POITIERS - 10000 selon la Préfecture, 35000 selon les syndicats, la manifestation contre le CPE a connu un énorme succès
A plusieurs milliers dans la rue
Hier à Poitiers, plusieurs dizaines de milliers de poitevins son descendus dans la rue. Un mouvement de masse qui a impressionné les observateurs.
14 heures. Une grosse averse tombe aux abors du stade Rebeilleau. Mais il en faut plus pour décourager les premiers manifestants réunis pour donner le top départ de cette grande journée de mobilisation. Ils sont déjà plus de 10000. Tous veulent le retrait du CPE (Contrat première embauche). "Le CPE est le signe du mépris pour toute une jeunesse, c'est l'annonce de la mort progressive du code du travail" a accroché dans son dos une jeune femme.
15h30. Un millier de personnes attendent au Pont-Neuf. Le cortège gonfle et grosit plus tourne à gauche sur le boulevard Anatole-France. A l'angle de la rue, une petite banda met l'ambiance. Derrière les étudiants, les sonos des syndicats lancent des solgans. On entend même une cornemuse à côté d'un accordéon. Plus loin, une "rave ambulante" crache des rthmes binaires aux oreilles d'une poignée de jeunes qui sautillent en cadence.
16h50. Le soleil pousse les nuages boulevard Pont-Achard. Le cortège s'étire alors sur 1 km. La tête approche le tunnel de la gare tandis que la queue est à la hauteur de la Tour à l'Oiseau sous les remparts de Blossac.
17h30. Les manifestants se tassent autour de la place Leclerc. La mobilisation impressionne. "On a plus que doublé par rapport à la manif du 18 mars", lâche Marc Laprie de la CGT.
18h. Fin des prises de paroles des syndicats. La manifestation se disperse dans le calme. Le CPE n'est toujours pas retiré.
Bruno Delion
Monsieur Echo...
...salue l'élégance vestimentaire d'Aurélien Tricot qu'il a croisé dans la manif anti-CPE hier. Le costume bien coupé du directeur du cabinet du maire de Poitiers tranchait avec les blousons de pluie que portait la majorité du cortège. Lutte des classes oui, mais classe quand même...
SECURITE - Les étudiants, comme les syndicalistes, ont un service d'ordre lors des manifestations
Les "nez rouges" en première ligne
Les milliers de manifestants réunis hier après-midi à Poitiers n'ont pas défilé sans être encadrés. Chaque organisation syndicale a assuré la surveillance de son groupe. Pour la CGT, c'était 25 personnes. Mais le gros du travail est revenu aux "nez rouges" de la coordination des étudiants.
DEPUIS le début du mouvement de revendications des étudiants à Poitiers, les "nez rouges" surveillent le déroulement des manifestations. Avec un peu de rouge à lèvres sur le bout du nez comme signe de reconnaissance, il s'agit d'étudiants volontaires pour serir de service d'ordre de la coordination. Hier, ils étaient une trentaine à arpenter les rues de chaque côté du défilé, à guider par une chaîne humaine les manifestants vers la bonne direction, pour notamment éviter toute tentative de débordement en direction de la gare ou de la préfecture (par exemple).
Ils ont également tenu à distance les petits groupes de casseurs venus se mêler à la manifestation muni de barre de fer ou de bouteilles d'essence...
S'interposer pour protéger
Les "nez rouges" comprennent autant de filles que de garçons. Loïc Fieux, 22 ans, étudiant à Poitiers en Lettres modernes est l'un de ces derniers. Il évoque cette expérience. "Je suis dans le mouvement depuis le début, lors des premières protestations contre la réduction des postes. J'ai bien vécu cette responsabilité jusqu'aux récents incidents avec certains membres des forces de l'ordre." Rappelons que lors d'une tentative d'occupation du rectorat à Poitiers, craignants d'être débordés, les forces de l'ordre ont fait usage de leurs matraques.
"Jusqu'alors on avait des rapports tout à fait corrects voire cordiaux avec la police. Avec les étudiants, le message que nous passons est simple: pas de provocation, pas de violence qui ternirait l'image des manifestants." Il explique: "Lorsque nous voyons des gens avec des bouteilles, nous leur demandons de les boire rapidement et ensuite de les jeter dans les poubelles. Nous restons à proximité pour vérifer qu'ils font bien ce que nous leur avons demandé. Nous soulignons en permanence que c'est pour assurer leur sécurité. Notre rôle est de nous interposer en cas de besoin entre les manifestants et les forces de l'ordre", comme lors des débordements évoqués.
Stéphane Delannoy
ECONOMIE - Bilan mitigé de l'activité commercial dans le centre-ville
L'effet "manif" chez les commerçants
2000, 10000 ou 20000 manifestants. Du côté des commerçants du centre-ville de Poitiers, on estime que les manifestations ont peu d'impact sur les ventes. Sauf peut-être hier.
