- Den |
- Iryna Yehorova |
- 9 novembre 2012
Pour aller plus loin sur le sujet: un ouvrage émouvant, difficile, mais de grande qualité d'Igort (publié en français en 2010), relatant les parcours de plusieurs Ukrainiens, du temps où celle-ci fut incorporé à l'URSS. Injustice, trahison, criminialité, dictature. Avec un passage assez court mais poignant sur la famine planifiée de 1932-1933, épisode nommé "Holodomor", et qui a vu la mort d'environ, selon les sources, 2,5 millions à 5 millions d'individus. Politiquement justifiée en haut-lieu par la "dékoulakisation", c'est-à-dire l'expropriation des biens, des proporpiétés privées des paysans, dans le cadre du programme communiste de lutte des classes.
IRYNA YEHOROVA Pour beaucoup, la famine de 1947 n'est pas avérée.
YEVHEN HRYNIV Elle a pourtant bien eu lieu. En 1946-1947, l'Holodomor [l'extermination par la faim] a touché la Bessarabie [l'actuelle Moldavie], une partie de la Bucovine et l'ouest de l'Ukraine. Cette famine a été provoquée par une collectivisation effrénée. Les équipements agricoles et les semis étaient confisqués et transférés dans les fermes collectives, lesquelles ne parvenaient pas à s'organiser. Des centaines de milliers de basaraby, comme on les appelait dans l'ouest de l'Ukraine, se sont répandus, à demi-morts, en Galicie. Ils étaient si nombreux et dans un tel état de dénuement qu'il était pratiquement impossible de les aider. Bien sûr, les gens leur donnaient ce qu'ils pouvaient, mais ils avaient peur de les loger pour la nuit, ils avaient peur des maladies, de la saleté, des poux, etc. Poussés par le désespoir, ces gens étaient prêts à tout. Les autorités ne s'en occupaient pas. Le seul service qu'elles assuraient consistait à envoyer des employés municipaux qui, chaque matin, passaient avec des charrettes récupérer les morts. On a du mal à imaginer de telles horreurs aujourd'hui.
On dispose cependant de preuves, sous forme de documents que nous avons par exemple réussi à retrouver dans les archives du Parti communiste de l'oblast de Lviv. Comme cet extrait d'un rapport du secrétaire du comité local envoyé à Lazare Kaganovitch, secrétaire du Comité central du Parti communiste ukrainien : "Dans les dix derniers jours de juin 1947, la lutte des classes s'est durcie, les koulaks opposent une résistance acharnée (agitation contre les fermes collectives, sabotage et actes de terrorisme) [...] L'OUN [l'organisation nationaliste] endoctrine les gens, distribue des tracts et lance des appels. [...] La lutte est rendue plus difficile par le fait que nos activistes ont été infiltrés [...]. Des représentants individuels de l'ennemi de classe ont infiltré les Jeunesses communistes et démoralisent nos militants."
Un autre extrait est encore plus révélateur. Il provient d'un rapport adressé par le responsable de la santé publique de l'oblast au secrétaire du Comité central de Lviv : "On constate une hausse brutale du nombre de personnes en transit, qui arrivent à Lviv à bord de trains de marchandises. Dans la nuit du 20 mars 1947, plus de 2 500 d'entre eux étaient rassemblés à la gare de Lviv. Tous ces gens campaient sur la place de la Gare. [Ils constituent] une menace et risquent de répandre le typhus. La majorité des spéculateurs sont infestés de poux ... il y a des femmes et des enfants. [...] Compte tenu de leur nombre croissant, il devient urgent de leur interdire temporairement de quitter l'ouest de l'Ukraine."
Mais beaucoup ne pouvaient plus bouger, ils étaient épuisés et malades, et nombre d'entre eux sont morts. A partir de 2005, nous avons procédé à des fouilles, et nous avons mis au jour leurs restes. La majorité était des hommes, plusieurs avaient été tués d'une balle dans le crâne. Un examen balistique a montré qu'ils avaient été abattus alors qu'ils gisaient, prostrés. Selon nous, ils ont dû jeter les morts et les mourants dans des fosses, et ils ont sans doute achevé à coups de pistolet ceux qui vivaient encore.
En 1946-1947, l'armée a commencé à enterrer les cadavres à l'extérieur de la ville. Nous connaissons les noms des victimes. Dix-huit pour cent d'entre elles étaient accusés d'avoir des liens avec l'OUN et l'UPA [l'Armée insurrectionnelle ukrainienne, les partisans nationalistes], les autres étaient des civils, des gens arrêtés pour spéculation (toute vente privée était considérée comme de la spéculation), travail au noir ou incapacité à atteindre les quotas. Par exemple, un homme avait mélangé du sable à sa récolte parce qu'il n'avait pas de quoi atteindre la quantité fixée par les autorités. Il a été pris, condamné à sept ans de prison, et finalement exécuté.
Nous sommes là en présence d'actes sauvages et barbares, car parmi les victimes se trouvaient des adolescents et des enfants. Il ne s'agissait pas d'opérations contre l'OUN et l'UPA, mais de la destruction des populations civiles. Selon certaines estimations, l'Holodomor de 1946-1947 aurait coûté la vie à près de 900 000 personnes.
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