Et la justice espagnole tient à le faire savoir au "super-juge" Baltasar Garzon, un peu trop curieux à ses yeux!
Le juge Garzon au début des années 1990.
M. Garzon est accusé d'avoir agi de mauvaise foi en ouvrant, le 18 octobre 2008, à la demande de plusieurs familles de victimes, une enquête sur les disparitions forcées de 114 000 républicains au cours de la guerre civile (1936-1939) et de la dictature franquiste (1939-1975). En requalifiant les faits en "crimes contre l'humanité" dans le but de contourner la loi d'amnistie de 1977 qui s'applique aux crimes politiques, le magistrat aurait, selon le juge Varela, "construit un artifice juridique pour justifier son contrôle de la procédure".
"L'affirmation qu'il aurait agi de manière injuste ne tient pas, a tenté d'argumenter Gonzalo Martinez-Fresneda, l'avocat de Baltasar Garzon. Ce qui aurait été injuste, c'est d'abandonner les familles qui réclament justice." Mais aucun des recours introduits par la défense n'a été retenu par le magistrat instructeur. Un nouvel appel, interjeté dès mercredi, n'a aucune chance d'aboutir. La date du procès pourrait être fixée d'ici un mois.
"C'est un triste jour pour la justice", a réagi Emilio Silva, président de l'Association pour la récupération de la mémoire historique (ARMH), la principale organisation de familles des victimes du franquisme, qui milite depuis 2001 pour l'ouverture des fosses communes dans lesquelles des dizaines de milliers de républicains ont été jetés après des exécutions sommaires. Amnesty International estime "inouï" qu'on poursuive un juge "qui cherche à obtenir la vérité, la justice et la réparation pour plus de 100 000 disparus".
Connu et admiré mondialement depuis qu'il a ordonné, en novembre 1998, l'arrestation à Londres de l'ex-dictateur chilien Augusto Pinochet, Baltasar Garzon incarne la notion de justice universelle, au nom de laquelle il a enquêté, notamment, sur les exactions des juntes d'Amérique latine.
Epinglé dans son propre pays pour avoir ouvert le dossier sensible des crimes franquistes, M. Garzon a reçu, ces dernières semaines, un soutien massif de juristes internationaux de renom, comme Carla Del Ponte, l'ancienne procureure des tribunaux pénaux internationaux de l'ex-Yougoslavie et du Rwanda. Dans une lettre ouverte, ils ont rappelé que le Comité des droits de l'homme des Nations unies avait demandé en 2008 à l'Espagne d'abroger sa loi d'amnistie et de "garantir le caractère imprescriptible des crimes contre l'humanité".
Titulaire depuis vingt-deux ans du cabinet d'instruction numéro 5 de l'Audience nationale, la plus haute juridiction pénale espagnole, Baltasar Garzon, 55 ans, a conduit au pas de charge plus de 7 000 affaires, parmi les plus sensibles, comme le terrorisme de l'ETA ou la corruption politique. Ses méthodes spectaculaires et son goût pour la médiatisation lui ont valu de nombreuses inimitiés dans la magistrature, qu'il paie aujourd'hui selon des proches du dossier.
C'est ainsi qu'il faut comprendre l'insistance du juge Varela à exploiter, contre l'avis du parquet, les plaintes de deux associations d'extrême droite inconnues auxquelles s'est jointe récemment la Phalange espagnole. Le procès du juge Garzon se jouera sur des arguties procédurales, mais c'est sa dimension politique que retient la presse. "Les phalangistes ont gagné", résumait un éditorial d'El Pais, fin mars, alors que le renvoi en jugement du juge ne faisait déjà plus de doute.
Mardi 6 avril, une centaine de nostalgiques du franquisme, parmi lesquels la fille du dictateur, Carmen Franco, se sont retrouvés, comme chaque année, en la basilique de Los Jeronimos, à Madrid, pour célébrer la victoire des troupes franquistes du 1er avril 1939. C'est-à-dire, selon le curé de la paroisse, Julian Melero, "le 71e anniversaire du triomphe sur les ennemis de Dieu". Et le prélat de conclure son sermon : "Ça, c'est la mémoire historique, la vraie."