
Une des nombreuses caricatures suscitées par l'affaire d'Angoulême cette semaine. Pris sur Twitter le 28 Décembre 2014.
Mercredi, alors que l'Hexagone se préparait à fêter le réveillon de Noël, l'info sortait sur le site de Charente Libre. La municipalité a décidé de mettre des grilles sur les bancs publics pour que les marginaux n'y séjournent plus. Avec installation de ces blocs de fer, la veille de Noël, comme un symbole d'une cruauté extrême des pouvoirs publics à l'encontre des plus démunis. Tollé sur les réseaux sociaux, avec les mêmes mots qui reviennent en boucle :"honte", "dégoût", "scandale",...L'indignation est collective, l'approbation est discrète. On remarquera que ce 25 décembre, le FN est venu au secours de la municipalité. Quel sera le renvoi d'ascenceur de la mairie au parti d'extrême droite?
Le système médiatique s'emballe: presse écrite, télévision et radio font de leur deuxième sujet (priorité à la féerie de Noël) sur Angoulême l'ouverture des "vraies" informations, avec le passage en boucle de l'adjoint à la sécurité envoyé au casse-pipe pour partager la responsabilité de l'acte immonde avec les commerçants de la Place du Champ-de-Mars. Mais la vague est immense, et déjà sur le net s'acumule les appels au boycott du festival de la BD qui se tient dans un mois.
Prenant un prétexte falacieux de"sécurité" en guise de sortie de secours, la mairie, dans la nuit du 25 au 26 décembre retire ses grilles. Des agents mobilisés, de l'argent dépensés inutilement, tout cela pour en revenir au point de départ. L'image de la ville est ternie. La mairie, mauvaise perdante, finira tôt ou tard par revenir à la charge pour retirer ses bancs publics. Fin de l'histoire? Pas du tout.
Cette action est le symbole parfait de l'impuissance publique à lutter contre l'une des plus vieilles pratiques du monde, avec la prostitution, que constitue la mendicité, le vagabondage. Embourbés dans des crises, notre pays accepte peu à peu des pratiques que la morale réprouve. Ces gens, qui sont favorables à l'éloignement forcé des clochards (d'ailleurs, ces gens là ne disent pas clochards, mais soigneusement "précaires" ou "SDF"), sont les mêmes qui vont défendre les valeurs chrétiennes face à la déchristianisation des esprits, ce sont les mêmes qui se seraient battus pour prendre une photo en compagnie de l'abbé Pierre, et ce sont les mêmes qui appellent hypocritement leurs concitoyens à la "solidarité" avec les "plus démunis" les soirs de réveillon de Noël et du jour de l'An, une coupe de champagne à la main.
Vrai problème, réponse fausse
La municipalité d'Angoulême considère donc ses vagabonds comme des sous-citoyens, que l'on doit déplacer pour ne pas faire du tort à l'image des commerçants. Mais admettons, cette mairie retire les bancs du centre-ville, en espérant ainsi repousser ses "indésirables". Le problème est repoussé dans les quartiers périphériques. Et le dérangement toujours présent. Donc il faudra supprimer encore d'autres bancs, les retirer, les grillager, les rendre désagréables afin de repousser plus loin ces gens. Et une fois rendu au-delà des frontières de la ville, que feront les municpalités adjacentes: recueillir la misère d'Angoulême ou retireront-elles aussi les bancs publics, afin de ne pas déranger les commerçants du coeur de ville, dégageant ainsi les marginaux hors des murs?
Il est clair qu'un mécanisme fou est dès lors enclenché. Mais face à cela, je constate surtout l'absence de réponse des collectivités face aux problèmes que posent la marginalité, d'une société qui cherchent à cacher le miroir de son échec, de masquer une misère que l'on ne veut pas voir, cette misère qui nous gêne, soit pas peur d'y tomber un jour ou l'autre, soit car elle démontre l'abérration totale d'une société où les très riches et les très pauvres sont toujours plus nombreux d'année en année.
Cette misère, c'est l'incarnation de l'impuissance collective, de cette face que l'on veut cacher de notre République, 6ème puissance économique mondiale, qui ne parvient pas à loger et nourrir l'intégralité de sa population, incapable de respecter son ambition d'après, toujours en vigueur dans nos institutions, l'article 10 du préambule de la Constitution de 1946 qui proclame que "Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence".
Une fois le temps de l'indignation passée, les miséreux, les nécessiteux resteront dans leur état, et la seule réponse que l'on sera en mesure d'y apporter sera ce terrible "Mais on n'y peut rien". Telle est la fatalité de l'impuissance de la Nation à laisser la misère s'emparer de ses enfants.
Bonus-vidéo: parce qu'avec des gens comme ceux de la majorité municipale d'Angoulême n'aurait pas pu écrire "Les Amoureux des Bancs Publics", une vidéo où Georges Brassens, entre deux morceaux de sa chanson, évoque ces fameux bancs publics, alors en voie de disparition dans les années 1970.
Antenne 2, C'est la Vie, 26 Septembre 1977.