SI d'un côté les sandwicheries se frottent les mains, les cafetiers trouvent le petit noir un peu serré. Dans le centre-ville, et particulièrement place Leclerc, les commerçants dressent un bilan mitigé de leur activité depuis l'accélération du mouvement social, il y a maintenant près de deux mois. Pour le gérant du bar-pizzeria Lorenzo, la sanction est lourde. "C'est difficilement chiffrable mais depuis le début on a dû perdre 10 à 15% du chiffre. Les manifestations en elles-mêmes ne sont pas génantes, mais c'est le contre-coup, les gens craignent d'aller en centre-ville." Ce qui est valable pour l'un ne l'est pas forcément chez l'autre. Le bar Le Dauphin, ne se plaint pas lui, au contraire. "Le jour du blocus de la ville, ce n'était pas une bonne journée, mais à côté de ça la tendance est à la hausse. cela crée un flux de personnes", explique Christophe Pflier.
Météo ou manif
Constat de neutralité au Bar du Théâtre. L'impact météo semble important pour juger de l'activité et de toute façon "une clientèle chasse l'autre". Même topo pour le Café de la Paix. Le blocus de Poitiers du mercredi 22 a empêché la clientèle du midi d'accéder au centre-ville. Pour les autres jours de mobilisations, difficile de dégager une tendance. C'est quand les salariés gagnent la rue, que les tiroirs-caisses sonnent. La population estudiantine n'est pas une adepte du "déjeuner en ville". Leurs porte-monnaie penchant plys pour le jambon beurre que pour le "pavé d'agneau et sa purée". A ce régime c'est donc les terminaux de cuissons que se frottent les mains. L'effet "enseigne" fonctionne par exemple très bien à la Mie Câline. "Comme lors du mouvement de mai 2002, on n'a pas à se plaindre, concède Eddy Mitard l'un des gérants. Le surplus de monde lié aux manifestations suscite du grignotage. Les gens se retrouvent place Leclerc d'une manière ou d'une autre et notre devanture se voit plus que le fournil du boulanger." +2% environ, le soleil reste un critère plus fiable.
Sens de circulation
Pour la Briocherie du boulevard Victor-Hugo, ce n'est pas le chiffre global qui est en cause, mais le rythme d'activité. "Le matin, j'ai moins de monde, je me rattrape l'après-midi. Par exemple le jour où le lycée a bloqué la rue, on a dû vendre 195 pains au chocolats dans la journée." Quid du sens de circulation de la manifestation? Difficile de juger de l'impact pour la Café de Paris à la porte du même nom. "Ce qui est bon c'est quand ils partent de la Porte de Paris, mais mercredi avec le blocus c'était une catastrophe." Pour la patron du Victor Hugo, "si la manifestation vient de la place Leclerc c'est très bon, si c'est l'inverse, ça m'enlève des clients. Lors de la manifestation de samedi, j'ai fait 5 clients alors qu'ils étaient 8000 dans les rues! J'avais pris un extra pensant qu'on serait débordé et du coup même les habitués ne sont pas venus de peur d'être coincé".
Avec le raz-de-marée hier après-midi, regroupant salariés, étudiants et retraités, c'est tout le monde qui a pu se réjouir de la manifestation, les syndicats comme les commerçants.
Antoine Victot
Centre Presse, Mercredi 29 Mars 2006.
Une déferlante de 20.000 manifestants
Mobilisation record, hier après-midi, à Poitiers. Bien plus forte encore qu'en 1995, la référence historique, la manifestation anti-CPE du 28 mars a jeté aux alentours de 20.000 personnes dans les rues de la capitale régionale.
Un geste. Un simple geste qui en dit long sur l'état d'esprit qui anime et guide les étudiants poitevins depuis onze semaines. Hier, au fur et à mesure que progressait l'impressionnant cortège des manifestants, les "nez rouges" devançaient la foule pour rabattre avec précautions les rétroviseurs des véhicules stationnés le long du parcours. "Autant éviter les désagréments", expliquait en toute simplicité l'un de ces étudiants chargés de la sécurité.
Car c'est une nouvelle fois les étudiants qui ont ouvert le cortège. Au nom de leur désir d'indépendance et tout simplement parce qu'ils incarnent plus que tout, à Poitiers, le mouvement anti-CPE. Un souhait respecté par les syndicats qui, dès le départ à 14h30 du stade Rebeilleau de Poitiers, ont emboîté le pas à la jeunesse libre et militante.
Un cortège d'un kilomètre de long, ouvert par les étudiants
Le cortège s'est ensuite glissé dans les rues de Poitiers, bifurquant au Pont-Neuf pour rejoindre le centre-ville. Impressionnant. "Je ne suis pas près d'oublier cette vision", reconnaissait une vieille militante de la CGT.
