Hassan II a fait construire à Casablanca la plus grande mosquée du monde. Visite de la salle des prières par un non-musulman avant l'ouverture au culte.
Par Mahomet, me voilà seul en chaussettes, au beau milieu de la salle des prières de la plus grande mosquée du monde! (1) Devant moi, un tapis de marbre et de travertin de 200m de long. Derrière moi, la direction de La Mecque, symbolisée dans une niche, le mihrat. Au-dessus de ma tête, à 60m, un plafond somptueux, sous un toît ouvrant par forte chaleur. Je me sens écrasé par les colonnes de granit agrémentées d'arcs à stalactites plus impressionnantes encore que celles de nos cathédrales. Et à ma droite, au travers de baies en arc de plein cintre, j'aperçois l'Atlantique!
Sous mes pieds, les vagues clapotent. Saïd Hlimi, l'ingénieur de l'Agence urbaine de Casablanca, chargé de l'entretien et du fonctionnement du sanctuaire, m'explique que je suis effectivement sur l'Océan puisque la structure construite par Bouygues repose sur des pilotis en béton précontraint. "C'est une synthèse, confesse-t-il, de plusieurs civilisations, le fruit que le peuple marocain a pu donner aux générations futures et à l'ensemble de l'Islam."
J'imagine déjà les futures prières collectives du vendredi avec 20.000 hommes agenouillés et 5.000 femmes installées à part sur des mezzanines, protégées par un écran de moucharablehs. Pendant le ramadan, les fidèles d'Allah seront probablement 80.000 sur le parvis. Babylonien!
Au pied du minaret, il faut se tordre le cou pour apercevoir l'extrémité. Si l'on tient compte du lanternon et du jamour, avec ses trois boules symbolisant la Terre, le Soleil, et la Lune, cette tour carrée culmine tout de même à 200m. Belle vue pour le muezzin qui pourra emprunter l'ascenceur panoramique!
Largement dépassées, donc, les mosquées d'Istanbul, du Caire ou de Damas. Allah est grand, toujours plus grand. Certains y ont vu la volonté du roi du Maroc, descendant du Prophète, de se placer en sultan de la Méditerrannée, avec un Islam qui se veut tout de même ouvert et tolérant.
Un rayon laser vers La Mecque
Toujours est-il que la mosquée Hassan II va résoudre au moins le problème de l'obstruction de la chaussée par des fidèles s'y prosternant faute de place dans les édifices du culte musulman.
"Le trône de Dieu était sur l'eau". C'est en s'inspirant de ce verset coranique que Sa Majesté, également commandeur des croyants, a voulu une mosquée quasiment aquatique, sur la partie extrême-ouest du monde arabo-musulman.
Casablanca, la capitale économique, avec ses 3,5 millions d'habitants, fut choisie pour compenser l'édification du mausolée de Mohamed Và Rabat. Bien avant de mouiller dans le port, les marins venus d'Occident verront un phare dont le rayon laser de 30km sera orienté vers la Kaâba, renfermant la Pierre noire apporté à Abraham par l'archange Gabriel.
Avec le mariage de la technologie française des travaux publics et le raffinement de l'art marocain dans la décoration, on peut voir comme un rapprochement des religions. Alors que les uns résolvaient les difficultés des fondations sur fonds marins avec structures antisismiques et mur anti-houle, les autres posaient vingt-deux hectares de marbre du pays, ciselaient 30.000 m² de plâtre selon la tradition de l'époque almoravide et sculptaient les meilleures essences de bois, comme le cèdre de l'Atlas et la loupe de thuya de Berberie.
Côté architecture, la mosquée Hassan II s'inspire de la Koutoubia de Marrakech (en cours de restauration) de la partie ancienne de celle de Rabat et de la Giralda de Séville. L'oeuvre, monumentale de par ses proportions, réconcilie Casablanca, ville peu gracieuse, avec l'art arabo-musulman, lequel connaît un nouveau souffle. Les meilleurs artistes ont inventé une profusion de compositions géométriques dans une harmonie de couleurs chatoyantes, comme ces zelliges - faïence émaillée - qui couvrent les colonnes, les murs et les bassins.
A la lisière de l'ancienne médina, la mosquée va être l'occasion de dessiner un nouveau quartier, renouveau pour une ville tumultueuse en mal de plénitude. "Déjà les touristes manifestent l'envie de la voir" dit Said. Casablanca n'a, il est vrai, les beautés secrètes ni de la palmeraie de Marrakech ni des oasis sur fond ocre de Ouarzazate.
Il est d'ailleurs questions que le roi autorise aux touristes la visite de la salle de prières, chose exceptionnelle au Maroc, depuis l'interdiction prise sous le protectorat du temps de Lyauty. Inch Allah.
Alexis Boddaert
(1) Le sésame pour pénétrer exceptionnellement dans cette mosquée, inaugurée début septembre mais non encore ouverte au culte était: URBAMA. Il s'agit du nom d'un laboratoire de la faculté de géographie de Tours associé au C.N.R.S., qui a signé une convention avec l'Agence urbaine de Casablanca, portant sur la formation en thèses et D.E.A.