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Le Kleiburg, grande barre d’habitations dans le quartier populaire du Bijlmer, à Amsterdam, est un solide bâtiment à l’allure sinistre.
Ce colosse décrépit se prépare à une deuxième vie, une fois transfiguré par les bricoleurs enthousiastes que sont les primo-accédants à la propriété. Les 500 logements de l’immeuble sont à vendre sous forme d’appartements en kit.
Le premier samedi de mars, une foule s’est bousculée à la journée portes ouvertes. Pour 65 000 euros, on peut acheter un appartement entièrement vide de 60 mètres carrés, un prix dérisoire pour Amsterdam. Le consortium De Flat, qui regroupe trois sociétés immobilières, espère ainsi sauver de la démolition le dernier immeuble qui subsiste des constructions initiales du quartier du Bijlmer.
Les vendeurs se chargent des travaux à l’extérieur : portes et fenêtres à double vitrage, coursives, ascenseur. A l’intérieur, les acheteurs peuvent s’en donner à cœur joie. Ils sont libres d’aménager leur appartement comme bon leur semble, d’abattre des cloisons et de regrouper des logements en longueur ou en hauteur. L’immeuble, en forme de ruche, sera proposé par tranches, une aile après l’autre. Sur les 100 logements de la première aile, 70 doivent être vendus d’ici au 1er juillet, sinon le Kleiburg sera démoli. Au début du mois de mars, les premiers contrats ont été signés et une soixantaine de personnes intéressées ont pris une option.
Construit en 1971, cet immeuble long de 400 mètres et haut de 10 étages est un des plus grands bâtiments des Pays-Bas. Les coursives font 4 kilomètres de long. Les derniers habitants sont partis en septembre 2012. Certains appartements semblent avoir été quittés en catastrophe par leurs anciens occupants, des pinces pendent encore sur les cordes à linge. On aperçoit çà et là des traces laissées par des intrus venus voler des tuyauteries de cuivre. “Il ne faut pas s’arrêter à ces choses-là”, entend-on marmonner dans les petits groupes furetant dans les couloirs.
Bas van der Tang, 34 ans, et son amie ont jeté leur dévolu sur deux logements contigus au dixième étage. A eux deux, ils ont quatre enfants, d’où leur besoin d’espace. “Nous pratiquons un mariage de proximité”, dit Bas van der Tang en souriant. Il est impatient de se mettre au travail. “Concevoir son propre logement, c’est vraiment enthousiasmant.” On peut dire ce qu’on veut de ce quartier du Bijlmer [considéré comme le plus mal famé d’Amsterdam au début des années 2000], mais Bas van der Tang s’est fait lui-même sa petite idée : il est allé y faire un tour et il s’y est senti bien.
Le Kleiburg dans les années 60
De grands ensembles dans la verdure, des routes et des rails de métro surélevés, des voies distinctes pour les voitures, les vélos et les piétons : le Bijlmer, construit dans les années 1960, était conçu comme un quartier d’avenir, composé essentiellement de logements. Les habitants étaient censés pouvoir marcher de la station de métro jusqu’à chez eux sans croiser la moindre voiture. Le Bijlmer devait permettre à ses habitants de vivre en sécurité – une machine à bonheur propulsée dans la modernité à l’aide d’ascenseurs et du chauffage central.
Le projet a malheureusement échoué. Le Bijlmer était trop imposant, trop haut, trop simpliste et surtout trop anonyme. Les habitants ne se sentaient pas responsables de leur environnement, qui s’est dégradé, devenant un refuge pour les toxicomanes et les délinquants. Depuis 1995, le quartier a été totalement rénové. Bon nombre de tours ont été démolies ou amputées et réhabilitées. Des lotissements ont remplacé les anciennes constructions. Le Kleiburg est le dernier immeuble d’origine du Bijlmer qui n’ait pas encore fait l’objet d’une transformation. Des barreaux aux fenêtres rappellent sa triste histoire. Dans l’un des logements, des morceaux d’étagères ont été vissés devant les fenêtres en guise de barricades.
Nadhesa Darius, 27 ans, vit dans l’ouest d’Amsterdam et a envie de revenir dans le Bijlmer afin de se rapprocher de sa famille. “C’est un quartier agréable, multiculturel : tout est à portée de main.” Elle a déjà choisi un logement : Kleiburg 841. Sa mère, rayonnante, est à ses côtés. Du haut du dernier étage, Emile Jaensch, conseiller municipal de l’arrondissement du sud-est d’Amsterdam, où se situe le Bijlmer, regarde les arbres qui bourgeonnent.
Il y a cinq ans, il y avait des ordures accrochées à la cime des arbres, des sacs de plastique flottaient dans les branches. Le jour où un habitant a balancé un canapé d’une coursive, Emile Jaensch a décidé de se faire accompagner par la police et les services de la voirie dans chacun des 500 logements, pour signifier qu’ils n’allaient plus laisser passer de tels comportements, que la municipalité prendrait des mesures sévères. “Notre intervention a aidé, dit-il. C’était un immeuble à problèmes où il y avait beaucoup de pauvreté, d’insécurité et de criminalité. On ne choisissait pas de vivre au Kleiburg, on y atterrissait malgré soi. A l’époque, je me suis dit : on ferait mieux de démolir cet endroit sinistre. Maintenant, je me dis que ç’aurait été dommage.”
Emile Jaensch a hâte d’accueillir les nouveaux habitants. “Les gens qui ont envie de consacrer leur énergie à vivre ici sont ceux qui participent à des activités bénévoles ou aux conseils d’école. Nous avons vraiment besoin de ce genre de personnes dans le sud-est d’Amsterdam. Les appartements en kit peuvent devenir le ciment social du quartier.”
—Jaap Stam
Publié le 4 mars