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PPP, le blog intégral: tout sur tout et un peu plus que tout, d'avant-hier, d'hier, d'aujourd'hui et peut-être de demain!

La Moldavie : l'étrange quotidien d'un pays fantôme

 

MOLDAVIE: TERRE PROMISE DES GOUROUS ET DE L'ENTREPRISE

On rencontre aux confins de l'Europe un pays désorienté, dont on met parfois en doute l'existence, mais où, sur un territoire grand comme la Belgique, vivent 4 millions et demi d'habitants: la Moldavie. Sur le champ de ruines de l'ancien système soviétique, les sectes et les religions les plus variées trouvent un terreau exceptionnel pour la diffusion de leurs idées, et les entreprises étrangères se substituent aux pouvoirs publics jusqu'au coeur du quotidien.
Le match du jour: en vert les Moldaves de l'Ouest (pro-européens), en rouge la Transnistre (Moldaves de l'Est, pro-russes).


La Moldavie est un pays abandonné. Suspendue dans le vide entre Roumanie et Ukraine, angle mort des grands découpages géopolitiques, elle se démène depuis son indépendance en 1991, dans l'indifférence générale. Ni russe, ni roumaine, mais les deux à la fois, amputée, à la suite d'une guerre civile aussi courte que violente, d'une grande partie de son territoire devenue depuis lors République soviétique autoproclamée de Transnistrie (entité que seules l'Ossétie et l'Abkhazie ont daigné reconnaître), la Moldavie vivote, rétrogradée derrière l'Albanie au palmarès des pays les plus pauvres d'Europe (l'Europe, c'est tout ce qu'il y a à gauche en partant de l'Ukraine) après avoir été l'une des plus prospères républiques d'URSS.


Un aspect de Tiraspol: le soviet suprême. La Transnistrie, pseudo-république, est le dernier régime communiste d'Europe. Le plus proche dans son organisation reste le régime biélorusse (Loukachenko).

 

Le paradis des sectes

Un timbre à l'éffigie de Vladimir Vorodine (séquence pro-Europe) de 2003.

 

Le pouvoir très personnel du communiste Vorodine (président de la République de Moldavie de 2001 à 2009, NdPPP), élu dans le désarroi général, n'arrange rien, et la corruption rampante, jointe au délabrement de tous les services publics, fait du pays un morceau de terre à la dérive. Cette région à vocation de confins, éternelle proie pour ses voisins puissants, semble à tout moement prête à disparaître ou à réapparaître sans bruit dans une chausse-trape de l'Histoire. Etendue désolée laissée en friche par la dissolution de l'Etat, elle apparaît aujourd'hui comme un morceau de choix pour les missionnaires religieux ou séculiers de tout poil.
Tout d'abord, la religion traditionnelle sait qu'elle a sa propre carte à jouer. Au sein même de l'Eglise orthodoxe se livre pourtant une âpre lutte de pouvoir. Le rattachement très politique d'une partie du clergé au patriarcat de Bucarest a ouvert une brèche dans l'unanimité orthodoxe, dépendant jusqu'alors du patriarcat de Moscou. Cette sécession des âmes a pour résultat une mise en concurrence féroce des deux obédiences: discount sur les prix des baptêmes, promotion des noms roumains, meilleur intelligibilité du message pastoral. Tout est bon pour remporter le marché du spirituel.

Sur ces ruines poussent d'étranges fleurs

Et, pendant ce temps, quelques businessmen du culte se lancent dans des opérations immobilières d'envergure. C'est le cas du nouveau monastère de Cosauti, à la frontière ukrainienne. Un mystérieux moine charismatique, tout droit sorti d'un roman Dostoïevski, se taille à coups de dynamite et de prédication dans une vallée verdoyante au bord du Dniestr un vaste complexe monastique: kiosque flottant pour la méditation, église criarde, sauna de grand standing, destinés tant à sa communautés de moines qu'aux députés de l'Assemblée nationale soucieux de se ressourcer dans un cadre chic et champêtre...
Le starets Iéronim, archimandrite du monastère, a aussi tenté de s'emparer de la source aux vertus curatives qui jaillit de la montagne, dans l'espoir de commercialiser l'eau à son profit. Les villageois s'y sont jusqu'ici opposés. Compte tenu de son pouvoir, ils ne peuvent néanmoins que saluer ce promoteur de la foi et du tourisme, même si l'on sent chez certains d'entre eux une méfiance teintée de crainte envers le saint homme aux dents longues. Peu lui importe: au fin fond de sa province, l'archimandrite Iéronim a compris de quel côté sa tartine était beurrée.
La Moldavie est comme une terre vierge où se ruent les prédicateurs pentecôtistes, les baptistes avides de retrouver leur influence traditionnelle sur le monde russe, les bataillons missionnaires des Témoins de Jéhovah et les prédicateurs adventistes du 7ème Jour. Les campagnes se couvrent peu à peu de chapelles et d'églises de toutes obédiences, recrutant un public de plus en plus large parmi les paysans assomés de travail.
Le village de Bardar, à quelques kilomètres de Chisinau, a vu pousser en contrebas de l'église orthodoxe le clocher du temple baptiste, bonbonnière lambrissée promettant des lendemains meilleurs. Dans la capitale, le lotissement des Témoins de Jéhovah, près de l'avenue Pouchkine, aligne des appartement rutilants qui vont saliver d'envie les voisins. Collées sur les murs pourris de Chisinau scotchées contre les grands platanes de l'avenue principale, les affiches publicitaires font la réclame pour des conférences adventistes ou des séminaires pentecôtistes gratuits où chaque participant se voit doté de cadeaux. Parmi le chapelet de petites ONG qui demeurent actives dans le pays, une bonne partie d'entre elles a vocation missionnaire. Caritas parcourt les villages en distribuant subsides et bonne parole, le clergé italien s'investit massivement dans la lutte contre le trafic des femmes...L'emprise des sectes serait-elle la seule alternative dans ce grand vide désespéré qui constitue le quotidien moldave?

