Rétrospective
Vingt ans de crises récurrentes
La révolte contre le CPE s'inscrit dans la litanie des crises qui, depuis un quart de siècle, électrisent l'opinion, tétanisent la France et carbonisent ses gouvernants.
Au mois de mars 1984, 800.000 défenseurs de l'école privée manifestent à Versailles contre le projet socialiste de grand service public laïc de l'Education nationale. Le 24 juin à Paris, ils sont plus d'un million et demi sur le pavé, élus de droite en tête, contre la réforme Savary.
François Mitterrand retire le texte, Savary démissionne, suivi par Pierre Mauroy, épuisé après trois ans à Matignon.
Décembre 1986: au lendemain de la mort accidentelle du jeune Malik Oussekine, frappé par des policiers, le Premier ministre Jacques Chirac retire le projet d'Alain Devaquet d'autonomie accrue des universités, après des nuits d'agitation et de manifestations. Le ministre démissionne. La droite s'effondre dans les sondages.
Le gouvernement Chirac doit aussitôt faire face à une crise sociale: la France est paralysée par une grève générale des transports, qui se dénoue par des concessions salariales contraires aux objectifs de rigueur économique.
Après le retour de la gauche, d'autres catégories sociales contraignent le gouvernement à céder à la rue: aux infirmières d'abord qui se mobilisent à l'automne 1989; aux lycéens, un an plus tard, qui obligent Michel Rocard et son ministre Lionel Jospin à improviser une coûteuse "réforme des lycées". Aux agriculteurs enfin, qui défient l'ordre public en septembre 1991 contre la réforme de la politique agricole commune et engrangent de nouvelles subventions. A chaque fois, le déficit budgétaire se creuse.
En janvier 1994, c'est la guerre scolaire à l'envers: le camp laïc fait défiler un million de personnes contre la révision de la loi Falloux sur le financement de l'école privée. Edouard Balladur et son ministre François Bayrou évitent l'humiliation du retrait grâce à la censure du Conseil constitutionnel.
En mars 1994, le Premier ministre doit retirer cette fois une réforme sociale importante, "le contrat d'insertion professionnelle" (CIP), après cinq semaines de manifestations estudiantines qui dénoncent ce "Smic jeunes".
Son successeur Alain Juppé doit faire face à une fronde sociale encore plus puissante un an plus tard avec les grandes manifestations contre les réformes des régimes spéciaux de retraites du secteur public et de la Sécurité sociale. La défaite de la droite, dix-huit mois plus tard aux législatives est largement imputée à cette crise.
Après les années de croissance et d'apaisement social du gouvernement Jospin (1997-2002), dénoncées par la droite comme dispendieuses et perdues par rapport à l'urgence des réformes nécessaires (retraites, sécurité sociale, rigueur budgétaire), la rue gronde de nouveau tout au long du premier semestre 2003 contre les réformes Raffarin-Fillon des retraites.
"La hargne, la rogne et la grogne"
Six journées de mobilisation nationale massive n'entament pas le gouvernement qui fait adopter des textes moins ambitieux que les objectifs affichés mais perd toutes les élections intermédiaires (cantonales, régionales et européennes).
En mars 2005, une nouvelle génération de lycéens découvre le frisson de la rue contre la réforme scolaire de François Fillon qui sauve la face en faisant adopter un texte largement vidé de son contenu.
En mars 2006, Dominique de Villepin affronte à son tour "la hargne, la rogne et la grogne" jadis dénoncées par de Gaulle. Et il joue, lui aussi, sa crédibilité et son destin politique dans ce psychodrame à la française.
La Nouvelle République, Lundi 20 Mars 2006.
ARCHIVES - Vingt ans de mobilisations étuidantes et lycéennes
Ils ont fait plier le gouvernement
Devaquet en 1986, Baladur en 1994, Fillon en 1995 et Ferry en 2003. En vingt ans, des mobilisations étudiantes et lycéennes ont contrecarré les plans du gouvernement à plusieurs reprises.
Devaquet 1986. Le gouvernement Chirac entend réformer l'enseignement supérieur pour donner plus d'autonomie aux universités. Trois points de la loi "Devaquet" crispent les étudiants: une plus grande liberté accordée aux universités pour choisir leurs étudiants, un allègement du cadrage des diplômes et la modulation du montant des droits d'inscriptions. Les facultés se rebellent. A Poitiers, le mouvement démarre le 24 novembre avec une grève des cours. Le 27 novembre, première manif à Poitiers avec 6000 jeunes dans les rues. Le 1er décembre bloquent les péages de l'A10. Le lendemain, ils occupent le palais de justice. Le 4 décembre, 5000 manifestants défilent à Poitiers alors que 1200 autres sont partis à Paris pour "la plus grande manif étudiante que la capitale ait jamais connue". Ministre de l'Education nationale, René Monory annonce le retrait de la loi le soir du 5 décembre en direct sur les trois chaînes de télévision. Le lendemain, on apprend la mort d'un jeune étudiant, Malik Oussekine, frappé par la police lors de la grande manif. Les 8 et 10 décembre, à Poitiers et partout en France, des cortèges silencieux rendent un dernier hommage au jeune homme.
Balladur 1994. Fin février, le gouvernement d'Edouard Balladur signe deux décrets qui donnent naissance au CIP (Contrat d'insertion professionnelle), un contrat spécifique aux jeunes de moins de 26 ans, titulaires d'un bac +2, qui pourraient être embauchés moyennant un salaire égal à 80% du Smic. La révolte démarre au quart de tour pour dénoncer "le Smic jeunes". A Poitiers, une première manif rassemble étudiants et synidcats de salariés dès le 4 mars. Ils sont un millier six jours plus tard, puis 2500 le 17 mars et encore 2000 à crier "Balladur retire ton CIP" le 29 mars. Quelques jours plus tard, le gouvernement abroge les décrets en question.
Fillon 1995. François Fillon veut réformer les IUT. A Poitiers, le 8 février, les IUTieens décrètent la grève illimitée et descendent dans la rue à plusieurs reprises les jours qui suivent. Le projet Fillon est retiré.
Ferry 2003. Luc Ferry veut une loi sur l'autonomie des universités. Mais doit aussi gérer la décentralisation des personnels de l'Education nationale et écrire la loi "sur le voile". Trop pour un seul homme. En octobre, les étudiants sont dans la rue. La loi sur l'autonomie des universités part aux oubliettes.
Centre Presse, Mercredi 29 Mars 2006.