Les étudiants s'invitent au conseil
Faute de place, bon nombre des étudiants venus manifester hier soir devant le conseil municipal n'ont pas pu entrer. Une manifestation dans le calme - si ce n'est un agité - et qui a ravi la majorité municipale.
Les étudiants auraient voulu interpeller la représentante de l'UMP. En l'occurrence Jacqueline Daigre. Jacques Santrot a répondu qu'elle était ici en tant qu'élue municipale et non comme représentante d'un parti politique.
En fait, le débat sur le CPE a bien eu lieu. Mais au tout début du conseil à 18h. Jean-Jacques Guérin a exprimé le soutien du PC à la lutte des étudiants, son opposition "totale" au CPE comme au CNE, et exigé son retrait "immédiat" avant de demander "que le CDI reste la norme du contrat de travail et que les contrats précaires soient dument réglementés et limités aux cas exceptionnels."
Précarité pour les uns, rentes de situation pour les autres
Jean-Claude Bonnefon, adjoint au maire et président de la Mission Locale, s'est dit "effaré par la situation de précarité faite aux plus pauvres et les rentes de situation offertes aux plus riches."
Eric Joyaux, puis Robert Rochaud (les Verts) ont critiqué Jacques Chirac "qui casse tout ce qui a été mis en place depuis un demi-siècle dans le domaine de la protection sociale. Et généralise les coups de force permanents."
Pour Catherine Coutelle (PS) la situation actuelle est "ubuesque": "Il existe déjà 21 contrats pour les jeunes. pour un de plus, on met la nation en situation de blocage." Elle a même parlé de "situation révolutionnaire."
"Ce gouvernement cultive l'insécurité", a ajouté Maurice Monange. Et Jacques Santrot a carrément déclaré au sujet du gouvernement: "Si certains de ces gens-là avaient vécu en 1920, ils auraient envoyé les gosses de 14 ans à la mine." Il a réitéré son propos un peu plus tard.
Jacqueline Daigre (opposition) a invité les élus "à ne pas diaboliser le CPE". Michel Bodin (PC) a dénoncé la précarité grandissante: "Poitiers comptait 2.636 allocataires du RMI en 2004, 2.838 en 2005."
Le débat sur la politique gouvernementale a rebondi quand Michel Touchard, adjoint au maire, a évoqué la circulaire Sarkozy sur l'expulsion des étrangers. réaction du maire: "Si ce avait été écrit dans les années trente, celui qui l'a rédigé n'aurait pas été autorisé à entrer en France." Silence dans la salle.
Manifestations et blocus la semaine prochaine
Manifestations et présence aux portes ouvertes de l'université ce week-end, grève et blocus annoncés la semaine prochaine: les étudiants ne veulent pas relâcher la pression.
Une manifestation et une action ce week-end, une autre manifestation et un blocus en prévision la semaine prochaine: la coordination d'hier a vu les étudiants déterminés à ne pas relâcher leur pression au moment où la question des examens de fon d'année se pose de façon accrue. Position maintenue, donc, mais le nombre de présents s'est réduit hier: beaucoup ayant préféré le barbecue installé fac de lettres à la réunion. "On a 9 jours pour changer la donne, le temps dont Chirac dispose pour faire un moratoire. Il va falloir taper très fort", résumait Julien Vialard. Action donc. De manière festive aujourd'hui: 1er avril oblige, les étudiants cont manifester en faisant passer leur revendications par le biais de déguisements caricaturaux, de paneaux pro-CPE, etc. Ils comptent également organiser une action lors des portes ouvertes de l'université.
La semaine qui s'annonce sera nettement moins ludique. Lundi, une charte de soutien du mouvement étudiant et lycéen sera signée par six partis de gauche (PS, MCR, LCR, PCF, Verts, Alternatifs). Mardi, un appel national à la grève a été lancé, par les étudiants et par les organisations syndicales et politiques. Tous veulebt que la journée soit d'ampleur aussi importante que celle du 28 mars (Des tracts vont être distribués ce week end).
Et mercredi, la coordination compte bloquer la ville. "Nous souhaitons rendre le blocus national. Nous avons déjà contacté certaines villes".
A.N.
Manifestations
Des réactions de colère
Des centaines de militants anti-CPE se sont réunis hier soir à Paris et en province pour écouter l'allocution de Jacques Chirac, conspuant le président lorsqu'il a annoncé la promulgation de la loi.
