La Nouvelle République, Samedi 16 Octobre 1976.
Voici la seconde partie de l'analyse macro-économique produite par Alix René. Il y a 15 jours de cela, vous aviez pu lire la première partie de cette étude, qui sera suivie, dans 15 jours, d'une troisième et dernière partie sur un sujet pouvant alimenter des heures et des heures de conversations, sans qu'au final on ne connaisse le quart du tiers de la vérité économico politique.
Bonne lecture.
Il est dans la logique de l’évolution des économies modernes de tertiariser, c'est-à-dire que les services prennent de plus en plus de place dans le processus de création de richesses au détriment du secteurs primaires (l’exploitation) et du secteur secondaire (l’industrie).
Cependant et sous l’effet conjugué de la mondialisation et de la construction du marché commun de l’Union Européenne, le pouvoir d'achat des ménages dans nos pays connaissent une décroissance continue depuis la fin des années 90. Nous vivons dans des pays à basse pression salariale. Ce phénomène n’est pas propre à la France, il est contiguë dans quasiment tous les pays de l’OCDE. Les économies de ces pays vivent à crédit.
La crise des subprimes était donc prévisible et des économistes l’annonçaient dès 1997. Mais quelle est donc l’importance de cette crise, est elle conjoncturelle ou structurelle ?
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Pas besoin de s’interroger sur la réalité de cette crise car je vous l’annonce : c’est une crise de civilisation.
Mais ce n’est pas moi qui le dit, selon V.Poutine c’est « le krach parfait » phrase reprise par Ignacio Ramonet ancien directeur du Monde Diplomatique. C’est à la fois :
- Une crise financière : du crédit, des banques, des autorités de régulation, des agences de notation.
- Une crise économique
- Une crise sociale qui ne demande qu’à se réveiller avec une pseudo croissance non créatrice d’emploi et donc avec une nouvelle augmentation des inégalités sociales.
- Une crise politique (cf. Island)
Mais elle coïncide avec :
- Une crise climatique et environnementale: augmentation de l’acidité des océans remettant en cause la viabilité à terme des phytoplanctons, et avec le réchauffement climatique avéré, avec des risques importants de déplacements de population.
- Une crise alimentaire
- Une crise énergétique
Et c’est certainement la première fois dans l’histoire qu’une crise est aussi globale et universelle, dans le sens qu’elle touche non seulement l’ensemble des secteurs aussi tous les pays.
Si nous avons longtemps cru que la crise viendrait de la dette publique, nous avons oublié de prendre en compte la croissance exponentielle de la dette privée dans les pays de l’OCDE. Il a fallut donc très rapidement répondre au feu économique généré par la crise financière.
Souvenez-vous d’abord il y a eu le Plan Paulson aux USA, inspiré par le plan Brown de GB, 789 Milliards de $ rien qu’aux USA, en tout 2000 Milliards de $ dans le monde. Il faut rappeler que le budget fédéral américain pour 2008 est de 2 900 milliards. Les 789 milliards additionnels l'amèneront à 3 700 milliards, soit une augmentation de 24%. Ce montant est plus élevé que le budget annuel de l'armée américaine. Au début d'octobre 2008, le montant total des engagements et des prévisions d'engagements aurait été de 1 000 milliards USD, montant à comparer au PNB des États-Unis qui se situe à environ 14 000 milliards USD. Mais ces premiers plans n’ont pas fonctionnés.
Puis un plan par l’investissement et de relance de la consommation, le plan Obama 1300MM$ :
Le 18 février 2009, le président des États-Unis Barack Obama a annoncé la mise en place d'un plan visant spécifiquement les propriétaires de résidence. Il a pour objectif d'éviter à au moins sept millions de propriétaires américains la saisie de leur résidence. Ce plan dit immobilier est en sus de ceux annoncés précédemment. Il est initialement pourvu d'une enveloppe de 75 milliards USD, mais elle pourrait augmenter jusqu'à plusieurs centaines de milliards.
