Pour voir le lieu de naissance d’une nouvelle civilisation, il faut d’abord aller au bout du monde – ou presque. En l’occurrence, le village de Bugarach se trouve au pied des Pyrénées, coincé entre quelques buissons rabougris et une poignée de rochers poussiéreux. La route pour s’y rendre constitue une épreuve à elle seule : c’est un chemin sinueux qui traverse des ravins à peine sécurisés.
Ce village de 200 habitants attire aujourd’hui des visiteurs de plusieurs sortes. Certains viennent faire de la randonnée ou se détendre. D’autres viennent pour des raisons autrement moins terre à terre. Les hystériques de l’apocalypse sont en effet de retour : cette année, le monde s’arrêtera en même temps que le calendrier maya, c’est-à-dire le 21 décembre. Seul Bugarach devrait échapper à la destruction finale. C’est du moins ce qu’affirment les membres de certains forums Internet qui considèrent le village pyrénéen comme la nouvelle arche de Noé. La municipalité doit sa nouvelle notoriété au pic de Bugarach, qui culmine à 1 230 mètres d’altitude. D’après la théorie apocalyptique, ce dernier renfermerait des extraterrestres censés sortir de leur sommeil précisément le 21 décembre prochain pour sauver les élus, c’est-à-dire tous ceux qui se trouveront à Bugarach ce jour-là. Pour eux, Bugarach équivaut à “Bugarage” : la montagne garage des extraterrestres. Et, pour étayer leurs dires, ils n’hésitent pas à filmer leurs “découvertes” d’engins extraterrestres et à les poster sur Internet.
Le prix des terrains a considérablement augmenté ces dernières années à cause des prophètes de l’apocalypse qui achètent partout, explique-t-il. Il n’y a pas longtemps, lui-même a assisté à une sorte de procession dans la forêt. “Ils étaient tous habillés en blanc. J’espère seulement qu’ils ne vont pas faire un suicide collectif.”
La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) est également en état d’alerte. “Jusqu’à récemment, le thème de l’apocalypse servait essentiellement des intérêts commerciaux”, indique un rapport de 2010. Il s’agissait de vendre des cartes postales, des baguettes de sourcier et des “pierres d’éternité”. Il ne faut toutefois pas sous-estimer les risques, indiquent les autorités, qui se rappellent les meurtres collectifs de l’ordre du Temple solaire, dans les années 1990 : à l’époque, 74 personnes avaient trouvé la mort [en Suisse, au Québec et en France]. Les autorités disent ne pas avoir d’autres informations concernant Bugarach. Mais “nous surveillons l’évolution de la situation de près”, indique Claire Barbereau, porte-parole de la Miviludes.
Les pèlerins de l’apocalypse vont-ils débarquer en masse ? C’est ce que redoute le maire du village, Jean-Pierre Delord. Cela fait deux ans que l’élu socialiste s’inquiète du danger qui menace sa municipalité : cohortes d’illuminés, rassemblements de sectes, suicides collectifs… Pourtant, à voir le village un jour de semaine normal, c’est surtout l’adjectif “vide” qui s’impose à l’esprit.
Bugarach sera-t-il témoin non seulement de l’apocalypse, mais encore d’une grande invasion ? “Je n’ai pas encore vu de gourou”, reconnaît Jeremy Webb, un Britannique qui se rend régulièrement à Bugarach à vélo. Les craintes du maire ne lui paraissent toutefois pas injustifiées. “Il pourrait y avoir des tensions cette année, poursuit-il. J’ai entendu dire qu’il y avait déjà pas mal de cinglés qui installaient leur campement en dehors du village.”
Sous surveillance
Jean-Pierre Delord est plus catégorique. “Je reçois régulièrement des lettres de gens qui croient à la fin du monde”, explique l’élu de 69 ans aux cheveux gris, portant jean et tee-shirt. Le maire de Bugarach est un homme sympathique, en place depuis trente-neuf ans. Le 21 décembre n’est toutefois pas un sujet de plaisanterie pour lui. “Je ne cherche pas à dire aux gens comment ils doivent vivre leur vie, mais, si des centaines de personnes prennent d’assaut le village, nous ne pourrons plus assurer l’ordre public”, déclare-t-il [la préfecture de Carcassonne a interdit l’accès au pic et à ses galeries souterraines du 19 au 23 décembre].
