Le 05 avril 2014 à 10h58 |
Afiche pour la "fête nationale" en Catalogne, édition 2012. Pris sur www.barcelona-news-france.blogspot.fr
A l'abri sous la majestueuse halle de fer de l'ancien marché du Born, les vestiges de Barcelone au 18ème siècle, aujourd'hui exposés au public après un long chantier de restauration, sont devenus le lieu-symbole des aspirations à l'indépendance de la Catalogne.
A l'entrée du marché flotte un immense drapeau catalan, rayé rouge et jaune. A l'intérieur, tout rappelle la date du 11 septembre 1714: le jour où Barcelone, après 14 mois de siège, a cédé face aux troupes franco-espagnoles menées par le roi d'Espagne Philippe V. Une bataille qui avait marqué la fin de la Guerre de Succession d'Espagne et imposé le règne des Bourbon sur la Catalogne, alors une principauté qui disposait d'une large autonomie. "Il y a 300 ans, Barcelone et la Catalogne ont lutté pour un avenir meilleur. Aujourd'hui aussi, elles veulent vivre libres et en paix", proclame un panneau expliquant l'histoire de ce lieu devenu centre culturel et attraction touristique majeure depuis son inauguration, le 11 septembre 2013.
Mêlant culture et histoire, le projet de restauration de cette gigantesque halle de métal dessinée par l'architecte Antoni Rovira i Trias, construite entre 1874 et 1878 pour devenir le principal marché de la ville, devait abriter une bibliothèque. Mais après la découverte en 1994, dans son sous-sol, de vestiges du 18ème siècle, à l'origine de retards dans les travaux, il a été décidé d'abandonner le projet initial et de conserver les ruines.
Alors que la Catalogne veut organiser le 9 novembre un référendum d'autodétermination, le lieu s'est imposé comme le symbole de l'identité catalane, autour de la date du 11 septembre 1714 dont le tricentenaire est fêté cette année. Les opposants à l'indépendance, soutenus par Madrid, dénoncent ces célébrations comme un acte de propagande électorale. "Les partis indépendantistes ont utilisé cette guerre pour la transformer en un symbole de l'indépendance et de la lutte de la Catalogne contre l'Espagne, alors que c'était une guerre européenne entre deux dynasties", les Bourbon et les Habsbourg, affirme Enric Millo, porte-parole en Catalogne du Parti populaire, de droite, au pouvoir en Espagne.
- Un 'mythe fondateur'
"1714 a toujours été la date-symbole du nationalisme catalan. Cette année, avec le tricentenaire, la date revêt une importance spéciale", relève le philosophe et politologue Josep Ramoneda, en soulignant que "comme tous les mythes fondateurs, c'est un mélange de mensonge et de vérité".
A l'intérieur du marché, s'étalent les restes du quartier de la Ribera, détruit sur ordre du roi après la prise de Barcelone pour y construire une citadelle. Aux pieds des visiteurs, les ruines dessinent la physionomie de la ville du 18ème siècle, ses rues pavées datant de l'époque médiévale et ses maisons. "Il faut s'imaginer une ville pleine de lumières et de couleurs, aux rues bordées de commerces, de tavernes, très raffinée, mêlant toutes les couches de la société", raconte Quim Torra, le directeur du centre. Les murs portent quelques cicatrices des milliers d'obus tombés sur Barcelone durant le siège.
Avant 1714, la Catalogne "avait sa monnaie, un système d'impôts propre, un Parlement, ses villes étaient dirigées par des gouvernements locaux et le catalan était langue officielle", explique Albert Balcells, historien de l'Institut d'Etudes catalanes. Attachée à ses privilèges, la région, comme l'Aragon, Valence et les Baléares, avait pris position durant la Guerre de Succession (1701-1714) pour l'archiduc Charles d'Autriche comme candidat au trône d'Espagne, plutôt que pour Philippe V, descendant de la couronne de France, de tradition absolutiste.
Après la signature du Traité d'Utrecht en 1713, qui a scellé la paix en Europe, Philippe V a achevé de vaincre la résistance de la Catalogne, supprimé les institutions régionales et interdit l'utilisation du catalan comme langue officielle. "Cette guerre et ses conséquences ont été la plus grande calamité de l'histoire de la ville. Le siège a été une tuerie", assure Toni Soler, directeur du programme du Tricentenaire. "Il y a du clair obscur" dans la lecture qui est faite de l'histoire, nuance pourtant Josep Ramoneda. "Il est vrai que la Catalogne a perdu beaucoup, mais il y a aussi une part d'imagination".