Par ici la galette
C'est reparti! Comme chaque année, les Français vont avaler 30 millions de galettes des Rois, dont les trois-quarts sont industrielles. La plus grande usine de galettes au monde est installée chez nous, à Torcé, en Ille-et-Vilaine. Comme "Le Canard" l'avait raconté (22/1/14), cette fabrique industrielle produit à elle seule les 15 millions de galettes surgelées qui garnissent début janvier les rayons des grandes surfaces, mais aussi les vitrines des boulangeries-pâtisseries. La production des 8200 tonnes de pâte fourrée démarre sur les chapeaux de roues dès juillet, pour être stockée en chambre froide puis livrée, à partir de fin décembre, dans 400 semi-remorques.
Mais, au fait, quelle est la différence entre une galette tradi et une galette industrielle surgelée? D'abord, beaucoup de flotte ajoutée à la farine qui sert à faire la pâte feuilletée, et moins de beurre, voire pas du tout, grâce à la margarine. Et aussi: pour le fourrage, on utilise des amendes, mais pas celles qui poussent sur les amandiers! Celles que l'on trouve dans les noyaux d'abricots ou de pêches - un sous-produit de l'industrie de la confiture. Pour compenser l'amertume de ces ersatz d'amandes, on et la dose de sucre, on réhausse d'arômes artificiels, et on gonfle le tout avec de la chapelure.
Bien sûr, ça prend moins de temps à fabriquer. Pour une galette concoctée de A à Z par un vrai boulanger, comptez trois jours entre le pétrissage, le temps de repos de la pâte, le feuilletage, la découpe, le fourrage, le quadrillage, la dorure au jaune d'oeuf et la cuisson. Pour la version industrielle, le "cru prepoussé", comme on dit dans le jargon, le produit est livré tout fait: le boulanger n'a plus qu'à glisser la fève (qui a été fabriquée en Chine) et à personnaliser la déco, avant de l'enfourner dans le terminal de cuisson. Et c'est tout bénef! Achetée sur catalogue environ 6 euros, une dix-parts peut allègrement être vendue en patisseries 25 euros!
Rappelons qu'en France les 30000 artisans boulangers-pâtissiers n'ont aucune obligation de fabriquer eux-mêmes leurs galettes ni de signaler à leurs clients qu'ils approvisionnent leurs vitrines avec du cru pré-poussé industriel. C'est sans doute par pudeur que les livraisons se font souvent en camions démarqués.
On n'a pas fini de se faire rouler dans la farine...
Le Canard Enchaîné (rubrique "Conflit de Canard"), page 5, Mercredi 7 Janvier 2015, N°4915.