PREFACE
Le titre de ce Dictionnaire indique la pensée qui nous a guidés en l'écrivant. Nous avons voulu que chaque article fût à la fois, autant que possible, une leçon des mots et une leçon de choses. Ces deux sortes de leçons se prêtent un mutuel appui; elles sont aussi nécessaires, aussi intéressantes l'une que l'autre. On s'attache davantage aux mots quand on connaît mieux les choses qu'ils désignent, et réciproquement l'étude que l'on a faite d'un objet donne plus de relief au vocable qui en rappelle l'idée.
Il importe donc tout d'abord de donner une notion exacte de chaque mot, d'exposer son origine, de mentionner les formes successives qu'il a revêtues, de préciser son sens propre et primitif et les significations, souvent nombreuses et fort diverses, qui en ont découlé par une travail inconscient de l'esprit humain; enfin d'en indiquer les différents emplois dans la phrase et de citer les locutions où il figure. Tel est le programme auquel nous nous sommes rigoureusement astreints: pour chaque mot nous donnons l'étymologie quand elle est connue, nous y ajoutons, au besoin, les formes du vieux français pour montrer comment on est passé insensiblement du mot originel au français actuel. Puis vient la signification primitive et fondamentale du mot. Quelquefois ce n'est pas la plus usitée; mais elle a l'avantage de projeter une vive lumière sur les sens dérivés et de faire voir comment ils procèdent les uns des autres. L'explication de chaque acceptation est rendue plus sensible par un exemple familier et à la portée de tout le monde. Si le mot soulève quelque difficulté grammaticale, nous en donnons la solution à l'aide de la méthode historique. C'est ainsi qu'on trouvera, dans notre Dictionnaire, la conjugaison des verbes irréguliers, improprement appelés de ce nom parce qu'ils sont demeurés plus conformes que les autres à l'antique conjugaison française; l'indication du pluriel de tous les noms composés et des noms empruntés aux langues étrangères; des remarques sur l'emploi de nos auxiliaires être et avoir, sur l'orthographe de certains participes passés, sur l'emploi du subjonctif, etc. Nous avons cru devoir faire figurer dans notre ouvrage les locutions latines qui reviennent incessamment dans la conversation ou sous la plume de nos écrivains et de nos journalistes. Nous avons également admis quelques locutions tirées des langues vivantes, particulièrement de l'anglais. Estimant qu'il y aurait profit pour tout le monde, et particulièrement pour la jeunesse des écoles, à lire nos auteurs du XVIè siècle, nous n'avons pas hésité à introduire un certain nombre de mots qui sont de purs archaïsmes. Nous nous y sommes décidés d'autant plus volontiers que plusieurs d'entre eux mériteraient d'être rajeunis et que d'autres ont donné naissance à des familles de mots. Tels sont, par exemple, les mots bandon et aigue. Nous n'avons pas davantage reculé devant l'admission des néologismes consacrés par l'usage courant et par l'emploi qu'en font les écrivains et les savants contemporains.
Préoccupés du désir de voir se vulgariser de plus en plus les découvertes et les principes de la grammaire historique, nous avons traité avec d'assez amples développements certaines questions ordinairement omises dans les dictionnaires. Ainsi, nous avons parlé de l'origine et de la vraie nature de chacune des dix parties du discours; nous avons montré l'influence que l'accent tonique a exercée sur la formation des mots de notre langue et quel rôle considérable il remplissait dans notre versification. Tous les doublets et les diminutifs ont été signalés avec soin. Nous avons consacré des articles spéciaux à nos préfixes et à nos suffixes, comme s'ils avaient constitué des mots indépendants. Enfin, nous avons essayé de formuler les principales règles de la phonétique française. On les trouvera en tête de chacune des vingt-cinq lettres du Dictionnaire et dans les articles relatifs aux familles de consonnes. Nous avons jugé qu'il ne déplairait point aux personnes chargées de l'enseignement de notre langue maternelle dans les écoles de trouver à la fin de chaque mot primitif, ou considéré comme tel, la liste des dérivés et des composés qui en sont provenus, ainsi que celle des homonymes lorsqu'il en existe. A l'égard des synonymes, nous avons usé d'une certaine sobriété, ayant constaté qu'en cette matière on se laissait souvent entraîner à des rapprochements erronés.