Le 18 mars 2009, pour contrer les effets de la récession aux États-Unis, la Fed a décidé d'acquérir pour 300 milliards USD d'obligations du Département du Trésor des États-Unis, pour 750 milliards USD de mortgage-backed securities (MBS) et d'acquérir des dettes de Fannie Mae et Freddie Mac pour 100 milliards USD. Ces opérations ont, entre autres, pour but d'augmenter la liquidité sur les marchés de l'emprunt.
Cependant et malgré l’effet du multiplicateur keynésien de la dépense publique que certains indicateurs commencent à révéler avec 0.3% de croissance au 3ème trimestre 2009, il semble que la reprise ne soit pas pour demain. Le multiplicateur keynésien est le principe par lequel un accroissement de la dépense publique dans des conditions de sous emploi permet de générer un surplus de demande et donc une baisse des stocks des entreprises en même temps qu’une croissance des revenus, et par voie de conséquence la croissance des revenus génère une croissance de la consommation donc une croissance de la demande donc une relance de la consommation, ce qui génère une croissance de la production et ainsi s’enclenche le cercle vertueux de la reprise. Cet effet du multiplicateur Keynésien met environ 6 à 8 mois dans une économie comme celle de la France avant que ces effets puissent être perçus. Mais au vu des sommes réinjectées par l’ensemble des gouvernements force est de constater que cette reprise artificielle reste extrêmement faible par rapport à ce qui pouvait être attendu. En outre, ce serait oublier les Alt A Mortgage qui arrivent à échéance à partir de 2011. (1000 milliards de $).
Le véritable problème de cette crise n’est-il pas systémique et directement lié à son mode de financement et en particulier au poids des fonds de pension. En effet, il est temps de se demander quel est le rendement réel du capital. Le rendement réel du capital c’est le taux d’intérêt (soit environ 4%) adjoint d’une prime de risque (environ 4%) soit au mieux 4+4=8%. Au-delà de cette rentabilité c’est le risque de non renouvellement du capital de l’entreprise qui est en cause. Or il faut rapprocher cela des grandes entreprises industrielles du CAC40 dont le ROE (taux de rendement des capitaux propres) est en moyenne de 15 à 20%, que dire évidement des ROE des banques d’investissement dont les ROE atteignent communément les 40%.
La Nouvelle République, mi-janvier 1977.
Plus cyniquement on est en droit de se demander à qui profite le crime car il y a eu un laissez faire et en particulier jusqu’à quel point les banques n’ont pas provoqué volontairement la crise puisque les créances toxiques 4000MM $ étaient assurées en CDS pour 60 000 Milliards de $, pour être très clair chaque titre était assuré 10 fois.
Mais cette crise est avant tout le résultat d’une crise idéologique car depuis le « There Is No Alternativ » (TINA) de Margaret Thatcher, il nous a été interdit de penser à d’autres systèmes capitalistes que celui dans lequel nous vivons, celui du néolibéralisme Friedmannien. En particulier en France où c’est la gauche qui a fait la révolution néo-libérale, en 84 sous le gouvernement Fabius.
Par ailleurs comment attendre de la gauche qu’elle puisse renouveler son idéologie alors que ses principaux économistes sont à la tête des institutions garantes de ce système :
- Pascal Lamy à l’OMC
- Dominique Strauss Kahn au FMI.
Que dire des déclarations de Denis Kessler un proche de Dominique Strauss Kann (Directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales) au magazine Challenges en octobre 2007 : « Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance [...] Il est grand temps de réformer, et le gouvernement s'y emploie [...] La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception [...] Il s'agit aujourd'hui de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ».
Le cas de la France n’est pas symptomatique car aux Etats-Unis c’est aussi sous l’administration Clinton qu’a eu lieu la dérégulation des marchés financiers.
