Une heure et demie de conversation avec une haute fonctionnaire s’apprêtant à diriger le cinquième acteur mondial du transport public et pas une minute de langue de bois ! D’ailleurs, Elisabeth Borne, directrice de cabinet de Ségolène Royal jusqu’à la semaine dernière, et nouvelle patronne de la RATP depuis hier, n’a pas donné rendez-vous sous les ors d’un ministère, mais au restaurant de l’Entrepôt, un cinéma du XIVe arrondissement de Paris. «Je vis ici. J’aime mon quartier», dit simplement celle qui prend le métro. D’accord, mais en trente ans de métier, on n’avait jamais vu une personnalité aussi haut placée proposer un rendez-vous aussi normal.
Le langage va avec. Là où, à la veille d’occuper un poste prestigieux, ses homologues affirment : «J’ai conscience du défi» ; Elisabeth Borne dit : «J’en ai très envie.» Cette franchise ne l’empêche pas d’avoir toutes les qualités requises pour prendre la tête d’une maison de 45 000 salariés, qui fait rouler le métro parisien, quelques réseaux en région et à l’étranger et exporte à tout-va son savoir-faire. C’est la deuxième femme nommée à la tête d’une grande entreprise publique par François Hollande (après Stéphane Pallez, à la Française des jeux). Jusqu’à présent, dans l’histoire de la régie, seule Anne-Marie Idrac avait occupé le siège de présidente. On peut espérer que le ministère des Finances lui accordera les mêmes émoluments qu’à son prédécesseur masculin, Pierre Mongin (300 000 euros annuels, plus une participation aux résultats).
Le CV d’Elisabeth Borne est parfait. «Elle coche beaucoup de cases», admet-il. X-Ponts, ministère de l’Equipement, cabinet de Lionel Jospin, puis de Jack Lang à l’Education nationale, Matignon, avec Lionel Jospin à nouveau, directrice de l’urbanisme à la Ville de Paris, sous Bertrand Delanoë, sans compter les détours par la Sonacotra, logeuse des plus précaires, la SNCF, un bref passage chez Eiffage, un poste de préfète de région en Poitou-Charentes. Enfin, directrice de cabinet de la ministre du Développement durable, Ségolène Royal. A part l’Opinion, qui lui trouve un profil de «serviteur loyal de la nomenklatura rose», façon de lui reprocher son ancrage à gauche, la presse n’est qu’éloges au sujet d’Elisabeth Borne.
Quant à l’entourage, c’est l’avalanche. A l’exemple d’Anne Hidalgo, maire de la capitale : «Une fille extraordinaire, épatante, humaine, une bête de travail incroyable.» Anne Hidalgo était adjointe à l’urbanisme quand, en 2008, elle a recruté Elisabeth Borne dans une ville où bâtir est mission impossible. Mais Borne, «c’est une assurance tout risques, dit la maire de Paris, ce que la méritocratie républicaine peut produire de mieux». Une bonne élève de la classe moyenne, dont les parents dirigeaient un laboratoire pharmaceutique taille PME, repérée par l’école et poussée, raconte l’intéressée, «par des gens qui voulaient que leurs enfants fassent mieux qu’eux».
Tous ceux qui en parlent admirent surtout la performance de la tenace madame Borne qui a survécu plus d’un an au poste de directrice de cabinet de Ségolène Royal. Cela déclenche chez elle un sourire. Mais pas plus. Qu’on ne compte pas sur elle pour dégoiser sur le personnage fantasque qu’est parfois l’ex-compagne du chef de l’Etat. Les gazettes écrivent que la présidente de Poitou-Charentes et la préfète de région se sont plu, d’où l’attelage ultérieur au ministère du Développement durable. Une relation amicale ? «Professionnelle», rectifie Elisabeth Borne. Qui explique : «Nous avons des modes de fonctionnement assez différents. Moi, je suis, comment dire… ingénieure. Mais, ce que j’apprécie chez elle, c’est qu’elle fait de la politique.» On serait tenté d’ajouter «en effet…», mais pas si vite. «La volonté politique est de plus en plus nécessaire, plaide Elisabeth Borne. Le rôle de l’administration est de proposer des choix pour la décision», même si la complexité des règles ne facilite pas le travail ni pour les administrations ni pour les politiques.
Elisabeth Borne l’a mesuré en 2013, quand elle a été préfète, le seul poste de la République où l’on s’occupe de tout. «Une superexpérience», résume-t-elle avec ses mots de tout le monde. «Un tournant étonnant dans une carrière», jugent certains médias. Partir en région, quand on a dirigé, pendant cinq ans, l’urbanisme de la plus grande ville de France ? Oui, justement. «C’est dans ces postes que l’on voit à quel point il y a deux France, dit cette vraie parisienne . En Ile-de-France, les emplois finissent toujours par arriver. En Poitou-Charentes, les porteurs de projets, vous les cherchez.» Quand ils en trouvent, les fonctionnaires «sont écrasés par les règles. Ils ne sont pas heureux. Ce n’est pas drôle d’être l’empêcheur de tourner en rond». Du vécu.
La future patronne du métro aime «l’opérationnel», la vraie vie en somme, et a fait quelques détours de carrière pour ne pas la perdre de vue, comme à la Sonacotra, à la SNCF ou même chez Eiffage, pur privé. A cet égard, la RATP s’annonce prometteuse, avec des ennuis en pagaille.
Pour la vie tout court, cette travailleuse de fond s’en tient à une «hygiène mentale». Se permettre «de voir des amis, la famille, d’aller au cinéma, au théâtre». De lire «des romans parce qu’avec les essais, vous restez au bureau». Elisabeth Borne a été mariée, a divorcé, vit avec quelqu’un, a eu un fils de sa première union. Elle a été étonnée de ne découvrir que 20% de femmes dans les effectifs de la RATP. «C’est très bas. Aujourd’hui, il y a quand même un partage des tâches…» Elle reconnaît, néanmoins, qu’avoir eu un mari enseignant-chercheur, alors qu’elle abattait les heures dans les cabinets ministériels, représentait une conjoncture favorable.
Un jour de 2008, cette femme normale est arrivée à la tête du destin urbain de Paris. Après deux maires de droite et une collection de fonctionnaires oubliés, la voilà perchée en haut de l’immeuble administratif Morland, qui domine la ville. Le fantôme du baron Haussmann plane-t-il ? Elle rappelle d’abord le «brutal» du bonhomme . Mais quand même. «Dans ce bureau du dernier étage, avec la plus belle vue sur Paris, regarder tout cela, ça rend modeste.» D’Elisabeth Borne, Anne Hidalgo dit qu’ «elle a changé Paris». Sans le brutaliser.
A «l’X», on demande aux élèves si leur père ou grands-pères ont été polytechniciens. La mère d’Elisabeth Borne était normande. Son père, un Juif d’origine russe d’une famille réfugiée en France en 1939. Résistant, déporté en 1942, il est mort en 1972. Quand Elisabeth Borne, préfète, a remis pour la première fois à un citoyen son décret de naturalisation, elle a été un peu remuée. «Que moi, la fille de ce réfugié apatride, qui n’a été français qu’en 1950, j’accomplisse ce geste, cela disait quelque chose sur l’intégration.» Sur la République aussi.
18 avril 1961 Naissance à Paris.
1991 Conseillère au ministère de l’Education nationale.
1997-2002 Conseillère de Lionel Jospin, Premier ministre.
2002-2007 SNCF.
2008-2013 Directrice de l’urbanisme à Paris.
2013 Préfète de région.
2014 Directrice de cabinet de Ségolène Royal.
20 mai 2015 Nommée présidente de la RATP.