En fin d'après-midi, aux alentours de 17h, la tête de la manifestation qui n'avait cessé de s'amplifier sous les regards de policiers décontractés et protecteurs, pointait ses banderoles au niveau de la gare alors que la queue de cortège était toujours aux pieds des jardins de Blossac, sous la Tour-à-l'oiseau. Un bon kilomètre. Et des milliers de personnes. 10.000 selon la police. 25.000 selon les syndicats. Bref au final, ils étaient sans doute aux alentours de 20.000 à avoir repoussé le CPE, "la précarité", le Premier ministre, le gouvernement et toute "la Chiraquie" comme il l'était écrit sur un panneau dans ses retranchements. Etudiants, syndicalistes, politiques de gauche (PS, PC, LCR, Verts...), retraités, salariés du privé, de Poitiers, de Chauvigny, Montmorillon et Châtellerault...c'était le cortège de toutes les générations. C'est le cortège d'un jour historique. Tout simplement.
Lycées
Certains bloquent, d'autres pas
Plusieurs lycées ont été bloqués mardi par les élèves. A Poitiers: Auguste-Perret et Louis-Armand, Camille-Guérin plus ou moins selon les parties.
Le lycée professionnel Auguste-Perret est bloqué jusqu'à jeudi inclus, et ne laisse passer que les BTS. A Louis-Armand, "le blocus assuré par une trentaine de personnes, a duré une partie de la matinée, de 7h30 à 10h, et a continué durant la manifestation. Seules les filières post-bac et le personnel peuvent rentrer", mentionne-t-on à la direction.
A Camille-Guérin, si la proviseure affirme qu'il n'y a pas eu blocus, les lycéens assurent le contraire: "De 8h à 10h, en laissant passer les prépas". Lesquels confirment la version des élèves.
Les autres établissements étaient calmes, organisant des assemblées générales et préparant la manifestation de l'après-midi. Au Bois-d'Amour, au Lycée pilote innovant, à Aliénor-d'Aquitaine, au lycée hôtelier, pas de blocage car "on n'en a pas eu besoin, il n'y avait pas d'élèves!" sourit Pierre Oudin. Effectivement, l'absentéisme militant était de mise. Au lycée Victor-Hugo, les élèves ont organisé une assemblée générale avec leurs professeurs pour discuter principalement des modalités de la manifestation de l'après-midi.
A Loudun, il y a eu une tentative de blocage au lycée Guy-Chauvet, et un fort absentéisme, de même qu'à Marc-Godrie. A Montmorillon, aucun blocage signalé. A Châtellerault, plus de la moitié des enseignants et tous les surveillants du lycée Berthelot étaient en grève.
La manifestation monstre d'hier s'est terminée sans action coup-de-poing de la coordination. Mais, dès cet après-midi, les étudiants ambitionnent de bloquer "les grands axes commerciaux" des villes de l'Ouest.
L'action s'arrête là, ça suffit. Si le gouvernement ne cède pas on continuera! Il est 17h10, la tête de l'impressionnant cortège des anti-CPE vient d'arriver à l'angle de la rue Victor-Hugo et de la place d'Armes de Poitiers.
Au mégaphone, Stéphane Nicolas, l'un des membres de la coordination, annonce aux milliers d'étudiants et de lycéens massés derrière une immense banderole blanche que l'action coup-de-poing, dans l'esprit de celles qui ont émaillé les précédentes manifestations, n'aura pas lieu. Pas de tentative d'envahissement du rectorat ni de la gare pour cette fois.
Eux-mêmes surpris par l'ampleur du cortège poitevin, les tréès organisés et toujours très réfléchis membres de la coordination ne veulent pas tenter le diable. "C'est une trop belle fête. Ce n'est pas la peine de prendre des risques. Ca gâcherait tout", justifie Romain Pathé, autre membre de la coordination étudiante.
Une journée historique
Sur la place d'Armes, Julien Vialard, l'un des porte-parole du mouvement, jubile: "C'est une journée historique!"
L'étudiant en master d'histoire médiévale poursuit: "Cette journée n'est pas un aboutissement. Ce n'est pas parce qu'on a réuni 35.000 personnes (Note de la rédaction: chiffre de la manifestation revendiqué par les étudiants ainsi que par les organisation syndicales) qu'on a gagné. Les étudiants ne vont pas s'arrêter là alors qu'ils ont mis en péril leur année universitaire! La balle est désormais dans le camp du gouvernement. Il faut qu'il réponde à nos revendication sur le CNE, sur le CPE, sur la loi Fillon et sur la réduction des postes aux concours."
Actions dans tout l'Ouest
Avant la manifestation, les étudiants réunis en AG au stade Rebeilleau avaient reconduit le blocus de l'université (867 voix pour un blocus total; 143 pour un blocus partiel; 296 contre; 7 abstentions). Au cours de cette AG, J. Vialard a annoncé la mise en place d'un réseau regroupant les universités du Grand Ouest de Caen à Bordeaux en passant par Le Mans, Rennes et Nantes. Si ce réseau n'a rien de formel il est néanmoins destiné "à coordonner des actions dans les villes universitaires de tout l'Ouest, explique J. Vialard. Nous ne voulons pas nous perdre dans des débats sans fin, nous voulons mener des actions chocs". La première pourrait avoir lieu cet après-midi avec une tentative de blocage "des grands axes commerciaux."
La Nouvelle République, Mercredi 29 Mars 2006.
France 2, 20 heures, Mardi 28 Mars 2006, présentation David Pujadas.