Telles sont les observations succintes concernant la partie lexicographique que nous avons tenu à présenter au lecteur. Il nous reste à dire ce que nous avons ajouté partout à la simple définition pour donner à notre oeuvre un caractère encyclopédique, qui en fasse un répertoire utile à consulter chaque fois que l'on a besoin de se remémorer un fait, une date, d'avoir l'explication d'un phénomène naturel, de connaître l'origine, la nature, les propriétés, les usages d'une substance, de remédier à un accident, en un mot d'être renseigné sur tout ce qui peut se présenter dans les mille circonstances de la vie.
En géographie, nous avons esquissé à grands traits la configuration de chaque région du globe, de chaque pays, en prenant pour base sa constitution géologique; car nul n'ignore que le relief du sol, que ses productions, que le caractère même des habitants sont, comme disent les mathématiciens, fonction de cette constitution géologique. On pourra s'assurer que les cartes des cinq parties du monde, des principales contrées du globe, de chacun des départements français et de nos colonies ont été mises au courant des plus récents progrès de l'orographie et de l'hydrographie.
Dans la rédaction des articles d'histoire et de biographie, nous avons puisé aux sources les plus récentes, notamment en ce qui concerne les peuples anciens et les migrations indo-européennes. La mythologie comparée nous a fourni l'explication des principaux mythes.
L'archéologie, cette branche de l'histoire, a été de notre part l'objet d'une attention toute particulière: nous nous sommes efforcés de donner des règles très simples à l'aide desquelles chacun pourra déterminer immédiatement la date de nos admirables monuments du moyen âge.
Il ne faut pas s'attendre à trouver dans ce Dictionnaire un cours complet de mathématiques; mais nous n'avons négligé aucune des applications de cette science. Ainsi la mesure des surfaces et des volumes, le tracé des cadrans solaires, du canevas des cartes géographiques, des principaux membres de l'architecture, des organes des machines, les notions de la perspective, les constructions géométriques auxquelles on a recours dans le dessin linéaire et dans le dessin industriel, y occupent une place proportionnée à leur importance pratique. La physique, la chimie, les différentes parties de l'histoire naturelle (minéralogie, zoologie, botabique, géologie) ont été traitées surtout au point de vue de leurs applications aux besoins ordinaires de la vie. Ce sont les sciences qui, indépendamment de leur haute valeur philosophique, contribuuent le plus au bien-être du genre humain. Elles servent de base à la médecine, à l'hygiène, à l'art vétérinaire, à l'agriculture, au jardinage. Elles nous font connaître toutes les matières premières dont s'alimente l'industrie. Elles nous apprennent à nous loger, à nous vêtir, à nous nourrir confortablement, à prévenir les maladies et à nous soigner quand nous sommes malades. Sur chacune de ces questions capitales nous nous sommes fait un devoir de mettre le lecteur au courant des plus récentes découvertes de la science. C'est ainsi, par exemple, qu'en résumant les beaux travaux de M. Pasteur, il nous a été possible d'insérer dans ce Dictionnaire nombre d'articles aussi utiles qu'intéressants sur les maladies contagieuses causées par des microbes, telles que le charbon, le choléra des poules, le rouget des porcs, etc. D'après le même savant, nous avons exposé tout ce que l'on doit savoir sur les maladies des vins et des vers à soie. Les affections parasitaires des céréales et des autres végétaux produites par des champignons ont été également décrites, et nous avons indiqué avec le plus de précision possible les remèdes qu'on doit y apporter. De même pour le phylloxera dont il est si urgent d'arrêter les ravages dans nos vignobles. Si l'on veut bien examiner les articles qui ont trait à l'agriculture, on verra qu'ils ont été travaillé avec persévérance. Les études sur les animaux domestiques nous ont coûté beaucoup d'efforts. Quand une plante joue un grand rôle dans la vie de l'humanité, nous n'hésitons pas à raconter son histoire en détail. C'est ce que nous avons fait à propos du café, du tabac, du quinquina, de la pomme de terre, etc.