Il faut rappeler que durant ces 30 dernières années de politique néo libérale, (où l’Etat doit être absent du marché car celui-ci est censé s’auto réguler par un « phénomène » de parfaite information des agents économiques), est une période anormale. Elle commence en 1971 quand Nixon décide de quitter la conversion or. Faisant varier les monnaies en fonction de l’offre et de la demande, la monnaie devient alors un bien échangé comme un autre. Mais la monnaie n’est pas un bien comme un autre, car la valeur de la richesse d’un pays : son PNB ne peut varier en fonction des aléas des spéculations. Pour Friedman, l’économie se régule en fonction de la monnaie, mais qui régule les marchés monétaires depuis 30 ans. En cela il y a une opposition de fond entre la théorie keynésienne et l’approche néo classique actuelle. C’est donc la fin des accords de Bretton Woods qui est une des principales causes de la crise actuelle. Il faut rappeler que historiquement le modèle néo classique Friedmanien fut testé sur deux économies : au Chili avec Pinochet et en Indonésie avec Suharto. Friedman lui-même prophétisait que son modèle était à terme liberticide, cette perte de liberté est directement liée au fonctionnement même du modèle : privatisation des marchés, agrégation des entreprises, mondialisation de la sphère privée face aux sphères publiques nationales. Nous sommes donc bien devant une guerre entre deux religions, deux dogmes, et avec le gouvernement Reagan c’est le néo libéralisme qui a gagné empêchant le néokeynésianisme de se créer alors qu’au début des années 70 celui-ci était très fécond. J’ajoute que l’une des conséquences du « TINA », a été d’empêcher au sein des chercheurs et des universités le recrutement et la recherche de concepts néokeynésiens. Nous avons vécu 30 années sous l’influence d’une pensée unique, c’est une dictature économique.
Pour Pierre Dockès (professeur d’économie à Lyon 2)
« Personne n’ose à court terme faire un pronostic de sortie de crise. ». Mais, 2 visions s’opposent sur la réalité de cette crise
- 1 : Elle fait parti d’un cycle économique et par conséquent cette crise est conjoncturelle une politique de stabilisation par la dépense publique + une relance par l’investissement + une purge des banques est adaptée. C’est une vision largement adoptée par les politiques de droite comme de gauche.
- 2 : Cette crise est structurelle et elle va entrainer une rupture, un renouvellement en profondeur ainsi qu’une crise sociale majeur, cette vision est adoptée par de plus en plus d’économistes.
Notre problème en tant que citoyen n’est pas de savoir si elle est conjoncturelle ou structurelle mais surtout quand peut on espérer la reprise.
Si elle est structurelle alors elle va durer. Après tout la crise de 29 qui était beaucoup moins profonde ne s’est terminée qu’en 45 avec le plan Marshall.
Depuis septembre 2008, les discours gouvernementaux appellent à une moralisation du capitalisme, mais qu’ont-ils fait ? Qu’est-il sorti de ce fameux G20 ? Peut-on vraiment incriminer la finance pour la crise que nous subissons ? Il est dans la nature de la finance en univers capitaliste de rafler tous les profits possibles tant qu’elle ne rencontre pas de contrainte, mais –et c’est une est évidence- le monde de la finance est un monde souverain et par définition sans contrainte. Le G20 a-t-il intérêt à changer le cadre dans lequel la finance évolue ?
Le G20 a mis l’accent sur deux questions périphériques : les bonus des traders et les paradis fiscaux. Mais ni l’un ni l’autre n’ont été la cause de cette crise qui est faut-il le rappeler home shore. Ces deux questions n’ont permis que de détourner l’attention des citoyens des vrais enjeux.
