Qui dans le gouvernement fait véritablement attention à l'utilisation des deniers publics?
Valérie Pécresse a-t-elle abusé de sa position de ministre lors d'un voyage officiel à la facture salée ? Enquête.
Un voyage d'affaires à l'étranger, cela coûte toujours très cher. Celui de Valérie Pécresse en Asie en juin 2008 ne fait pas exception. Mais certaines dépenses de la ministre et de son équipage soulèvent des questions. Nous les avons soumises au ministère, sans obtenir toutes les réponses que nous souhaitions.
Dans certains pays comme la Suède, il est très facile, pour tout citoyen, de vérifier les notes de frais des ministres et autres représentants de la collectivité. En France, la transparence est encore un concept « en devenir ».
C'était en juin 2008. A une autre époque… Juste avant la crise économique, un temps où les membres du gouvernement profitaient sans souci des petits et grands privilèges de la République. Les 13 et 15 juin, la ministre Valérie Pécresse représente la France, qui préside le G8 de la Science et de la Technologie, pour une réunion prévue à Okinawa au Japon.
Crown Suite pour deux nuits : 1 564 euros
Les organisateurs japonais ont prévu de transporter et d'héberger les délégations, sur la base de deux personnes, dans deux chambres ordinaires : la ministre et un « accompagnant », son conseiller diplomatique François Decoster.
Problème : le 13 juin, Valérie Pécresse débarque avec deux autres « accompagnants », un officier de sécurité et le conseiller presse, Jean-Marc Zakhia. Ce dernier confirme :
« Oui, nous étions quatre. Mais c'est normal pour un tel déplacement : l'officier de sécurité en fait toujours partie et deux conseillers, ce n'est pas énorme. »
Les dépenses vont bien être plus élevées que prévu.
La délégation a d'abord besoin de deux chambres supplémentaires, pour deux nuits, dans l'hôtel Okinawa Marriott Resort&Spa : 556 euros
Sans oublier le transport aéroport/hôtel pour les « accompagnants » supplémentaires (voitures et péage) : 452 euros
La ministre, elle, prend plus d'espace que prévu en s'installant dans la Crown Suite (la plus belle) : 1 564 euros les deux nuits.
Commentaire du cabinet de Valérie Pécresse :
« C'est l'ambassade qui s'est occupée du logement et du transport. Madame Pécresse n'a jamais demandé une chambre particulière, ni avant le voyage, ni à son arrivée à l'hôtel. Elle ne s'occupe pas de ce genre de chose. »
Deux massages pour la suite 1180
Dans les faux frais (348 euros), la facture de l'hôtel fait état d'un « マッサージ ». Comprenez un « massage » et même deux -un chaque jour- au bénéfice de la chambre 1180 (la chambre occupée par Valérie Pécresse), pour un total de 12 600 yens (75 euros). Ainsi qu'un coiffeur/maquilleur pour 10 500 yens (63 euros).
Explication du cabinet :
« Effectivement, ces extras figurent bien sur la facture. Dans le cas d'une dépense personnelle, soit c'est payé directement par la ministre, soit c'est remboursé a posteriori. C'est ce qui s'est passé, elle a remboursé les deux massages et le coiffeur. »
A la question de savoir si Rue89 peut consulter le bordereau de remboursement, le cabinet répond :
« Il faut nous croire sur parole, mais je vous assure, vous vous trompez de client, ce n'est pas du tout son genre : il y a une séparation claire entre les choses. »
L'histoire ne s'arrête pas là. Comme l'a révélé le Canard Enchaîné, l'hôtel d'Okinawa a dû batailler quelques semaines pour se faire payer -via l'office du tourisme japonais-, car personne ne voulait prendre en charge le reliquat de l'escapade : 2 921 euros. Ni les Japonais, ni l'ambassade de France à Tokyo, ni l'ambassade du Japon à Paris, ni même le ministère…
Après quelques allers-retours, la douloureuse a finalement été réglée à l'automne 2008. Question : pourquoi la délégation n'avait-elle pas de quoi payer l'addition ? Simplement parce qu'elle est arrivée au Japon les poches vides.
Un hélicoptère russe pour visiter la baie d'Halong
La veille, Valérie Pécresse était au Vietnam. Une escale de 24 heures, les 11 et 12 juin, juste après une étape à Singapour, les 10 et 11 juin, où elle a inauguré un cargo du groupe Louis Dreyfus.
Arrivée mercredi soir à Hanoï, la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche enchaîne jeudi matin trois rendez-vous protocolaires avec ses homologues, ainsi que l'indique son agenda officiel. Puis plus rien pour l'après-midi.
En fait, comme le raconte Franck Renaud dans son livre « Nos amis les diplomates », elle profite de ce temps libre pour faire une virée en hélicoptère en baie d'Halong. Départ : 12h45, pour trois-quarts d'heure de vol. Retour : 17h45.
Officiellement, il s'agit d'effectuer une visite de terrain consacrée à la biodiversité, avec un spécialiste du sujet… en milieu forestier, pas en milieu marin. Or, les arbres sont rares sur les îlots de la baie d'Halong. La délégation, raconte Franck Renaud, compte une quinzaine de personnes. Entre les deux vols en hélico, l'équipage a surtout profité de la douceur locale pour déguster un plat de fruits de mer sur une jonque.
Ce genre de plaisirs est localement facturé 554 dollars (428 euros) par personne, y compris la location de l'hélicoptère russe de type MI17. Qui a payé la facture ? Réponse du cabinet :
« Je ne vous donnerai pas le coût de ce déplacement qui a été pris en charge par le ministère. Pour l'instant, la ligne “déplacement” est annuelle. Le jour où le détail sera demandé, nous le donnerons. »
Chiche, mais « demandé » par qui ? Pas par nous, visiblement.
Photos : Valérie Pécresse à l'université d'été de l'UMP à Royan en septembre 2008 (Audrey Cerdan/Rue89) ; François Decoster, conseiller diplomatique de Valérie Pécresse (DR) ; la Crown Suite à l'hôtel au Japon (DR)