L'assassinat du CHR
"LA PUCE" QUI CONFOND, DANS LE DOSSIER?
Parmi les scénarios multiples de cette tragique affaire: et si c'était un "canular" de carabins qui serait allé trop loin?
"Les jours à venir doivent apporter des précisions". Me Jean-Pierre Gilbert, l'avocat de la partie civile, la famille Berneron, dans l'affaire de l'assassinat perpétré à la Milétrie, le mardi 30 octobre ne veut pas en dire plus. Il a déjà consulté le dossier qui est constitué par le Juge d'Instruction Hovaere, dossier déjà fort épais, pas moins de 80 côtes. 70 personnes ont déjà été auditionnées par les services de police dans cette affaire, et ce n'est pas fini, ce dossier il doit à nouveau le revoir aujourd'hui dans le cabinet du magistrat instructeur.
Le maire de Coulonges les Hérolles, vice-président du conseil général de la Vienne entent demeurer trés discret: ce dossier est couvert par le secret de l'instruction, il apartient au juge chargé de l'affaire, qui très probablement cette semaine va procéder à des interrogatoires sur le fond et peut-être à une confrontation entre les deux inculpés les Dr Diallo et Archambeau.
Chargé par la famille de la disparue de la représenter, dans le cadre de l'information qui est ouverte, Me Jean-Pierre Gilbert tient à indiquer au nom de cette dernière "que celle-ci désire avant tout autre chose que la lumière soit faite, que les responsabilités de chacun soient établies c'est là mon rôle après ce sera à la justice de se prononcer".
M. Berneron l'époux de la malheureuse victime qui est originaire de Coulonges les Hérolles, où demeure une très grande partie de sa famille, qui est très estimée dans la région (l'un de ses oncles est conseiller municipal de Coulonges) écrasé par le chagrin et la peine qui se sont abattus sur son foyer, l'a redit encore hier: "Il faut qu'on sache la vérité, toute la vérité, quels sont les responsables de la mort de ma femme".
Ou en est-on?
Au terme de douze jours d'enquête, où en est-on? Telle est la question qui se pose maintenant. Ce week end a été peu propice pour recueillir des informations. On l'a bien senti au travers des bulletins d'infrmation qui ont été diffusés hier tant à la télévision que sur les radios, que dans les articles des journaux paraissant le dimanche. Il y a eu une sorte de trève. Portes closes au Palais de Justice, chez le Procureur de la République et chez le magistrat instructeur, même attitude au Commissariat, où si l'inspecteur princopal Guiot était de permanence, le Commissaire Signourel était en repos et avait emmené hier matin ses deux filles nager à la piscine de Bellejouanne, avant de reprendre ce matin le collier.
Car l'enquête se poursuit, il y aurait encore quelques 80 auditions à recueillir, ce qui veut dire, qu'on n'est pas près d'en terminer avec le dossier policier. Dans le même temps, et sur le plan de l'instruction, le juge Hivaere va, lui aussi, reprendre son travail, et l'on peut imaginer qu'il entendra cette semaine, en présence de leurs avocats respectifs, Me Damy pour le Dr Archambeau, Me Bernard Drouineau et Me Follen pour le Dr Diallo, les deux inculpés.
Il est également probable qu'on verra également au Palais de Justice le professeur Meriel et un certain nombre d'autres personnes. On a parlé hier, qu'une reconstitution allait avoir lieu. Comment peut-il y avoir reconstitution puisqu'il n'y a pas d'aveux de la part des inculpés? Ce qui peut se produire, c'est un transport de justice dans le bloc opératoire où se déroula l'intervention après que le magistrat voit exactement la position occupée pour chacun, et comment l'opération a pu se dérouler.