Terminus: usine de Frigidaires

Pas sûr. Si les popes et les gourous s'ébattent à loisir dans ce vaste champ d'expérimentation, ils ne sont cependant pas les seuls à profiter du désastre: dans ce pays largement agricole, les rares industries viables ont fait l'objet d'un dépeçage en règle. Il est curieux de voir la façon dont les ouvriers parlent de leurs usines: patrons invisibles, profits mystérieusement siphonnés vers des sièges sociaux russes ou européens, comme si l'on travaillait pour des fantômes. Les employés des grandes carrières de granit à Cosauti ou ceux de l'usine de vinification de Bardar savent à peine pour qui ils travaillent aujourd'hui. L'immense combinat metallurgique de Rybnitsa lui-même, côté transnistrien, appartiendrait au russe Gazprom, mais on a du mal à trouver quelqu'un qui soit capable de confirmer l'information.
De façon générale, les entreprises ont cruellement dégraissé leur personnel dès le début des années 1990: le fleuron de la technologie moldave n'est guère plus qu'un nom de ligne de trolleybus affiché au-dessus du chauffeur: "Terminus usine de Frigidaires". Quant à l'usine modèle de pompes hydrauliques pour sous-marins, elle n'en finit pas de pleurer le destin d'un pays privé de tout accès à la mer!

La proie des bienfaiteurs

Logo du groupe énergétique espagnol "Union Fenosa", très présent en Moldavie.


Dans un tel contexte, il n'est pas étonnant de voir quelques grands groupes ou organisations s'ériger en sauveurs du peuple moldave. Il n'y a plus d'Etat? Qu'à cela ne tienne! Voilà Soros! La fondation internationale qu'il a créée a une forte présence sur tout le territoire, tant dans le domaine culturel que dans l'éducation, palliant l'absence de financement public et constituant un extraordinaire réseau d'influence. Mais c'est plus particulièrement une entreprise espagnole qui semble avoir jeté son dévolu sur la Moldavie.
Le groupe Union Fenosa, courtier en énergie, a des ramifications dans diverses régions du globe, mais ce pays est le véritable protégé de la firme. Il apparaît omniprésent, étalant son logo jaune et bleu sur les flancs de ses bus, sur les façades des universités qu'il sponsorise, à l'entrée des théâtres ou des écoles. Rares sont les bureaux où l'on ne déniche pas un gadget Union Fenosa, stylo, réveil ou porte-clefs.
Union Fenosa dispense la culture, le savoir, le développement à un pays abandonné par un pouvoir politique corrompu. Union Fenosa, Union Fenosa, la publicité n'est pas en reste, et même les plus obtus des cultivateurs gagaouzes n'ignorent pas ce nom porteur d'espoir. Doit-on préciser que le marché de l'énergie représente une manne potentielle? La privatisation de l'électricité dans le sud et le centre du pays a bénéficié à l'entreprise, qui rénove ou reconstruit entièrement les infrastructures: certes, les prix augmentent, mais au moins les abonnés sont-ils certains de ne plus subir de coupures intempestives au coeur de l'hiver. Et puis, Union Fenosa a promis: si tout va bien, on vous raccordera bientôt au gaz.
Terre de mission, la Moldavie l'est peut-être aussi pour une forme de capitalisme ultramoderne où la compagnie se substitue à l'Etat, paternalisme à l'échelle d'une nation devenue laboratoire.

TEXTE DE JUL (illustration PPP)

Charlie Hebdo, Mercredi 8 Octobre 2003, N°590.

 

Complément de PPP via les Affaires Etrangères:

 

Sécurité

Les voyages en Transnistrie (région sécessionniste, située à l’est de la Moldavie) sont déconseillés, y compris les transits entre la Moldavie et l’Ukraine. Cette région, où la sécurité n’est pas assurée, est hors du contrôle du gouvernement moldave. Par conséquent, l’ambassade de France ne peut assurer l’assistance aux Français de passage en difficulté dans cette région. Il est fréquent que des voyageurs - pourtant en possession des documents appropriés - qui ont traversé la Transnistrie depuis la Moldavie ou l’Ukraine, signalent avoir rencontré des difficultés auprès des "gardes frontières" transnistriens (refus de passage, exigence de paiement d’une "amende"). Quelques rares cas de violences ont également été signalés. L’Ambassade de France n’a pas la possibilité d’intervenir lors d’incidents de ce type.

D’une manière générale, il est préférable de ne pas arborer de bijoux ou montres de prix et déconseillé de porter de manière ostensible un appareil de photographie ou une caméra, sans être accompagné.

Il est recommandé de n’utiliser que les taxis professionnels ou, le cas échéant, de louer une voiture avec chauffeur.

 

Dernière mise à jour: 07 Février 2011.

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