barre très haut et Rochefort sait qu'il arrive aussi à la marée de s'en aller.
Pour l'heure, elle est haute et l'Hermione vogue. Dans son sillage, malgré la vase, l'horizon n'est pas si vague.
Le Belem et la fête jusqu'à demain
C'est un interminable week-end de fête qui se déroule jusqu'à demain soir autour de l'Hermione, visible dès aujourd'hui sur son nouvel emplacement, la forme de radoub Napoléon-III. Une multitude de spectacles et d'arts de rue vont envahir la ville et l'arsenal dans le cadre du festival «Ville en fête».
Plus de vingt-cinq compagnies internationales (espagnoles, italiennes, belges, etc.) ont fait le déplacement en Charente et proposeront en continu dans les jardins et les rues du centre, théâtre, danse, cirque, fanfares et déambulations.
Les festivités se prolongeront ce soir au-delà de minuit. Un pique-nique géant est prévu demain dans le jardin de la marine, près de la Corderie royale.
À ne pas manquer, le célèbre Belem, 116 ans et dernier des grands voiliers français, qui pourra être visité dans le port de commerce.
Toutes les infos sont disponibles sur le site officiel: www.hermione2012.fr