La libre circulation imposée par la Cour européenne le 15 décembre 1995 devait rendre leur liberté aux footballeurs. Mais les clubs ont rapidement contourné la loi pour démultiplier les transferts.
Le 15 décembre 1995, à Luxembourg, la Cour de justice des communautés européennes donne raison au joueur belge Jean-Marc Bosman dans la bataille judiciaire qui l’oppose à son ancien club, le RCF Liège, et à l’UEFA (Union des associations européennes de football). L’arrêt Bosman permet aux footballeurs d’être libérés à la fin de leur contrat et autorise leur libre circulation en Europe. «Nous avons sorti le champagne, c’était une grosse victoire, se rappelle le Néerlandais Theo Van Seggelen, secrétaire général de la Fifpro, le syndicat mondial des footballeurs. Nous avons pensé: “Maintenant, le monde du football va changer.” Mais vingt ans après, je dois avouer que c’est encore pire qu’avant.» Pourtant, Theo Van Seggelen a d'abord cru à la naissance d’un football où les joueurs seraient rois: «Dans les deux premières années, les salaires ont plus que doublé pour les meilleurs joueurs. Les joueurs, à la fin de leur contrat, pouvaient désormais choisir leur club. Et les clubs, qui craignaient de perdre leurs joueurs, ont signé des contrats de plus long terme. Cela a offert plus de stabilité aux footballeurs.»
Si les salaires grimpent, c’est aussi que, depuis le début des années 1990, les grands championnats ont ouvert les bras à la télévision payante. «La conjonction de deux facteurs, juridique et économique, amène une concentration de talents et des inégalités de plus en plus fortes», analyse Raffaele Poli, responsable du Centre international d’étude du sport (CIES). Les clubs les plus riches profitent de la libéralisation et la part de joueurs étrangers dans les cinq championnats majeurs passe de 14,7 % en 1995 à 35,6 % en 2000. L’arrêt Bosman joue un rôle d’accélérateur de la mondialisation des transferts et de l’explosion des indemnités. «Personne n’a anticipé la spéculation qui allait dénaturer le système des transferts», estime Raffaele Poli.
Le système devient «hyper-spéculatif» et profite surtout à une «petite élite» de joueurs, de dirigeants et d’intermédiaires, note le chercheur. Pour Luc Misson, l’ancien avocat de Jean-Marc Bosman, les excès de ces dernières années tiennent au fait que la Cour de justice n’a posé aucune règle de concurrence dans son arrêt. «Il aurait fallu veiller à ce qu’il n’y ait pas d’abus de positions dominantes de la part de certains clubs ni des accords qui faussent la concurrence. (…) On ne peut pas laisser les entreprises faire entre elles ce qu’elles veulent. Les clubs ont fait ce qui les arrangeait, et les plus gros sont arrivés à dominer un marché mondialisé à leur profit.»
Pour freiner la spéculation, la Commission européenne, la FIFA et l’UEFA se mettent pourtant d’accord en 2001 sur un certain nombre de règles. Les joueurs de moins de 28 ans bénéficiaires de longs contrats devront effectuer au moins trois saisons consécutives dans le même club avant de le quitter – deux saisons pour les plus de 28 ans. S’ils quittent leur club avant, une indemnité est fixée en fonction de critères objectifs (salaires restant, statut international, etc.). Ces règles seront vite détournées par les clubs. Les footballeurs deviennent de vrais nomades. En 2014, un joueur restait, en moyenne, deux ans et demi dans le même club, une durée qui baisse chaque année. Très peu de joueurs vont au terme de leur contrat, leurs clubs les poussant à les renouveler régulièrement pour s’assurer une indemnité de transfert.
Yann BOUCHEZ
15 Décembre 2015. Pris sur letemps.ch
Un rappel du contexte. En effet, 1995 marque une césure totale dans le football en Europe créeant une sorte de ligue fermée pour les clubs les plus riches.
Le 8 août 2010, le joueur belge Jean-Marc Bosman, en conflit avec son ancien club, saisissait le tribunal de Liège. Le début d'une affaire qui allait bouleverser à jamais le paysage footballistique.
Pour conclure, voici l'arrêt rendu par la Cour de Justice de l'Union Européenne le 15 décembre 1995 qui va tout changer, ce fameux arrêt Bosman tant évoqué par beaucoup que peu ont lu ne serait-ce qu'une fois.
LA COUR
statuant sur les questions à elle soumises par la cour d'appel de Liège, par arrêt du 1er octobre 1993, dit pour droit:
- 1)
- L'article 48 du traité CEE s'oppose à l'application de règles édictées par des associations sportives, selon lesquelles un joueur professionnel de football ressortissant d'un État membre, à l'expiration du contrat qui le lie à un club, ne peut être employé par un club d'un autre État membre que si ce dernier a versé au club d'origine une indemnité de transfert, de formation ou de promotion.
- 2)
- L'article 48 du traité CEE s'oppose à l'application de règles édictées par des associations sportives selon lesquelles, lors des matches des compétitions qu'elles organisent, les clubs de football ne peuvent aligner qu'un nombre limité de joueurs professionnels ressortissants d'autres États membres.
- 3)
- L'effet direct de l'article 48 du traité CEE ne peut être invoqué à l'appui de revendications relatives à une indemnité de transfert, de formation ou de promotion qui, à la date du présent arrêt, est déjà payée ou est encore due en exécution d'une obligation née avant cette date, exception faite pour les justiciables qui ont, avant cette date, engagé une action en justice ou soulevé une réclamation équivalente selon le droit national applicable.
- Vous pouvez retrouvez l'intégralité des "considérants" qui ont abouti à ce jugement sur le site europa.eu