A Paris, plusieurs centaines de personnes, lycéens, étudiants et représentants de divers partis politiques (LCR, PCF) et syndicaux (FSU, CFDT) se sont rassemblées place de la Bastille et ont sifflé l'intervention présidentielle diffusée par un camion sono.
Au moment où le chef de l'Etat annonçait qu'il promulguait la loi égalité des chances, ils se sont mis à scander: "Chirac en prison, Villepin démission" et "retrait du CPE".
Les anti-CPE de Bastille se sont ensuite lancé dans des manifestations sauvages, cherchant à rejoindre la Concorde et à se diriger vers l'Elysée voisin en deux cortèges. Les premiers ont traversé la Sein en face de l'Assemblée nationale, mais en voyant d'importantes forces de l'ordre déployées à la Concorde, ils ont renoncé à leur projet initial.
Ces jeunes, dont certains portaient des drapeaux de la Confédération nationale du travail (CNT, anarchistes) et de la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR), ont pris la rue de Rivoli pour aller à la rencontre d'un second cortège arrivant de Bastille par cette voie. Ils se sont rejoints au niveau de la rue du Louvre puis se sont dirigés vers la place de la Bourse.
A Lyon, quelque 350 jeunes, selon la police, se sont rassemblées vendredi soir, place Bellecour à Lyon. A Rennes, bastion de la contestation anti-CPE mais où la plupart des étudiants, venus de tout l'Ouest, rentrent chez eux le week-end, seuls quelque 150 étudiants s'étaient réunis devant la mairie de Rennes où ils ont crié leur déception. A Lille, une centaine de manifestants ont accueilli la promulgation de la loi par des huées et ont ensuite défilé dans les rues. A Strasbourg et Nancy, ils étaient une centaine sur les places Kléber et Stanislas, tandis que 250 manifestants étaient réunis à Grenoble, 500 à Bordeaux.
A Poitiers, une cinquantaine de jeunes ont lancé des poubelles contre le façade de la permanence UMP, certains crachant sur la façade. Très énervés, ils ont ensuite envahi le conseil municipal de Poitiers (PS).
La Nouvelle République, Samedi 1er Avril 2006.
SOCIAL
POLITIQUE
Les réactions à la suite de l'annonce de Jacques Chirac
Le CPE continue, la colère gronde
Quelques heures après la décision de Jacques Chirac, leaders politiques et sundicaux du département ont réagi à la promulgation de la loi sur le CPE (Contrat première embauche). Chez les étudiants, le ton monte.
20 HEURES. Local des Verts à Poitiers. Une trentaine d'étudiants écoutent l'allocution du président Chirac. A l'annonce de la promulgation de la loi sur le CPE, c'est l'incompréhension. Les pouces dirigés vers le sol, tous condamnent le discours. Puis, c'est la prise de parole. "Il reproduit les mêmes erreurs sans comprendre ce que veulent les autres, j'ai l'impression d'être incompris" s'insurge Thomas. "Moi, j'ai surtout le sentiment que l'on se fout de notre gueule!" monte d'un cran Stéphane. "Si le fait de bloquer les universités, les routes et les gares ne suffit pas, on sera obligé d'aller plus loin!" poursuit Jules. 20h30, direction la place du Leclerc. Quelques minutes plus tard, ils sont une cinquantaine à se diriger vers la permanence de l'UMP, rue Carnot. Ils crachant, ils jettent des poubelles contre la façade. Quinze minutes après, ils envahissent le conseil municipal de Poitiers.
22h30, une centaine de jeunes pénètrent dans le rectorat.
Les réactions
"La loi est promulguée et le président ment", réagit à chaud Christophe Massé, de la CGT 86. "J'ai ressenti cette intervention comme une provocation et une volonté de semer la confusion sur les aspects techniques de cette loi. La période d'essai est d'un mois. La période probatoire passe donc de deux à un an. Elle peut être interrompue à tout moment, non pas pour faute, mais car il pourrait apparaître que l'emploi n'est plus viable. Donc, il faut qu'on continue. On reçoit des coups de fil d'entreprises qui n'ont jamais fait grève et qui seront dans la rue mardi!"
Jean-Yves Chamard, député UMP reste persuadé qu'il fallait négocier avant. "Aujourd'hui on voit la crainte des jeunes devant l'avenir professionnel. Je suis pour une seconde délibération de la loi. Si le président de la République promulgue la loi, il doit ouvrir une négociation globale sur les jeunes en France."
