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Du grand classique soviétique!
Le nouveau stade national de Varsovie a été construit sur un site qui, au cours de son histoire, a servi à bien d'autre chose qu'aux manifestations sportives. L'hebdomadaire de Cracovie revient sur les péripéties de ce grand chantier.
08.06.2012 | Tygodnik Powszechny
Photo de l'ancien stade de Varsovie, le Stadion Dziesięciolecia, Wikimedia commons.
Les premiers projets de construction d'un stade à Praga, quartier de Varsovie situé sur la rive droite de la Vistule, remontent à la période de l'entre-deux-guerres. A l'emplacement de l'actuel Stade national construit pour l'Euro 2012 devait se tenir, en 1944, l'Exposition universelle. Juste à côté, le club Maccabi, regroupant les sportifs de la communauté juive, voulait bâtir son stade. Mais la guerre a mis fin et aux préparatifs et à la vie sportive de la capitale.
A la libération, en 1945, tous les terrains de la ville ont été nationalisés, et la zone en question a été transformée en décharge où on a déposé les gravats en provenance de tout Varsovie [alors détruite à plus de 90 %]. Les autorités ont décidé de profiter du monticule ainsi formé pour construire un gigantesque stade de 37 000 places, avec une possibilité d'extension jusqu'à 60 000. Les architectes Jerzy Hryniewiecki, Zbigniew Ihnatowicz et Jerzy Soltan ont été chargés du projet.
Rapidement, malgré l'enthousiasme qui accompagnait la reconstruction, l'économie socialiste a commencé à donner ses premiers signes de fatigue. Le projet a été mis de côté, comme celui du métro [mis en chantier en 1927, inauguré en 1995], et on l'aurait oublié si Varsovie n'avait été chargée [par le grand frère soviétique] d'organiser un festival mondial de la jeunesse et des étudiants, un événement de masses organisé tous les cinq ans dans les pays communistes. Le pouvoir n'a eu d'autre choix que de construire le stade, connu plus tard sous le nom de Stade des dix ans du communisme. Varsovie n'avait alors pas d'endroit pour les défilés et les parades du Parti. On a donc déterré le vieux projet. Moscou a exigé l'agrandissement du stade, à 100 000 places.
Un stade sans vestiaires et sans éclairage
En vrais stakhanovistes, les ouvriers se sont mis à travailler jour et nuit, la presse informait à chaud de la progression des travaux. "Le stade pousse comme le pain à la levure", lit-on dans un journal de l'époque. Il a été achevé en temps record de onze mois.
Il faut dire que les architectes du stade se sont assez éloignés du style du réalisme socialiste, obligatoire à l'époque du bloc communiste, préférant s'inspirer des tendances mondiales du moment. La tribune en pierre brute, pour placer les dignitaires du régime, bâtie dans le pur style imposé par l'idéologie a été leur seule concession.
Après l'inauguration en grande pompe le jour de la fête nationale du 22 juillet 1955, une fois le festival clos, le stade a perdu son statut privilégié. Pas très commode pour le football, il n'avait pas de vestiaires dignes de ce nom. Les joueurs devaient faire des kilomètres pour rejoindre les locaux à l'extérieur. L'éclairage aussi n'avait pas été conçu pour un terrain de jeu. Parfois, le public suivait des épreuves d'athlétisme avec des torches fabriquées avec du papier journal. Le 13 juillet 1963, le concours du saut à la perche s'est déroulé à la lumière des phares de quelques voitures installées sur la pelouse ! C'est dans ces conditions que l'Américain John T. Pennel a battu le record du monde en franchissant 5,10 m.
Mais ce manque d'équipements ne dérangeait nullement les voyous du quartier. Suivant la doctrine socialiste, les clôtures et séparations étaient des reliques de l'époque bourgeoise révolue, le stade restait alors grand ouvert. Les bas-fonds transformèrent les tribunes en un lieu de beuveries et de trafics en tous genres.
Un stade transformé en marché à ciel ouvert
Le mythe d'une grande réalisation communiste a commencé à s'effriter. En 1963, c'est ici que l'équipe polonaise de foot fut éliminée de la phase qualificative du championnat d'Europe. On disait que la pelouse du stade lui portait la poisse. En 1968, lors de la fête de la Moisson organisée par le régime, l'opposant Ryszard Siwiec s'est immolé pour protester contre l'invasion des troupes du pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie. Le stade est resté inutilisé jusqu'à ce qu'on y organise les concerts de rock.
Dévasté, tel un cratère volcanique, à l'avènement de la nouvelle Pologne, l'ancien stade est devenu pépinière du capitalisme et du multiculturalisme. Ne sachant que faire, la Ville a loué le géant inutile à une entreprise qui l'a transformé en un marché à ciel ouvert. Investi par des ressortissants de l'ex-URSS faisant commerce de cigarettes, d'alcool et d'autres curiosités mécaniques comme des pistolets pour tuer les mouches, le bazar a attiré, dès le milieu des années 1990, des Vietnamiens et des Bulgares, suivis par des Africains et des Asiatiques. Un village asiatique s'est organisé autour de l'ancien stade, avec ses stands provisoires et ses vendeurs ambulants comme à Hanoi ou à Bangkok. Pour les Polonais vivant dans une société monoethnique, c'était la première leçon de tolérance.
Des grenadiers et des vignes dans les gradins
Au XXIe siècle, avant la démolition, les biologistes de l'université de Varsovie ont découvert que la structure du stade modifiait les vents. Les tribunes ainsi protégées, profitant d'un microclimat, de l'ensoleillement exceptionnel et de la chaleur emmagasinée dans la pierre, sont devenues le terroir de 160 espèces de plantes, parfois inhabituelles pour le climat polonais. Parmi 24 espèces d'arbres, on pouvait apercevoir un micocoulier occidental originaire de Virginie ou un mûrier de Chine. Entre les sièges en bois depuis longtemps pourris ont poussé de nombreux cerisiers, noyers, pruniers, pommiers et même un grenadier ; on y trouvait aussi des fraises et des tomates, des vignes grimpantes, de petites colonies de céréales et même un sous-bois de houblon.
Décrété plus grande attraction de Varsovie par le Daily Planet, le Stade des dix ans du communisme n'est plus. Sur ses décombres se lève un stade ultramoderne. Paradoxalement, il pourrait finir comme son prédécesseur et devenir plus une arène à grands spectacles qu'un lieu à vocation sportive. Une fois l'Euro 2012 passé, l'équipe nationale ne va plus jouer ici, la location revenant trop cher à la Fédération du football. On n'y organisera pas non plus de meetings d'athlétisme : il n'y a pas de piste...
Pris sur courrierinternational.com, Lundi 11 Juin 2012