En outre ce serait faire fi des liens étroits qui unissent la politique et l’économie. Il y a une économie politique de la financiarisation, dont un des principaux aspects tient à l’interdépendance pour ne pas dire la confusion organique entre les élites financières et politiques. En France le conseiller spécial de Nicolas Sarkozy est Michel Pébreau président non exécutif de BNP Paribas. Plus remarquable encore est le cas de François Perol directeur du cabinet de Nicolas Sarkozy au ministère de l’économie et des finances qui passera ensuite par la banque Rothschild où il supervisera la construction de Natexis puis où il sera d’abord l’ingénieur privé du rapprochement entre la Caisse d’Epargne et la Banque Populaire puis en occupant le poste de secrétaire général adjoint de l’Elysée l’ingénieur public, ce sera en outre lui qui pilotera le plan de secours français au système bancaire avant de prendre la direction de la caisse d’épargne banque populaire. Cependant s’il y a un lieu où la confusion des genres est la plus grande c’est certainement au pays du tout libéralisme. En effet, les patrons de la Goldman Sachs se succèdent à la tête du secrétariat au Trésor comme Bob Rubin, qui sera patron de la GS dans les années 1980 avant d’être dans l’administration Clinton et qui est le responsable des lois de dérégulation des marchés de crédit qui sont la cause de cette crise, il rejoindra ensuite la City Group (banque championne des pertes sur les subprimes) avant de négocier avec l’un de ses successeurs d’abord à la tête de la Goldman Sachs puis à l’équivalent de notre ministère des économies : Paulson, le plan de sauvetage de la City Group ainsi qu’un joli parachute doré.
Déjà 9 pays sont en faillite en Europe ou en quasi faillite : l’Islande, la Hongrie, la Lituanie, la Lettonie, la Grande Bretagne (14%du PIB de déficit de l’Etat), la Pologne, la Grèce, l’Ukraine, la Roumanie. De même, 19 pays ne répondent plus aux fameux critères de convergence qu’impose le traité de Maastricht . Que dire de la France dont la LOLF 2010 prévoit un déficit record. Des dépenses qui stagnent, une fois que l'on tient compte de l'inflation, et des recettes qui progressent, mais de façon trop faible pour rattraper le plongeon de 2009 : telle est la physionomie générale du projet de loi de finances 2010. Résultat : un déficit prévu à 116 milliards d'euros, équivalent à 40% des recettes de l'Etat auquel il faudra adjoindre un grand emprunt de 35 milliards d’euros (selon le rapport Rocard-Juppé).
Ce qui est le plus préoccupant c’est que toute crise s’adjoint de risques pré révolutionnaires (cf Grèce). Avec rien qu’en France 1400 nouveaux chômeurs par jour et plus de 500 000 chômeurs (toutes catégories confondues) depuis le début de l’année, nous sommes dans une situation qui n’a jamais existé depuis la Seconde Guerre Mondiale. Les défilés syndicaux du début d’année ont agit comme une soupape de sécurité permettant aux salariés d’exprimer leur colère et d’apaiser les foules. Mais il est plus que raisonnable de craindre, sans faire de prospective, des mouvements sociaux de plus en plus forts et Pierre Cahuc Professeur à polytechnique prévient qu’en France le risque d’explosion social reste extrêmement important.
Enfin, il est notable que la récession fonctionne comme une machine à créer de la mauvaise dette tant auprès des entreprises qu'auprès des ménages, il existe là un effet boule de neige avéré. En cette année 2009, l’OCDE comptera plus de 25 millions de chômeurs (dixit l’OCDE).
Il est clair qu’il s’agit d’une crise de sous consommation dont l’éclatement de la bulle financière n’a été que le révélateur. Pour Frédéric Lordon, Chercheur en économie au CNRS, « entre le 15 septembre et le 15 octobre 2008, nous sommes passés tout prêt du cataclysme absolu, appelé risque systémique », les plans n’ont fait que nous donner un répit mais sans effacer ce risque. Afin de ne pas entrer dans un cercle de mouvements sociaux importants, si les relances par la consommation et par l’investissement ne fonctionnent pas comment sortir de cette crise ?