La présidente du Conseil régional, Ségolène Royal interrogée par l'AFP: "Je voudrais appeler [le président] à son sens des responsabilités, lui faire comprendre qu'une crise profonde existe et qu'il y a maintenant un danger de montée des violences et que le rôle d'un chef de l'Etat c'est de faire la paix et d'apaiser les tensions. Ce n'est certainement pas de faire de la provocation pour des raisons d'amour-propre personnel."
Alain Fouché, président du Conseil général (UMP): "Je suis pour une grande concertation avec les partenaires sociaux. Il faut refaire ce texte qui n'est pas applicable. Il faut vraiment une nouvelle discussion."
Alain Claeys, député PS de la Vienne: "Notre pays a besoin d'apaisement. Le présidnet doit donner des signes pour que la démocratie fonctionne. On ne traite pas le chômage des jeunes sans débat et sans démocratie sociale. Et on ne réforme pas à la va-vite, sans la démocratie participative, non plus. Elu par 82% des Français, il doit tenir compte de l'opinion publique. La loi ne se fait pas dans la rue mais au parlement et avec les partenaires sociaux."
Jean-Pierre Abelin, député UDF, rappelle qu'il n'a pas voté le CPE et qu'il conteste depuis le début le fond et la méthode employée par le gouvernement. Sa position se résume en trois mots: "Suspension, dialogue et relecture. Il faut un geste sur le CPE avant toute chose. La promulgation ne sera pas un élément de dialogue social. On attend du président qu'il crée les conditions pour renouer ce dialogue."
En plein conseil municipal
L'intervention du président de la République a été suivie pendant le conseil municpal de Poitiers par trois conseillères (Magalie Barc, Laurence Valois-Rouet et Jacqueline Daigre), après un débat d'une heure sur le mouvement étudiant et la fronde anti-CPE. Dès l'intervention de Jacques Chirac terminée, Magalie Barc a interrompu le fil de la séance pour annoncer la promulgation de la loi avec les deux modifications (sur la motivation de la rupture du contrat et le passage de deux à un an sur la période d'essai). "Il n'y a plus de CPE, s'est réjoui Jacques Santrot, le maire de Poitiers." C'est une façon de la dire sans le dire, tout en le disant. On se retrouve face à un CDD ordinaire!"
PERMANENCE- Le standard téléphonique joignable à toute heure du jour
Et pendant ce temps au QG...
Ils se dévouent...Pendant que leurs collègues grévistes fréquentent les AG et autres manifestations, trois ou quatre étudiants assurent une permanence.
JEUDI matin, l'AG bat son plein au stade Rébeilleau. Et pourtant le standard reçoit appel sur appel. Il faut bien quelqu'un pour répondre. Ce matin, ce sont Laurent (Musicologie), Sophie (Droit), Léa et Adrien (Sciences) qui s'y collent. Des permanents? Non point, mais des étudiants assurant une permanence. Nuance de taille.
Cela se passe à l'hôtel Fumé, site de la fac de Lettres à la mode des années soixante. A quelques mètres de la "corpo" de l'Unef en mai 68, siège de toutes les discussions préparatoires aux mouvements. Les étudiants d'aujourd'hui l'ignoraient...Pour eux la fac, c'est le campus et rien que le campus! A peine savent-ils que le lieu où ils officient est obligeamment prêté par "Volumen", l'association des étudiants en histoire de l'art.
Et la loi Fillon?
La référence avec mai 68 n'est d'ailleurs pas très judicieuse. La quatuor n'a rien de révolutionnaire, ni par le look ni dans le discours. Ces garçons et ces filles ne sont à l'évidence pas de dangereux anrchogauchistes. "On veut bien sûr le retrait du CPE et l'application du texte sur l'égalité des chances. Mais il faut que ce soit bien clair: nous nous battons aussi contre la loi Fillon et ses dérivés concernant les postes aux concours. Sans retrait de cette loi, le mouvement étudiant se poursuivra...pour autant que la majorité en décide ainsi", assure Laurent.
Ces bons Samaritains son là pour renseigner. Sur le résultat des votes, sur les animations et actions, sur les lieux des manifs. "On reçoit de nombreux appels d'étudiants (1), en principe de 7 heures à 20 heures, mais on se relaie." Sitôt dit sitôt fait, la relève arrive pour que les permanents du matin puissent aller aux nouvelles en espérant arriver à temps pour voter à Rébeilleau.
