UN D'ESTAING EN VERT
Stéphane Pinguet - Mardi 15 Septembre 2009
À quoi ressemblait le foot sous Valéry Giscard d'Estaing, et à quoi ressemblait le président de la République sous les Verts? Bonus: Giscard en short. Parler de Giscard pour quelqu'un né sous Mitterrand, c'est parler de la préhistoire, c'est parler de Sainté. Tuons le suspens dès le début, Giscard est mort politiquement le mois où Saint-Étienne est mort sportivement, en mai 1981. Nés sous De Gaulle, les Verts ont sombré avec l'arrivée providentielle du rose, tout comme "leur" président.
Accordéon et polyester
C'est alors le glas des Trente Glorieuses, la fin des pattes d'eph, du papier peint monstrueux, des placards en formica et du lino. L'Ange vert a précédé le démon argent, les étoiles des 70's ont été éclipsées par les stars des 80's, et les diamants de Giscard font écho à la fameuse caisse noire stéphanoise. Mais comment ne pas être redevable à ces jeunes chevelus en maillots 100% polyester et shorts serrés de nous avoir fait oublier un temps les costumes à carreaux, les cravates carrées en laine et l'impitoyable accordéon de l'aristo de Chamalières?
L'épopée des Verts a incarné la fin d'un cycle, celui du Français heureux de perdre. C'est aussi la fin du monopole de la droite au pouvoir. Oyez, oyez! La France est heureuse de vous annoncer une nouvelle défaite. Venez applaudir les perdants sur les Champs-Elysées! Les Verts disparaîtront face aux nouvelles machines financières que seront Bordeaux, Marseille et Paris. Giscard sera la victime de la nouvelle génération des politiques de droite menée par Chirac, qui a déjà décapité Chaban et Poher sur les cendres fumantes de Pompidou. Le drame de Glasgow était déjà sans doute écrit.
La fin d'une belle époque, car le chômage de masse est là, croissant, tapis dans l'ombre, car Chirac est là, croissant, tapi dans l'ombre. De 74 à 77, Giscard a fait croire. De 74 à 77, les Verts ont fait croire. De 74 à 77, les Français ont cru. Les Français ont cru que l'on pouvait conserver une croissance forte, que l'Europe était l'avenir, que les Allemands resteraient bienveillants.
Nouvelle vague
Les Seventies donnaient tous les signes du neuf. Giscard est élu en 74 contre un multi-ministre de la IVe République, c'est un souffle nouveau, on croit même que la droite va changer. C'est également l'épopée, la fameuse, qui prend racine cette année-là contre Split en Coupe d'Europe des clubs champions. Les Munichois nous rappellent déjà à notre rang d'éternel outsider en demi-finale, printemps 75, et battent Saint-Étienne. Comme d'habitude. Acte 1, à l'an prochain. L'automne suivant, les espoirs revivent et Rocheteau fait disparaître les Rangers... de Glasgow. Acte 2, on repassera, on a bien aimé les lieux.
Acte 3, un peu d'effroi. Le Dynamo Kiev de Blokhine à l'époque où l'Est est de taille contre l'Ouest. En France, les Verts portent un souffle, une vague, un raz-de-marée. Après une lutte de haut vol, les Ukrainiens perdent en prolongation au terme d'un match retour épique. On veut y croire. La demi-finale écartera le PSV, un match fermé avec un Curkovic impassable.
Acte 4, on ne s'arrête plus sinon le film s'arrêterait là. Les Verts gagnent et la France espère gagner seule. Giscard fait partie malgré lui de cette jeunesse, plus jeune président français, forcément, on veut autre chose. Aller vite, gagner, conquérir l'Europe. Et qui mieux que les Stéphanois représentent la France laborieuse et son histoire industrielle?
Fin de la croisière
Acte 5, on doit pleurer. Le spectacle continue, doit continuer. Il ne suffira pas de citer les acteurs de ce film hollywoodien, mais Herbin, cette tignasse rousse en phare devant Larqué, Santini, Curkovic, Lopez, Bathenay & co. En 76, les Champs-Élysées leur sont réservés. Mais le bloc se fissure, et c'est l'Elysée qui tangue en 76. Chirac s'ennuie en second couteau, et l'aiguise patiemment, Giscard s'essouffle, les Verts se blessent et se fatiguent par trop d'envie. À Landsdowne Road, le décor du drame est planté. Sur des poteaux carrés. Ave Cesar Morituri te salutant. Les Verts perdent, le peuple applaudit. Giscard perd son plus grand ennemi, la croisière ne s'amuse plus mais continue encore quelques années.
Les grandes histoires sont souvent gâtées par de vains retours, des tentatives un peu désespérées d’aller contre le cours des choses. Giscard et Sainté ont essayé vingt-cinq ans après de revenir sur le devant de la scène – encore une scène commune: l’Europe. Mais le Traité constitutionnel européen co-rédigé par le premier a fait aussi long feu que l’épopée en Intertoto du second et c’est avec une indifférence polie que chacun préfère garder en mémoire leurs grandes heures. Les légendes aiment trop les fins nettes et précises. Celles-ci s'achèvent en mai 1981, quand Sainté gagne son dernier titre et que Giscard dit "au revoir" à l'Elysée. Les Verts sont au Panthéon, Mitterrand dépose une rose devant eux.
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