"PAPILLON" EST MORT
PARIS - Henri Charrière, dit "Papillon", qui vient de s'éteindre à Madrid, avait battu les records de tirage littéraire avec la vente d'une dizaine de millions d'exemplaires de son livre "Papillon".
Henri Charrière, qui avait 66 ans, était un ancien bagnard condamné en 1931 pour meurtre d'un souteneur. Il s'était échappé de Cayenne, affirmait-il, une dizaine de fois, et avait réussi à trouver refuge au Venezuela en 1945. Ayant obtenu la nationalité vénézuelienne, il s'installe dans le pays et, sur des cahiers d'écolier, note toutes ses aventures. Et c'est à la lecture du livre d'Albertine Sarrazin, "L'Astragale", que lui vient l'idée de faire publier ses notes. C'est un succès sans précédent, et l'ex-bagnard gagne une fortune avec la vente de son livre. Evidemment, certains contestent l'authenticité de son histoire, mais Charrière prouve qu'il est un merveilleux conteur. Cet Ardéchois de naissance est devenu célèbre. Il écrit le scénario de "Popsy-Pop", film qu'il tourne avec pour partenaire Claudia Cardinale. Il vit alors avec sa compagne Rita, épousée en Amérique du Sud, dans sa villa de Torreblanca, à quelques kilomètres de Torremolinos, sur la Costa del Sol.
"Banco", deuxième livre de Charrière, est sorti l'année dernière. C'est encore des épisodes de sa vie qu'il y raconte, les moments où il jouait sa liberté et souvent sa vie.
Depuis le 17 octobre 1970, Henri Charrière n'était plus interdit de séjour en France. En effet, un décret du ministre de la Justice avait à cette date levé cette interdiction. Quand à la peine criminelle, elle était couverte par la prescription en raison du temps écoulé depuis l'évasion.
UN HERITAGE COLOSSAL
PARIS - Vingt millions par an, tel est sans doute ce qu'a gagné depuis 1969 - date de sortie du best-seller inspiré de sa vie - Henri Charrière, dit Papillon dans les milieux littéraires et dans le "milieu" tout court. En effet, son seul roman autobiographique "Papillon" (éditions Lafont) s'est vendu à 15 millions d'exemplaires (en 26 langues) dont plus de 1 100 000 en France, 5 500 000 aux Etats-Unis, égalant les records établis par "Le petit prince" de Saint-Exupéry, "Premier de cordée" de Frison Roche, "Autant en emporte le vent" ou les premiers romans de Françoise Sagan et naturellement la Bible.
"Banco", deuxième roman, marche modérément avec un tirage à ce jour de 250 000, chiffre qui comblerait pourtant plus d'un romancier, fût-il prix Goncourt.
A ses droits d'auteur mirifiques (30 millions et demi avec un pourcentage de 10 à 15% sur le prix de vente du livre selon les pays et les tirages) se sont ajoutés les droits télévisés (au Japon notamment) et cinématographiques...
Un phénomène de la littérature
Pour ses essais d'acteur et de scénariste de cinéma dans "Popsy Pop" du Français Jean Herman - qui fut un échec - Henri Charrière a dû toucher près de deux millions dont la moitié en cachets de comédien. Pour le second film franco-américain tiré de son oeuvre la plus célèbre, "Papillon", et que vient de produire Georges Borfman avec Steve MacQueen dans le rôle du bagnard, le seul salaire de "conseiller technique" s'élève pour Papillon à un million. A cela s'ajoutent les droits cinématographiques de l'oeuvre (probablement près de deux millions) et un pourcentage sur les recettes, qui reviendront à ses héritiers. C'est donc près de cinq millions que le cinéma lui a rapporté, en plus des 30 millions et demi de droits littéraires et des revenus - nul doute, substantiels - de sa "boîte" de Caracas.
La générosité de l'ex-bagnard notamment pour ses ex-amis "dans la dèche", le fisc (Il me prend plus qu'à une vedette de cinéma"), la vie somptueuse menée tant en Espagne qu'en Amérique du Sud par Papillon ont certes fait diminuer cette somme fabuleuse, mais on peut évaluer à un milliard d'anciens francs l'héritage du fils de l'humble instituteur ardéchois qui, à défaut de gloire littéraire véritable, restera dans les annales artistiques du XXème siècle comme un "phénomène" relevant d'ailleurs plus de la sociologie que de la littérature et perpétuant au siècle des robots et des fusées l'aventure et l'imagination si prisées par les feuilletonnistes du XIXème siècle.
Comme eux, d'ailleurs, Papillon convenait que son succès prodigieux s'expliquait par le dosage du vrai et du faux: 75% pour le premier, 25% pour le second, avouait-il, à moins que ce ne soit l'inverse.
Centre Presse, début Août 1973.