Débat sur débat
Ils justifient le blocage, "seulement un moyen de réaliser toutes nos actions". Par exemple les débat. "En ce moment, nous alertons les enseignants ou les parents des lycéens pour leur demander de nous rejoindre lors du débat que nous organisons la semaine prochaine", indique Léa, aussi motivée que modérée. En Sciences, la lourdeur des programmes va entraîner, après tous ces jours perdus, beaucoup de rattrapage...Ce qui ne fait pas rigoler cette studieuse jeune fille, mais on ne peut pas laisser passer "ça", cette loi votée par le biais du "49-3".
Au QG, la machine à café tourne à fond. Un vieux canapé sert parfois pour un petit somme, le "Canard Enchaîné" est grand ouvert près d'une urne, vestige de la quête pour la manif du 16 mars à Paris. Les murs, tapissés de libelles (slogans, professions de foi), rappellent l'état de crise. Au milieu de ce sympathique capharnaüm, le téléphone n'arrête pas de sonner. Le point névralgique de la constestation est bien ici dans ce vieil hôtel Fumé qu'a fréquenté un certain Rabelais.
René Paillat
(1) Téléphone de permanence: 05 49 45 45 52
Centre Presse, Samedi 1er Avril 2006.
POITIERS - La cour du rectorat occupée pendant deux heures vendredi soir après l'allocution du président de la République
Fronde étudiante
La tension est montée d'un cran, vendredi dans les rues de Poitiers, après l'annonce de Jacques Chirac de promulguer la loi sur le CPE.
LA pilule n'est pas passée. Pas du tout. Les heures qui ont suivi, vendredi soir, la décision du président Chirac de promulguer la loi sur le CPE ont fait sauter la soupape du mouvement étudiant.
20h30. Après avoir suivi l'intervention présidentielle au local des Vers, le collectif anti-CPE se retrouve sur la place Leclerc. Le conseil municipal qui se tient à deux pas est envahi, après un tour des manifestants en colère vers la permanence de l'UMP. En plein milieu d'une délibération sur la rémunération d'un stage étudiant, une centaine de jeune et quelques adultes interrompent les débats pour sommer les conseillers municipaux de se prononcer sur l'annonce faite par le président. L'intrusion est canalisée par le maire Jacques Santrot. Il explique que le conseil a déjà débattu du mouvement étudiant pendant une heure auparavant et n'a pas pu écouter l'intervention présidentielle. Il donne la parole aux jeunes. Jacqueline Daigre, chef de file de l'opposition municipale, s'exprimant à titre personnel et non au nom de l'UMP, s'adresse aux étudiants sur un ton quasi maternel, leur souhaitant "bon courage", concluant par un "Et faites attention à vous dans les manifestations!"
22 heures. Après la mairie de Poitiers, la préfecture et la permanence de l'UMP, les étudiants se dirigent en ordre de dispersé rue Aliénor-d'Aquitaine, aux abords d'un accès inédit au rectorat. Se faufilant entre le grillage et le muret, une dizaine de manifestants investissent la cour. Queqlues policiers arrivent sur place, trop tard. Les étudiants infiltrés ouvrent les grilles du rectorat. Une petite centaine réussit à s'insérer avant l'intervention d'un camion de police. Les jeunes barrent la grille grâce un antivol de vélo. "Nous avons deux policiers en otage", lance en rigolant un occupant. Le siège va durer près de deux heures. Marseillaise, chants militants, slogans: "le recteur avec nous", "la bac de dehors".
23h35. Le commissaire Pascaud énonce les trois sommations d'usage avant l'intervention musclée des forces de l'ordre. Jets de canettes et provocations verbales, les esprits s'échauffent. Plusieurs "blocusards" sont traînés sur le sol. Les coups de matraques tombent, les gaz lacrymogènes dispersent la foule.
23h57. Le rectorat est évacué et les portes refermées par la police. Il n'y a pas de blessé, mais un étudiant est resté allongé sur le sol plusieurs minutes sous l'effet des gaz. Dans la rue Aliénor-dAquitaine, un dialogue de sourds s'installe entre étudiants et forces de l'ordre. "La police a montré toute sa détermination, nous allons nous aussi montrer la nôtre dans nos actions. On attendait un signal fort du président, une ouverture vers le dialogue, mais il a fait fi de deux mois de protestations", affirme Julien Vialard, de la coordination étudiante, suivi de Mathieu Chartier: "Si la police se met à taper, c'est les pavés qui vont voler!"
Centre Presse, Lundi 3 Avril 2006.