Auant qu'il a dépendu de nous, nous avons essayé de remonter à la souche de nos animaux domestiques et de nos végétaux cultivés, la connaissance de leurs lieux d'origine pouvant fournir de précieuses indications sur la manière de les cultiver. Les propriétés médicinales de nos plantes indigènes mériteraient d'être exactement signalées à cause des services qu'elles peuvent rendre, dans certains cas, à la population de nos campagnes. En même temps que nous mentionnons leurs propriétés, nous mettons le public en garde contre l'emploi des végétaux vénéneux, tels que champignons, colchique, etc. Du reste, tant pour les poisons minéraux que pour les poisons végétaux, nous n'avons jamais omis de citer les meilleurs contrepoisons et d'expliquer de quelle façon il faut les administrer.
Nous nous bornons à ce qui précède dans l'énumération des matières que contient cette édition in-quarto; nous ajouterons seulement que des notions de législation usuelle, d'économie politique et agricole,etc., complètent le cycle de cette encyclopédie dont nous avons eu l'ambition de faire en même temps qu'un livre classique le vade-mecum de tous ceux qui s'intéressent à la science et à ses bienfaits.
Maintenant que la plus vive impulsion est donnée à l'enseignement, tout le monde voudra, après être sorti de l'école, se rappeler ce qu'il aura appris et augmenter encore son savoir.
En terminant, nous adressons nos plus vifs remerciement à notre éditeur, M. Georges Chamerot, qui n'a épargné ni peines ni dépenses pour l'impression et pour l'illustration de ce Dictionnaire. Les nombreuses gravures et les cartes dont il l'a enrichi en font, au point de vue typographique, un spécimen des progrès réalisés dans ces dernières années. Les habiles dessinateurs auxquels M. Chamerot s'est adressé ont pleinement répondu à sa confiance. Les animaux et les plantes ont été reproduits d'après nature par MM. Clément et Millot sous la direction de M. Edmond Perrier, le savant professeur du Muséum. Les dessins d'architecture, de meubles, de machines, etc., sont dus à la plume aussi sûre que délicate de M. Libonis. Le colonel Duhousset nous a prêté son précieux concours pour tout ce qui se rapporte au cheval. Nous avons aussi à témoigner notre gratitude à M. Paul Pelet pour le soin et la précision avec lesquels il a dressé les cartes géographiques dont personne ne méconnaîtra la clarté et l'élégance. Toutes les épreuves ont été corrigées par M. Boutmy dont chacun connaît la compétence.
LARIVE ET FLEURY
Château de La-Queue-lez-Yvelines (Seine-et-Oise),
ce 21 septembre 1884.
Une nouvelle rubrique à venir sur PourquoiPasPoitiers: en prenant appui sur ce dictionnaire datant des années 1880, je vous proposerai, de temps en temps, un mot, un nom, tel qu'il était conçu et défini à la fin du XIXème siècle. Il y a des mots tombés en désuétude, il y a des définitions qui ont changé ou qui de nos jours peuvent paraître totalement scandaleuses (comme pour le mot homosexualité par exemple). Mais au préalable, je tenais à vous proposer cette préface, longue, mais qui définit parfaitement l'ampleur du projet qui avait alors été mené par MM. Larive et Fleury.
Oui, ça sent bon la IIIème République, la place centrale de ce que l'on appelait alors l'Instruction Publique, le désir de permettre à tous de savoir tout sur tout, et un peu plus que tout. Cette matière, je dirais même cette mine d'or, est quasiment inépuisable: chaque tome compte près de huit cent pages. Et il y en a trois!