DEUX ANALYSES
Si la discrétion, plus même le secret, sont toujours de mise dans cette affaire, dans les lieux où l'on en est saisi et l'hôpital de la Milétrie, il faut dire que par ailleurs, elle est dans toutes les conversations. L'on s'en est bien rendu compte, hier matin, lors du défilé traditionnel du 11 novmebre, où chacun commentait à sa manière l'évènement. On ne peut empêcher les rumeurs, même, les plus invraisemblables de se propager. Et pour qui fait l'analyse objective de ce que l'on dit, aujourd'hui. Poitiers apparait divisée en deux camps. Il y a ceux qui croient à la culpabilité parce qu'il y a des éléments certains et qu'ils pensent "que la justice si elle a pris la décision grave de mettre en prison deux hommes après les avoir inculpés d'assassinat, ne peut avoir agi à la légère et a dans son dossier des présomptions telles, qu'elle se devait de retenir dans les lieux de la prévention pour la manifestation de la vérité des deux praticiens".
Il y a les autres, tout aussi nombreux maintenant, qui disent que cela n'est pas possible, ou en tous les cas n'est pas prouvé, regrettant d'ailleurs "qu'un réquisitoire" ait été prononcé contre les inculpés, ce qui a été pour beaucoup pour entourer le dossier d'une ambiance qui n'est pas saine, puisque jusqu'à maintenant, aucune preuve n'est connue.
Et c'est sans doute, ce qui a permis à certains de nos confrères de dire et d'écrire, qu'après 12 jours d'enquête on en revenait à la case départ, et que peut-être on avait trop vite conclu.
Il apparait cependant que si on a le souci d'aller vite, on veut aussi prendre toutes les précautions, garder toutes les portes et les oreilles ouvertes. L'on sait aussi, que plus ont est sûr d'un fait ou d'un autre, plus on doit le vérifier. Et ceci expliquerait le secret qui est la règle du côté des magistrats, procureur de la République et juge d'instruction, qui se sont interrogé des heures des des heures sur toutes les hypothèses soulevées par cette affaire et qui, après les avoir étudiées, les ont récusées, pour n'en retenir qu'une, et encore avec quelles précautions, avec à la clé, la décision que l'on sait.
LE JUGE A AU MOINS UN ATOUT DANS SON JEU
Le juge Hovaere a au moins un atout dans son jeu sinon plusieurs; il aurait dans son dossier "cette petite goutte d'eau", qui confond, pour employer le jargon informatique, la puce". Mais qu'elle est "cette puce"? A qui s'appliquerait-elle? Au Dr Diallo?...Reste à prouver. Et à partir de là, on imagine " que celui-ci aurait été vu dans sa voiture la veille de l'opération, dans la soirée"..., comme l'on dit aussi, qu'après l'arrestation du Dr Archambeau il s'attendait à son arrestation qui n'intervint que cinq jours après.
Ce que l'on sait aujourd'hui, c'est qu'il y a eu assassinat, que Mme Nicole Berneron est morte asphyxiée par le protoxyde d'azote qu'on lui a envoyé, que le respirateur arme du crime avait été saboté et que deux hommes soupçonnés sont inculpés et arrêtés, mais qu'ils nient.
On sait aussi et ce sont des éléments importants, que Diallo n'était pas là, il avait été muté la veille du service ORL au service d'urologie par son supérieur hiérarchique le professeur Meriel, pour des raisons d'incompatiblité d'humeur avec les chirurgiens du service, que le Dr Archambeau n'a pas participé à la totalité de l'intervention chirurgicale, ayant été appelé au bout d'une demi-heure environ pour régler un problème professionnel au 7e étage du Centre Hospitalier.
MARDI 30 OCTOBRE
Essayons donc de serrer de plus près cette matinée du mardi 30 octobre, dans le service ORL du professeur Jean-Pierre Fontanel à l'Hôpital de la Miletrie. Mme Nicole Berneron doit être opérée d'un kyste derrière l'oreille à 8h30 du matin. L'opération ne peut avoir lieu à l'heure fixée, car le médecin anesthésite désigné n'est pas là. Il est malade et produira un certificat d'absence de 5 jours. C'est le professeur Meriel, chef de service, qui intervient et qui se rend à la salle d'opération, puisqu'il n'y a aucun anesthésiste réanimateur.
