Que de bruit pour une si petite île ! Tromelin, un petit morceau de terre français d'1 km² au passé tragique, perdu dans l'océan Indien et (presque) dépourvu de ressources, a agité une partie de la droite et de l'extrême droite ces derniers jours. En cause : le débat, programmé mercredi 18 janvier, sur la signature d'un accord avec Maurice, qui lui aurait accordé la cogestion économique, scientifique et environnementale de l'îlot et de ses espaces maritimes environnants.
L'île Maurice revendique la zone depuis 1976. Des négociations bilatérales, ouvertes depuis le début des années 1980 avec la France, ont abouti à un accord en 2010 entre les deux pays, qui devait encore passer par le Parlement. Mais plusieurs personnalités politiques, dont le député du Tarn Philippe Folliot ou le vice-président du Front national Florian Philippot, se sont farouchement opposées au projet. Elles estiment que la France "brade sa souveraineté". Le texte a finalement été retiré de l'ordre du jour de l'Assemblée mardi.
Découverte en 1722 par un navire français, l'île ne sera approchée une deuxième fois qu'en 1761, lors du naufrage d'un navire et l'abandon d'esclaves sur l'île par le capitaine. Huit rescapés ont attendu quinze ans avant d'être récupérés. Franceinfo s'est penché sur le cas de ce minuscule îlot, situé à 535 km au nord de La Réunion et à 450 km à l'est de Madagascar.
Un îlot inhospitalier et difficile d'accès
Le bout de terre est désertique, mais ceux qui y ont vécu considèrent pourtant que l'endroit n'est "pas hostile". A condition de pouvoir en approcher. "C'est l'accès par bateau qui est très compliqué", décrit à franceinfo Max Guérout, un ancien militaire reconverti dans l'archéologie navale, qui s'est rendu à quatre reprises sur Tromelin où l'attendaient sur la terre ferme, quelques palmiers plantés par les scientifiques.
Si la vie sur Tromelin est propice à la réflexion, il n'en est pas de même pour les navires. Les récifs qui entourent l'île les empêchent d'accoster. Un naufrage, raconté par Max Guérout sur le site du Groupe de recherche en archéologie navale (Gran), prouve la dangerosité du lieu. En 1876, un trois-mâts indien, le Atieth Rahamon, parti de Maurice et à destination de Bombay (Inde), s'échoue sans faire de victimes. Les 57 naufragés passent 23 jours à attendre les secours sur l'îlot en fabriquant des tentes avec les voiles du navire pour se protéger des intempéries.
Un matin, ils subissent le passage d'un cyclone. "Le baromètre commence à baisser rapidement et le vent tourne au S.S.E. [sud, sud-est], raconte le capitaine du navire. Partout un rugissement terrifiant et il est absolument impossible à qui que ce soit de résister à la force du vent sans se tenir à quelque chose, au risque d’être emporté et jeté à la mer."
Aujourd'hui, décrit Max Guérout, l'île comprend une demi-douzaine de bâtiments scientifiques et météo, une petite centaine de palmiers, des arbustes... Et c'est à peu près tout. Les plages ne permettent même pas la baignade. Les côtes sont trop franches et la houle trop grosse. Les visites sont rares. Les avions militaires, qui viennent ravitailler l'île tous les 45 jours, utilisent la piste d'aviation. Le vaisseau océanographique Marion Dufresne passe quant à lui deux fois par an.
Où des esclaves ont été abandonnés
Vous pensez encore que l'île peut-être un havre de paix ? L'histoire des esclaves oubliés de Tromelin pourrait vous refroidir. En 1760, raconte l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), le navigateur Jean de La Fargue est chargé par la Compagnie des Indes orientales de ravitailler les colonies françaises de l'océan Indien. Il part de Bayonne à bord de L'Utile, et atteint sa destination, l'île Maurice après 147 jours de voyage. Le navire y jette l'ancre en avril 1761, avant de repartir en juin de la même année. Cap sur Madagascar.
Le capitaine et ses matelots y embarquent 160 esclaves malgaches, avec l'espoir de les revendre pour son compte personnel sur une autre île, Rodrigues, proche de Maurice. Seul frein à son commerce, le gouverneur de l'île a interdit le trafic d'esclaves, pour ne pas avoir à les nourrir alors qu'il fait face à une famine. Pour éviter les contrôles, Lafargue décide de dévier sa route vers le nord. Equipé de deux cartes aux informations contradictoires, et voyageant de nuit, L'Utile s'échoue sur l'île de Tromelin le 1er août 1761.
Dix-huit marins et plus de 70 esclaves, enfermés dans les cales, meurent noyés tandis que le reste des naufragés réussit à gagner l'îlot, où ils s'emploient à construire un radeau avec les débris de l'épave. Deux mois plus tard, l'embarcation est prête. Mais elle est trop petite pour emmener tout le monde. Entre 60 et 80 personnes restent sur l'île et La Fargue promet de venir les chercher. Ils attendront quinze ans. Les autorités, pourtant prévenues, refusent de porter secours à des esclaves obtenus illégalement.
Les oubliés ne s'avouent pas vaincus. Après quelques mois, ils construisent un nouveau bateau, à bord duquel 18 personnes embarquent. "Ils étaient originaires des hauts plateaux de Madagascar, et ne connaissent pas la navigation", précise Max Guérout. Les occupants ne seront jamais retrouvés. Les autres tentent de survivre. "Ils étaient entre 15 et 20 sur l'île pendant une quinzaine d'années. Ils se sont nourris de tortues vertes et d'oiseaux", explique ce spécialiste de l'île.
"Malgré le nombre d’esclaves morts pendant l’aventure, c’est une histoire plutôt positive, estime l'ancien militaire. Les rescapés se sont pris en main, ont recréé une petite société." Les archéologues ont retrouvé la trace de douze maisons en pierre, un type de construction interdit à l'époque à Madagascar car réservé aux sépultures. Les survivants "sont allés contre leurs habitudes devant la nécessité de survivre", note Max Guérout. Les scientifiques ont aussi retrouvé des bijoux créés sur place, signe d'une "vie normale". Pour le feu, des briquets et des silex ont été retrouvés. Les habitants utilisaient le bois de l'épave de L'Utile pour l'alimenter.
Des secours sont finalement envoyés en 1775, mais les opérations sont des échecs, précise l'Inrap. Les bateaux n'arrivent pas à franchir les récifs. Les huit derniers rescapés, dont un bébé de huit mois, ne seront enfin récupérés qu'en 1776 par La Dauphine, commandé par le chevalier de Tromelin, qui donna son nom à l'île. "Ramenés à Maurice, on les a considérés libres parce qu’ils avaient été achetés frauduleusement, retrace Max Guérout. Le bébé, qu'ils appellent Jacques Moïse, sa mère et sa grand-mère sont pris en charge par l’intendant des îles. On ne sait pas ce que sont devenus les autres, mais aucun n'a voulu revenir à Madagascar car en tant qu'anciens esclaves ils avaient peur d'être mal vus."
Francetvinfo.fr, Mercredi 18 Janvier 2017.