A la Une de la Nouvelle République, Mardi 19 Décembre 1989.
Roumanie: l'armée contre l'émeute
Les premières émeutes en Roumanie contre le régime de Nicolae Ceauscecu depuis le début de la vague de libéralisation en Europe de l'Est samedi et dimanche à Arad et Timisoara, ont été particulièrement violentes, selon tous les témoignages de voyageurs et de témoins oculaires.
Des estimations très contradictoires circulaient hier soir sur le nombre des victimes. Le porte-parole à Paris de la Ligue des Droits de l'homme en Roumanie, a déclaré qu'il n'avait pas confirmation pour l'instant d'éventuels décès de manifestants. Selon une source sûre, à Vienne, un témoignage a fait état d'un mort. A Belgrade, l'agence yougoslave Tanjug a indiqué que deux personnes avaient été tuées.
Combien de morts?
D'autres estimations font quant à elles, état de véritables massacres. L'écrivan germano-roumain William Totok, affirmant citer des témoins, a souligné que les soldats avaient tiré sur la foule, tuant 300 à 400 personnes et en blessant une centaine d'autres.
Deux étudiants en médecine de nationalité syrienne employés dans un hôpital de Timisoara, et qui quittaient hier la Roumanie, ont quant à eux, fait état d'"au moins 1.000 morts".
"Nous avons vu défiler à la morgue de l'hôpital au moins 1.000 corps au cours de la journée de dimanche", a indiqué l'un d'entre eux, en soulignant que les corps portaient tous des traces de balles.
Tous les témoignages soulignent en tout cas la violence des heurts entre la police, les unités secrètes et les soldats roumains d'une part, et environ 5.000 manifestants de l'autre, jeunes étudiants en majorité, à Timisoara, ville de 300.000 habitants, où vivent en majorité des Roumains de souche allemande et hongroise.
Ces manifestants protestaient contre l'arrestation du pasteur protestant Laszlo Tokes, défenseur des droits de la minorité hongroise en Transylvanie qui a été emmené avec sa femme vers une destination inconnue par la police secrète.
"J'ai vu des chars, des vitres brisées et des soldats baïonnette au canon qui chargeaient la foule", a raconté un voyageur, interviewé lundi par Radio-Budapest.
"Les manifestants, a souligné un autre, scandaient des slogans hostiles à Ceausescu, "A bas le dictateur", "Peuple roumain, réveillez-vous" et ont arraché des murs ls portraits du conducator avant de les brûler, ainsi que ses livres".
Selon les informations recueillies par la Ligue de défense des droits de l'homme en Roumanie, à Paris, les forces de police sont arrivées avec des chars, des blindés, des canons à eau, accompagnées de soldats baïonnette au canon, tandis que des hélicoptères survolaient la ville. Des tirs ont alors été entendus, tandis que des ambulances circulaient dans la ville.
Des témoignages recueillis à la frontière avec la Yougoslavie, indiquaient que Timisoara étaient encerclée par les forces de l'ordre. Dans la ville même, patrouillaient des tanks et de nombreuses unités de l'armée et de la police.
Dans la ville d'Arad, près de la frontière hongroise, des chars ont patrouillé dimanche et, selon des témoins oculaires, le couvre-feu a été institué dans la nuit de dimanche à lundi. La situation serait redevenue calme dans la journée de lundi, aussi bien à Timisoara qu'à Arad.
Les autorités roumaines n'ont soufflé mot de ces émeutes, comme déjà lors de celles de Brasov en novembre 1987, où 20.000 personnes avaient protesté violemment contre la pénurie alimentaire.
On ne sort pas
Pour empêcher des témoins d'aller dans les deux villes concernées, les frontières avec Hongrie et la Yougoslavie ont été pratiquement fermées.
Les autorités roumaines ont également interdit aux Autrichiens de se rendre en Roumanie, à l'exception des personnes voyageant à des fins professionnelles.
Quant à Ceauscecu, il est parti, comme si de rien n'était, hier matin pour un voyage officiel en Iran. Il a toutefois laissé à Bucarest sa femme Elena, véritable numéro deux du régime, qui d'ordinaire l'accompagne dans tous les voyages officiels.