"J'ai alors trouvé le Dr Archambeau, a déclaré le professeur Meriel. Je n'avais pas besoin de lui, mais c'est lui qui a pris les commande du respirateur. Je l'ai laissé faire. Par sa position, il masquait les commandes. Je n'ai donc pas vu exactement ce qu'il faisait". Et il ajoute à notre collègue du Monde: "Le Dr Archambeau étant parti, je me suis retrouvé le seul médecin à la fin de l'intervention. J'ai cru mettre de l'oxygène. En fait c'était du protoxyde d'azote. Je n'ai pas vu le piège. Il était imparable à 100%. La malade est morte cérébralement en vingt secondes. Elle était en mydriase bilatérale".
A la suite de ce moment là, il était aux environs de 12 h. On a essayé la réanimation jusqu'à 13h15 sans résultat, hélas. Le professeur Meriel qui ne comprend pas ce qui a pu se passer, a réunit quelques uns de ses collaborateurs. Chacun s'interroge, toutes les hypothèses sont passées en revue, jusqu'au moment où l'un des médecins anesthésistes émet l'idée qu'il y a peut-être eu une défaillance technique du côté des appareils. On se précipite immédiatement dans la salle pour vérifier et là on découvre le sabotage du respirateur.
A partir de là, l'enquête policière démarre. L'équipe du Commissaire Signourel va jour et nuit procéder à des recherches, des investigations, des auditions. Tout le service y passe.
ON CHERCHE UN MOBILE
"On est sûr qu'il y a eu assassinat, car on tient l'arme du crime". A partir de là, on cherche le mobile qui a pu faire agir quelqu'un ou quelques-uns. Le Dr Diallo s'est vu notifié la veille par le professeur Meriel, qu'il n'appartenait plus au service ORL et qu'il était affecté à l'Hôtel-Dieu. Ce n'est pas un homme facile, chacun le sait. Cette mutation est intervenue car "il avait des problèmes relationnels avec les chirurgiens d'ORL, il a déjà eu dans le passé, les mêmes difficultés dans un autre service, d'où il est parti. C'est un professionnel de haute qualité chacun le reconnaît, "un des meilleurs anesthésistes, sinon le eilleur de l'Hôpital" dit-on. Il a fait des choses, que les autres ne font pas, mais il a par trop tendance à critiquer, et à se mêler de choses qui ne le regardent pas. Maintes fois, on lui a dit de "s'occuper de ses oignons". Mais il a continué. L'anonce de la mutation, il l'a très mal pris, on le sait. Il a demandé au professeur Meriel un ordre écrit d'affectation, et un motif...Il est apparu atteint dans sa dignité de praticien compétent, considérant que cette mutation le rabaissait. Aussitôt l'on pense que ceci a été la cause de cela, que la décision a provoqué un déclic de vengeance.
A partir de là, on sait la suite. La conférence de presse du professeur Meriel, qui accuse et qui sous le coup de l'émotion bien compréhensible déclare: "C'est moi qui était visé", et il explique, argumente, détaille et requiert...
La police de son coté découvert au cours de son enquête un faisceau de "présomptions graves, concordantes, concomittantes" comme on dit dans le langage judiciaire. Et puis cette fameuse "puce" que le juge a en réserve, et qu'il est le seul à connaître. Le dimanche 4 novembre, le Dr Archambeau a été arrêté. On dit aujourd'hui "qu'il y aurait eu un début d'aveu, puis une rétractation". Est-ce lui ou un autre qui aurait tout d'abord, et avant d'être arrêté, cherché à entraîner sur une fausse piste les policiers, ce qui aurait conduit ces derniers, à pousser plus avant leurs recherches dans sa direction? Tout ceci n'est que supposition.
Toujours est-il qu'il apparait bien, du côté des magistrats comme des policiers qu'on n'aait des certitudes. Mais cela ne veut pas dire preuves et il reste encore des zones d'ombre. A partir de là, on imagine tous les scénarios possibles, dont celui-ci.
