Bref en lisant cet article, j'ai compris que sans le vouloir, je suis devenu "contestataire" un beau matin d'octobre 2001, en me disant que ce lundi là, je ne me raserai pas le bouc, que depuis j'ai gardé.
Mais un article de ce type correspond parfaitement à un Edwy Plenel, porteur de moustache et bien portant, ou encore à...ben plus personne médiatiquement parlant vu que tous sont désormais clonés en veste noire chemise blanche sans cravate et bien rasés, Didier Porte et Stéphane Guillon mis à part of course.
Un avantage de ce papier, en plus de m'avoir bien fait marrer, est d'avoir permis de corriger une erreur grossière de mon vocabulaire: on pogonophobe pour les phobiques du poil, et non pas pilophobe comme je le pensais jusqu'à présent...
Pilosité. Et si boucs et autres moustaches traduisaient un refus de l’ordre sarkozien ?
Que les pogonophobes (non, pas les phobiques de la danse «pois sauteur») se pincent. Franchement pas le moment de faire une allergie aux poils, de fantasmer sur d’imberbes esthètes, et de hurler à sa moitié : «le rasoir, c’est pas que pour les gonzesses». Voici en effet (re)venu le temps des hommes à poils. Des moustachus (avec Brad Pitt en chef de bulbe) depuis un certain temps, des porteurs de boucs (notamment chez les geeks et les footballeurs américains), et comme si cela ne suffisait pas, une armada de barbus hante désormais les rues. En mode super touffue (tendance ours) arborée par des gars mega-costauds dans certains bars gays, ou très tendance, en version gainsbourienne : achhh, Stéphane Guillon et tous ses amis des médias, du ciné, etc.
«Code».Mais pourquoi ? Pourquoi ce regain d’envie du mâle pour ce caractère sexuel secondaire qui se traduit par quelque 500 poils au cm² ? Débroussailler cette importante affaire tient d’une partie de coupe-coupe dans la jungle. En vrac, quelques hypothèses : une chabalmania persistante, un enrobage anticrise, un gros coup de flemmingite quand ça gueule de partout «faut travailler plus, les gars»… Libération a très sérieusement posé la question à des scientifiques de renom.
«Difficile de se prononcer en l’absence de visibilité statistique» , bat d’abord en retraite le sociologue Jean-François Amadieu (1). Avant de se lancer : «la moustache a un côté années 30-40. Mauvais garçon. Avec réappropriation de leurs codes par les élites. Peut-être assiste-t-on plus globalement à un retour à la virilité ?»
Autre piste, celle d’un autre confrère sociologue, Jean-Claude Kaufmann (2), aussi connu que sa paire de moustaches. Formel, il balaie une envie de poils baba «nature» façon années 70 : «Les moustaches d’aujourd’hui sont davantage années 30. C’est un peu comme le renouveau de la DS. Il y a aussi la mode de la barbe de trois, quatre jours, alors qu’il y a dix ans, il ne fallait pas un soupçon de poil. C’est un code, une mode, comme le petit pull noir.»
A ce stade, on dégaine le philosophe du corps, professeur à la faculté du sport de l’UHP Nancy-université, Bernard Andrieu (3), qui pratique lui-même, à ses heures, le look pas rasé de près. Et affirme enseigner à des étudiants qui tous «portent une barbichette». Plein d’audace il se lance : «Cela fait penser à ce mouvement de femmes à Lyon en 2004 qui refusaient l’épilation et entendaient ainsi lutter contre les standards industriels de la consommation. Il y a là aussi chez certains, une revendication anticonsumériste. Et un côté respecter le cycle de la nature, l’écologie de la peau.» Pas mal la piste verte.
Follicule. A croire que le poil serait presque une lutte. On ne croit pas si bien dire. «Je crois aussi que c’est une façon de lutter contre le standard de l’imberbe qui fait de nous des clones identitaires. En effet, se raser reste la norme. Et c’est la première chose que l’on fait avant un entretien d’embauche. Le poil est une forme de résistance. A l’esthétique. A une société très uniformisée, coercitive, hyperstandardisée. C’est même peut-être une façon de lutter contre le corps sarkosien, lisse, athlétique, qui veut effacer toutes les aspérités et conflits, sans voir un poil dépasser.»
De là à crier au poil citoyen, il n’y a qu’un follicule. Mais on se calme : «Ceux qui s’autorisent la barbe de trois, quatre jours sont des gens bien intégrés dans l’entreprise qui justement peuvent se permettre de jouer avec la norme.»
CATHERINE MALLAVAL
(1) Le Poids des apparences, éd. Odile Jacob, mars 2002, 224 pp. (2) Quand je est un autre, éd. Armand Colin, août 2008, 264 pp. (3) Le dictionnaire du corps avec Gilles Boetsch, éd. CNRS, 2006, 545 pp. et Bronzage, une histoire de la peau et du soleil, éd. CNRS, 2008