Le Conseil européen des 25 et 26 mars sur le sauvetage financier de la Grèce et la stabilité de la zone euro n'a pas apporté de solution, il a esquivé le problème.
Le défi immédiat était la Grèce. Sur ce point, les chefs de gouvernement ont décidé que "dans le cadre d'un package composé d'une participation financière substantielle du Fonds monétaire international (FMI) et d'un financement européen majoritaire, les Etats membres de la zone euro sont prêts à contribuer à des prêts bilatéraux coordonnés".
Mais, poursuit le document, "tout versement (...) devra être décidé à l'unanimité par les Etats membres de la zone euro, soumis à des conditions strictes et fondé sur une évaluation réalisée par la Commission européenne et la Banque centrale européenne (BCE). (...) L'objectif de ce mécanisme ne sera pas de fournir des financements aux taux d'intérêt moyens de la zone euro, mais d'établir des conditions incitant à retourner le plus vite possible au financement sur le marché".
Membre le plus puissant de la zone euro, l'Allemagne a donc obtenu satisfaction. Mais cette annonce a été mal accueillie ailleurs, notamment par la France et par la BCE, qui ne veut pas que le FMI intervienne dans la politique monétaire. Nicolas Sarkozy, le président français, doit avoir des sueurs froides en imaginant d'éventuelles interventions d'une institution internationale basée à Washington et dirigée par Dominique Strauss-Kahn, prétendant potentiel de poids à son propre poste.
Il serait toutefois totalement erroné d'en conclure qu'il s'agit d'une grande victoire pour le FMI, ou même pour l'Allemagne. Car la solution proposée paraît impossible à mettre en oeuvre.
Tout d'abord, s'agirait-il d'un programme du FMI ou de l'Union européenne (UE) ? Que se passera-t-il si le FMI n'est pas d'accord avec la Commission - ce qui paraît fort probable ? Le resserrement budgétaire auquel a consenti la Grèce, à hauteur de 10 % du produit intérieur brut (PIB) sur trois ans, paraît irréalisable, vu l'absence de politique monétaire et de flexibilité du taux de change. Il est possible qu'aucun programme ne puisse marcher, étant donné les conditions de départ défavorables.
Deuxièmement, quelles sont les chances de voir la zone euro apporter un soutien unanime à un programme du FMI ?
Enfin, en quoi l'"aide" envisagée aiderait-elle en quoi que ce soit ? Le problème immédiat de la Grèce, ce sont les taux d'intérêt élevés dont elle doit s'acquitter. Lui proposer des liquidités à un taux écrasant, alors que le pays n'a pas accès au marché, ne ferait qu'aggraver son problème de solvabilité. En outre, le temps que cette aide soit mise en place, il sera beaucoup trop tard.
Jusque-là, tout ne va donc pas pour le mieux. Mais c'est lorsque l'on considère les grands défis que les choses deviennent vraiment effrayantes. L'un des aspects inquiétants concerne le refus d'accepter le défaut de paiement. Mais surtout, la conception allemande de la façon dont la zone euro devrait fonctionner est erronée.
Herman Van Rompuy, président du Conseil européen, a déclaré après la réunion bruxelloise : "Nous espérons que cela fera comprendre à tous les détenteurs d'obligations grecques que la zone euro ne laissera jamais sombrer la Grèce."
Il n'existe que deux façons d'honorer cet engagement : soit les Etats membres se signent mutuellement des chèques en blanc, soit ils prennent en main les finances publiques - et donc le gouvernement - des membres défaillants. L'Allemagne n'acceptera jamais la première solution ; et, pour des raisons politiques, la seconde n'est pas envisageable, notamment pour les grands pays. Aussi, la déclaration de M. Van Rompuy paraît-elle absurde.
Venons-en maintenant au point essentiel. La déclaration du Conseil européen souligne aussi que "la situation actuelle démontre la nécessité de renforcer et de compléter le cadre existant afin d'assurer la durabilité budgétaire dans la zone euro et d'améliorer sa capacité à agir en périodes de crise. A l'avenir, la surveillance des risques économiques et budgétaires, et les instruments de leur prévention, y compris la procédure sur le déficit excessif, doivent être renforcés."
Ici, l'idée directrice est que l'affaiblissement des positions budgétaires dans les pays périphériques reflète un manque de discipline budgétaire. Cela est vrai de la Grèce et, dans une moindre mesure, du Portugal. Mais l'Irlande et l'Espagne présentaient des positions budgétaires apparemment solides comme le roc. Leur véritable faiblesse résidait dans les déficits financiers de leurs secteurs privés. Ce n'est que lorsque les secteurs privés se sont corrigés après la crise que le déficit budgétaire a explosé. La surveillance ne doit donc pas s'exercer seulement sur le secteur public, mais aussi sur le secteur privé !
Mais les bulles d'actifs et l'expansion du crédit du secteur privé dans les pays périphériques reflétaient aussi l'absence de croissance de la demande réelle dans les pays du centre. Le taux d'expansion plus ou moins satisfaisant de la demande globale de la zone euro a été généré par la politique monétaire de la BCE. Aussi les catastrophes budgétaires actuelles résultent-elles, en définitive, d'un recours à une politique monétaire accommodante, mise en oeuvre pour compenser la faible croissance de la demande dans le centre de la zone euro et, en premier lieu, en Allemagne.
Les autorités allemandes ne souhaitent pas avoir cette discussion sur la demande et les déséquilibres internes de la zone euro. Or tant qu'elles s'y refuseront, la perspective d'une "coordination économique renforcée", mentionnée dans la déclaration du Conseil, restera illusoire. Et si, comme l'Allemagne le souhaite, ses partenaires s'orientent résolument vers une réduction de leurs déficits budgétaires, la zone euro, deuxième économie mondiale, serait alors en passe de devenir une vaste Allemagne, en butte à une demande intérieure chroniquement faible.
L'Allemagne et d'autres économies similaires pourraient s'en sortir grâce à une augmentation de leurs exportations en direction des pays émergents. Mais pour les partenaires européens structurellement plus faibles - notamment ceux qui souffrent de coûts non compétitifs -, cela déboucherait au mieux sur des années de stagnation. Est-ce cela, la "stabilité" tant vantée ?
Le projet d'union monétaire se trouve face à un immense défi. Il ne dispose d'aucun moyen facile de résoudre la crise grecque. Mais le principal problème est que la zone euro ne fonctionnera pas comme le voudrait Berlin. Certes, l'Allemagne peut obtenir satisfaction sur le court terme, mais elle ne pourra jamais assurer la réussite de la zone euro de la manière dont elle le souhaite. Les énormes déficits budgétaires sont les symptômes de la crise, non ses causes. Existe-t-il un moyen satisfaisant de sortir de ce dilemme ? Pour l'instant, je n'en vois pas. C'est cela qui est vraiment effrayant.
Cette chronique de Martin Wolf, éditorialiste économique, est publiée en partenariat exclusif avec le "Financial Times". © FT.
(Traduit de l'anglais par Gilles Berton)