Décidément, l'été est impitoyable pour les institutions

télévisuelles. Après l'arrêt de l'Heure de vérité, annoncé par la direction de France 2 la semaine dernière, c'est au tour du Bébête Show de passer définitivement à la trappe de la prochaine grille de rentrée de TF1. Motif: le Bébête Show ferait double emploi avec la nouvelle émission satirique de Laurent Rouquier, les Niouses, produite par Thierry Ardisson, qui servira, chaque soir à 19h30, de locomotive au journal de PPDA. «L'émission de Laurent Ruquier se présentant comme une satire de l'actualité traitée en vrai-faux journal télévisé, il risquait d'y avoir un télescopage avec le Bébête Show», expliquait-on laconiquement hier à TF1 sans trémolos dans la voix.

L'annonce de la fin du Bébête Show ­ révélée hier par le Parisien ­ n'est finalement pas tellement une surprise. Devenue quotidienne depuis la campagne présidentielle de 1988, l'émission créée par Stéphane Collaro en 1981 d'après le célèbre Muppet's Show anglais avait pris un très sérieux coup de vieux avec l'apparition des Guignols sur Canal +, nettement plus insolents, incisifs, grinçants et surtout dotés d'un vrai sens politique. Les petites bébêtes, tendance humour Almanach Vermot, étaient au fil des mois devenues obsolètes face aux marionnettes des Guignols, plus speedées pour décaper au burin la langue de bois politique et plus shootées de culture audiovisuelle pour mieux la dynamiter. TF1 et la «boîte à cons» en savent quelque chose... La petite ménagerie avec grenouille, corbeau et autres taureaux ne faisait plus le poids face à Nanard et ses potes. En chute relative d'audience, Stéphane Collaro avait alors décidé, en septembre dernier, de jouer son va-tout en lançant une nouvelle formule... qui s'inspirait fort du concept des Guignols: marionnettes en latex dessinées par Morchoisne (exit les animaux), nouveaux décors (exit le Bar du commerce), nouveaux imitateurs (exit Jean Roucas), nouveau concept avec moins de politique et plus de divertissement (exit Jean Amadou) et nouveau public (bonjour la ménagère de moins de 50 ans!).

Rien n'y fit. Les bébêtes étaient sur le déclin tant chez les téléspectateurs (ils furent parfois pas loin de 10 millions!) que dans le petit monde politico-médiatique qui, dans les années 80, voyait comme une consécration ­ mêlée parfois de crainte ­ de faire son entrée dans la petite ménagerie de Collaro. «Mon seul regret est qu'ils n'aient jamais réussi à faire ma marionnette», avoue aujourd'hui André Santini, le député-maire UDF d'Issy-les-Moulineaux, qui dit se sentir «plus Bébête que Guignols». «Avec la disparition du Bébête Show, c'est une page de l'histoire politico-médiatique qui se tourne. Né avec Mitterrand, il disparaît avec l'arrivée de Chirac. L'humour étant par définition contestataire, il manquait peut-être d'oxygène.» De droite, le Bébête Show? «A ma connaissance, Collaro n'était pas un troskiste...», remarque non sans humour André Santini, qui reproche aux Guignols «de dire plus de méchancetés que de vacheries». La puissance de la télévision déformant sans détours les effets, les «vacheries» du Bébête Show n'ont pourtant pas fait que des heureux dans le monde politique. Edith Cresson, Premier ministre de François Mitterrand, surnommée «Amabotte» par la bande à Collaro, avait dénoncé le lynchage dont elle s'estimait être victime, tout comme les proches de Pierre Bérégovoy, qui avaient jugé quelques propos assez déplacés après le suicide de l'ancien Premier ministre. Même François Léotard (le leader des «Neu-Neu» sur Canal) avait pris la plume pour dénoncer dans le Monde le danger de cette «nouvelle culture»... Cette fracture droite-gauche avait trouvé son apogée lors de la cohabitation. Kermitterrand était alors devenu «Dieu», cynique, méprisant, sûr de lui, et un sondage Ipsos publié en novembre 1993 par l'hebdomadaire le Point posait la question: «Etes-vous Bébête ou Guignols?» En clair: Etes-vous beauf ou branché? Résultat: les pro-Bébêtes appartenaient à une France plus âgée, habitant à la campagne et plus traditionaliste, alors que les pro-Guignols avaient un profil plus jeune (moins de 35 ans), plus urbain et nettement plus cultivé. D'où, à l'époque, une certaine inquiétude dans les rangs de la droite, qui cherchait à capter un électorat plus jeune en vue de la présidentielle...

Aujourd'hui, après avoir ravi des millions de téléspectateurs, «Dieu» et les «crac-crac» de Chirac paraissent lointains. Faute de trouvailles géniales, le Bébête Show était donc appelé à disparaître. Faut-il le déplorer? Non, car finalement avec la fin des «années Mitterrand» et le début de «l'ère Chirac», les chaînes de télévision ­ publiques ou privées ­ sont aujourd'hui obligées de précipiter le mouvement pour rester dans la course et casser les baronnies télévisuelles qui ont fait leur temps.

Alors, après l'Heure de vérité et le Bébête Show, à qui le tour?

PSENNY Daniel