Pas un rond pour les sauteuses
IMAGINEZ la scène: le 26 janvier 2008, à 6 heures du matin, Claudette dort à poings fermés, tranquille, lorsque sa porte est défoncée à coups de boutoir, avant d'exploser dans un fracas de tonnerre. Dans ce quartier de Pontoise où règne le deal, elle a peur et se précipite sur le balcon. Elle appelle: "Au secours, à l'aide!" Personne ne répond. Et derrière elle se rapprochent des pas lourds.
Affolée, elle saute du 3è étage et se brise en morceaux. Elle était femme de ménage, elle est handicapée à vie, en chaise roulante. En fait, les intrus n'étaient que de braves policiers à la recherche d'un méchant prénommé Jimmy. Aucun rapport avec Claudette, sauf un même nom de famille et une même rue. Après cette grosse bavure, Claudette s'est adressée à la justice réclamant 1 million d'euros pour elle et pour ses enfants, obligés de s'occuper d'elle en permanence. Son avocat, Sébastien Mabile, s'appuie sur une jurisprudence élaborée par la Cour de cassation, "afin d'indemniser les victimes de balles perdues au cours de fusillades policières, et qui a été élargie aux opérations policières dites dangereuses"...
Mais, le 3 avril, la cour d'appel de Paris a revisité l'histoire à sa manière: "Les policiers se sont annoncés officiellement pour demander d'ouvrir la porte et en se sont résolus à l'enfoncement de celle-ci que faute de réponse". Bah oui, ça tombe sous le sens: elle n'avait qu'à ne dormir que d'une oreille et entendre ces annonces "officielles". Et quelle trouillarde, cette bonne femme qui "a cédé à une peur irraisonnée, qui, seule, l'a poussée à se jeter du haut de sa fenêtre"! Tout est de sa faute. Pas un rond de dédommagement. Me Mabile a formé un pourvoi en cassation " dans l'espoir que cette malheureuse femme soit enfin indemnisée".
Ce n'est pas la première fois que les juges semblent avoir un léger problème avec la terreur féminine "irraisonnée".
En octobre, "Le Canard" avait raconté la décision emplie d'humanité des magistrats de la Commission d'indemnisation des victimes '(Civi) de Douai face à une femme qui, violée sous la menace d'un poignard, 'n'avait dû son salut qu'à un saut par la fenêtre: "Mme X n'a pas été victime de défenestration de la part de la personne mise en cause, avait estimé la Civi, elle a sauté volontairement par la fenêtre". Résultat: pas un sou pour la dégonflée. Elle s'est "volontairement" balancée dans le vide; les juges qui eux, sont si courageux, n'auraient jamais sauté et eux s'en balancent.
D.S.
Le Canard Enchaîné, Mercredi 9 Mai 2012, N°4776.