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Deux semaines après les violences dans les rues de Poitiers en marge de la manif anticarcérale du 10 octobre, les devis commencent à affluer sur le bureau de la Fédération des agents économiques locale. Vu le battage autour de l'événement, on croirait facilement qu'ils sont légion. Raté : 19 commerçants, et pas un de plus, ont en fait été touchés.
La Fédération des agents économiques réunit les dossiers des commerçants qui cherchent à se faire indemniser - d'abord par leur assurance, puis par l'Etat puisque Brice Hortefeux a promis de mettre au bout si les enseignes ne rentraient pas dans leurs frais. On se rappelle en effet la visite express du ministre de l'Intérieur sur place, deux jours après ce que médias et classe politique décrivaient à l'unison comme de grandes émeutes.
Pour mémoire, Brice Hortefeux avait réclamé depuis Poitiers que la justice « sanctionne et durement » les auteurs des troubles. Il arguait alors du préjudice subi par les commerçants de la ville. Pas plus tard que le lendemain de son passage à Poitiers, 9 des 18 suspects interpellés le samedi écopaient, en comparution immédiate, de peines de prison pouvant aller jusqu'à quatre mois ferme.
Neuf condamnés pour 19 dossiers d'indemnisation, le ratio est élevé. Surtout quand on découvre qu'ont été vandalisés dix-huit vitrines, des spots d'éclairage et un panneau.
Sur place, les commerçants ne peuvent pas franchement râler même si certains s'étonnent. A la Fédération des agents économiques, Mathieu Cognard « ne minimise pas » les dégâts, mais se garde bien de parler d'une mise à sac :
« Bien sûr, que non, ça ne fait pas tant que ça ! La ville n'a pas été saccagée, même si je ne vais pas vous dire que c'était mineur. C'est une petite partie du centre piétonnier qui a été touchée. »
Il aura la facture précise des dégâts d'ici quinze jours, puisque les commerçants commencent à lui envoyer des devis : 4775 euros pour les deux vitrines d'un magasin de chaussures, plus de 5000 euros pour la grande vitrine du magasin Orange.
Hormis le Crédit agricole, qui a attendu le jeudi pour rouvrir, les autres commerçants n'ont pas enregistré de manque à gagner faute d'avoir pu ouvrir : les vitrines ont été vite remplacées plus vite qu'il n'aura fallu de temps à l'écho médiatique pour décliner.
A la mairie, le service presse confirme la même tendance, même si l'édile était monté au créneau au lendemain des émeutes pour dénoncer l'indigence des moyens policiers déployés. On précise :
« C'est seulement une partie de la rue du marché qui a été touchée, et plutôt par des actes directement dirigés contre le capitalisme. Mais la ville n'a pas été saccagée, je vous le confirme ! »
La liste détaillée des sinistrés tire bien dans le sens d'actions ciblées : trois banques, deux mutuelles, une compagnie d'assurance, Orange et un bijoutier ont notamment subi des dégâts.
Pour mémoire, c'est pourtant au lendemain des événements du 10 octobre que le gouvernement avait surfé sur l'actualité pour ressortir ses deux derniers décrets sur le fichage. Ces textes du 16 octobre existaient bien dans les cartons mais patientait depuis plus d'un an, après le tollé suscité par Edvige.
Ils permettront notamment de durcir l'arsenal en direction de ce qu'on a pris l'habitude d'appeler les « bandes de jeunes » puisque, dans la foulée des « événements » de Poitiers, le gouvernement a entériné le fichage des mineurs dès 13 ans.
Outre cet impact législatif, reste encore le feuilleton judiciaire puisque le parquet a fait appel pour quatre des huit condamnations, estimant que le juge avait été trop laxiste. Une neuvième personne, mineure de 14 ans, sera quant à elle jugée en janvier : rébellion et refus de prélèvement ADN.