PARMI LES SCENARIOS
L'esprit machiavélique qui a conçu le sabotage, et qui selon le professeur Meriel était "quelqu'un de compétent et savait la marche du matériel" a -t-il imaginé le crime parfait? On peut alors penser qu'il a aussi songé à revenir sur les lieux, et à tout remettre en place. Peut-être a-t-il escompté, et le professeur Meriel l'a dit, en déclarant: "Je l'ai pris de vitesse", que l'on ne s'apercevrait pas tout de suite de son sabotage et qu'il aurait eu le temps, d'une remise en ordre du "respirateur".
"L'aurait-on alors aperçu, ailleurs que dans l'Hôpital lui-même, sur un parking par exemple, dans une automobile? Ce qui d'ailleurs ne prouverait rien pour autant, et serait quand même une "coïncidence". C'est à la fois un scénario possible et une hypothèse.
Et l'on en arrive au second scénario. Toute cette affaire pourrait être aussi "un de ces canulars de carabin" qui aurait tourné et c'est très grave, car il a conduit à la mort d'une innocente.
Le chef du service d'anesthésie réanimation comme tout responsable, ne fait pas l'unanimité. C'est là, le sort commun de ceux qui ont à commander les autres. Comment ne pas s'imaginer, qu'on voulait lui donner une leçon en le mettant en difficulté. Il l'a lui même pensé et dit. La conjugaison des éléments qui entourent l'opération, le laisserait supposer et c'est ce que d'autres ont appelé "le complot". On constestait le métier du Dr Diallo et bien on allait voir et tout sera parti. On a glissé une peau de banane, pour assister à un dérapage, et le dérapage sera allé malheureusement plus loin que l'auraient voulu ses auteurs...Et c'est cela qui apparaît très grave, et que l'on a du mal à comprendre.
L'intention criminelle sera-t-elle un jour formellement démontrée dans ce dossier? C'est une question que l'on se pose aussi.
Le mobile, il faut aussi clairement l'établir.
Et puis l'on est allé encore plus loin dans les hypothèses. Et si c'était un maniaque, un fou qui aurait fait exécuté ce sabotage? Dès les premiers instants, c'est vers cette piste, semble-til, que se sont orientés les enquêteurs, qui ont poussé très loin leurs recherches ce qui explique le nombre d'auditions considérables qu'ils ont réalisées et la certitude qu'ils ont alors acquise, c'est qu'il fallait chercher ailleurs, ce qu'ils ont fait.
ON ATTEND LE RESULTAT DES ANALYSES
On attend aussi le résultat des analyses, qui ont été confiées à un laboratoire de Paris. Quand l'autopsie fut pratiquée, du sang a été prélevé, ainsi que des viscères et des tissus humains et envoyés aux fins d'analyses. C'est là aussi un élément de ce dossier. Mais on sait aussi, que le protoxyde d'azote ne laisse aucune trace.
En possession des éléments matériels que l'on connait maintenant, il faut savoir qui a pu faire cel, pour quel mobile et dans quelles conditions, avec quelles intentions. Autant de questions dont les réponses doivent appuyées, conforter par des preuves indiscutables et non constestables. Car si comme chacun le pense, ce dossier doit aboutir un jour à un procès d'Assises, et qu'il présente la plus minces des failles, on connaîtra une bataille d'experts qui mettront non seulement en cause l'enquête, l'instruction, mais également les conditions de l'intervention chirurgicale, de l'anesthésie etc. On a connu cela dans le passé et notamment à propos d'une affaire qui pendant des années défraya la chronique judiciaire et se trouve encore inscrite dans des annales. C'est sans doute parce qu'n n'entend pas récidiver qu'aujourd'hui le secret est aussi bien gardé.
Centre Presse, Lundi 12 Novembre 1984.
Retrouvez l'article sur la révélation au grand public de l'affaire dans Centre Presse, ainsi que l'ouverture du journal d'Antenne 2 du 8 Novembre 1984 concernant sur ce dossier.