Le prix des terrains a considérablement augmenté ces dernières années à cause des prophètes de l’apocalypse qui achètent partout, explique-t-il. Il n’y a pas longtemps, lui-même a assisté à une sorte de procession dans la forêt. “Ils étaient tous habillés en blanc. J’espère seulement qu’ils ne vont pas faire un suicide collectif.”
La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) est également en état d’alerte. “Jusqu’à récemment, le thème de l’apocalypse servait essentiellement des intérêts commerciaux”, indique un rapport de 2010. Il s’agissait de vendre des cartes postales, des baguettes de sourcier et des “pierres d’éternité”. Il ne faut toutefois pas sous-estimer les risques, indiquent les autorités, qui se rappellent les meurtres collectifs de l’ordre du Temple solaire, dans les années 1990 : à l’époque, 74 personnes avaient trouvé la mort [en Suisse, au Québec et en France]. Les autorités disent ne pas avoir d’autres informations concernant Bugarach. Mais “nous surveillons l’évolution de la situation de près”, indique Claire Barbereau, porte-parole de la Miviludes.
Le phénomène auquel est confronté le village pyrénéen n’est pas une nouveauté. “Les prophètes de l’apocalypse reviennent au fil des siècles et présentent des motivations semblables”, explique Eberhard Bauer, de l’Institut pour les zones frontières de la psychologie et de la santé mentale (IGPP), situé à Fribourg. Bauer et ses collègues ont notamment travaillé avec des gens qui croyaient à la fin du monde. “Le refuge spirituel [que leur apporte le fait] de pouvoir faire partie des élus” est une de leurs motivations, explique-t-il. Il n’est pas surprenant que certaines personnes se laissent séduire par ces notions de rédemption et de promesse de salut.”
“Foutaises”, estime pour sa part le propriétaire d’une épicerie bio de Bugarach, qui préfère garder l’anonymat. En fait, c’est le maire qui aurait tout mis en scène. “Nous ne sommes pas des fous qui passons nos journées à nous balader en forêt complètement défoncés”, ajoute l’homme, qui, outre des sandwichs bio, propose également à la vente des livres comme Le Calendrier des 13 lunes ou Bugarach, vortex de la Terre. “Oui, cet endroit est particulier, déclare un habitant du village. Ce n’est pas pour ça qu’on croit à la fin du monde.”
Manœuvre
En réalité, le véritable secret serait de nature politique, nous explique l’épicier bio. “Le maire veut faire installer de nouveaux hôtels et des éoliennes ici. Il attire les touristes en utilisant les médias, qui relaient cette histoire.” Et il en profite pour faire passer pour des fous tous ceux qui s’opposent à ses projets de construction. “C’est comme ça, la politique en province”, résume l’épicier.
Tout cela ne serait-il qu’une manœuvre de communication, un coup politique ? Jean-Pierre Delord rejette cette idée, même s’il reconnaît sans ambages qu’il espère bien utiliser la publicité que lui font les médias. “Il y aura au moins une invasion de sûre le 21 décembre : celle des journalistes”, déclare-t-il. Pour l’instant, il ne se passe pas grand-chose à Bugarach.
A la sortie du village se trouve pourtant un individu qui n’a pas vraiment l’air du coin avec sa flûte à la main, sa poche de chemise remplie d’herbes et ses cheveux gris hirsutes. “Cette année, cet endroit est le plus important de la Terre”, affirme l’homme, qui fait signe à tous les gens qui passent à côté de lui. Il est venu spécialement d’Espagne pour ressentir l’énergie du vortex du pic de Bugarach. C’est tout ce qu’il acceptera de nous dire. “Les interviews avec les journalistes perturbent les vibrations”, explique-t-il.