Poitiers paralysée par le blocus
Bloquant la ville en sept points névralgiques, un millier d'étudiants anti-CPE a totalement désorganisé hier la vie matinale de Poitiers.
Alors que le campus universitaire est bloqué depuis près de cinq semaines, les étudiants mobilisés contre la loi Fillon, contre la réduction des postes au CAPES et naturellement contre le CPE, n'en finissent pas de surprendre par l'exceptionnelle, et totalement inédite jusqu'alors, vitalité du mouvement. Comme annoncé la veille au cours d'une assemblée générale tenue au stade Rebeilleau, sept des accès principaux de la ville de Poitiers ont été totalement paralysées une bonne partie de la matinée par 800 à 1.000 étudiants.
L'opération, très minutieusement préparée depuis plusieurs jours par les cinq membres de la commission action de la coordination étudiante, a amplement désorganisé la vie matinale de la capitale régionale. L'hypercentre avait des allures de ville fantôme. Sans circulation automobile, sans autobus et avec une présence humaine digne d'un dimanche matin de long week end. Contraignant les salariés à abandonner leur voiture dans des parkings de fortune et à finir, pour les plus courageux, le trajet à pieds, les manifestants ont perturbé l'activité et le fonctionnement normal des services publics et des entreprises privées.
Les étudiants avaient entamé leur action au petit matin sur le campus et sur la place d'Armes. 6h45, devant l'amphi J, ils sont 200 les traits tirés par le manque de sommeil à écouter les ultimes consignes pour le blocage. Une cinquantaine gagne à pied le stade Rebeilleau tout priche. Les autres partent en covoiturage vers la Pointe-à-Miteau et la porte de Paris. Au même moment le scénario est identique sur la place d'Armes où 300 étudiants se répartissent les entrées à occuper: Pont Saint-Cyprien, Pont-Neuf, et encore Porte de Ville. Il est à peine 7h30, des barrières métalliques rapprochées durant la nuit font leur apparition au carrefour Pineau-Kenedy.
"Comment fait-on maintenant pour aller bosser, vous pourriez laisser une voie libre!"
Instantanément la circulation est stoppée. Ce qui n'empêche pas certains automobilistes comme les chauffeurs de deux bus de tenter deangereusement de forcer le passage. "Comment fait-on maintenant pour aller bosser, vous pourriez laisser une voie libre", s'énerve un autre automobiliste. A Saint-Cyprien, des palettes, des grilles, des rubans de chantier empêchent toute circulation. Rue Jean-Jaurès, dix bus sont à la queue-leu-leu.
Un peu plus de 8h: la rue du Faubourg-du-Pont-Neuf et les rues adjacentes sont totalement embouteillées et bloquées en amont par la police. Seuls les piétons et les cylcistes peuvent circuler.
A la porte de Paris, les étudiants quadrillent le carrefour. Dans le chantier tout proche, ils ont pris des sacs de ciment, des gros tuyaux plastiques rouge et des parpaings. Ils ne tardent pas à être rejoints par des escouades de lycéens d'Aliénor d'Aquitaine et d'Auguste-Perret. La pluie commence à tomber sur le barrage. A 10h20, alors que les autres barrages ont cédé un à un devant les gendarmes mobiles, les militaires font leur apparition. "Dispersez-vous!," tonne un officier. "Laissez-nous le temps de tout ranger si non on vous laisse tout en bordel", réplique un étudiant pendant que d'autres rapportent dans l'enceinte du chantier le matériel emprunté. "Dernière sommation, on va faire usage de la force". Les étudiants reculent dans le calme avant de reformer un cordon sur le pont de Rochereuil. Au même rythme, ils reculent sur le boulevard de Chasseigne. A 11h25, arrivé sur le Pont-Neuf le cortège des anti-CPE se disperse. "C'est formidable d'avoir passé le cap des 10h", lance radieux Gregory Hamed, étudiant en lettres. La plus grosse action revendicative jamais organisée par des étudiants à Poitiers vient de se terminer sans incident.
Echos de manif
Bienveillance, interpellation, débrouille, reproche et analyse
Sans doute pas de PV
Les automobilistes contraints d'abandonner leur véhicule un peu n'importe où hier, ne devraient pas avoir de mauvaise surprise. La mairie a donné consigne à sa police d'observer avec "bienveillance les voitures mal garées".
Trois étudiants interpellés durant la nuit
Trois étudiants qui étaient en train de préarer le blocus de la ville ont été interpellés dans a nuit de mardi à mercredi aux abords du stade Rebeilleau alors qu'ils manipulaient des barrières métalliques. Menottés sur place et emmenés au commissariat de police de Poitiers ils ont été entendus pendant près de trois heures avant d'être relâchés aux alentours de 3h du matin.
L'étudiant prête son vélo au journaliste
Empêché par deux policiers postés sur le pont Saint-Cyprien de se rendre à bord d'une voiture de son journal sur les barrages étudiants, un rédacteur de la NR a pu néanmoins rejoindre les points de blocage grâce à un étudiant en lettres qui a mis à sa disposition son vélo une bonne partie de la matinée.
Mal informée
"C'est un comble: je travaille à la préfecture et je suppose qu'il y avait chez nous des gens au courant des projets de blocus. Nos responsables auraient pu au moins nous avertir ce mardi soir au lieu de nous laisser arriver sur Poitiers sans rien nous dire", rouspétait une fonctionnaire qui a terminé son trajet à pied.
L'UMP et la négociation
"Je condamne avec fermeté le blocage de Poitiers organisé ce mercredi matin par les étudiants en grève. Chacun est libre de manifester mais il est inadmissible d'empêcher toute une ville de rendre normalement au travail", analyse Jean-Yves Chamard dans un communiqué. A propos de la période de consolidation du CPE et de la motivation du licenciement, le très sarkozyste député UMP appelle toutefois "les partenaires sociaux à négocier et à proposer aux politiques des solutions raisonnables".
Témoignages sur le pont
Grosse affluence vers 9h sur la passerelle surplombant la gare. "Bien sûr qu'ils n'ont rien dit les étudiants. Ils ne voulaient pas voir les policiers venir les déloger ou même les empêcher de faire leur barrage ce matin", analyse en expert un collégien. "Moi, j'ai appris ce qui se passait en écoutant de bonne heure France Bleu Poitou", confie plus loin une maman.
NdPPP: si ce collégien était un lecteur fidèle de la presse locale, il aurait su que "les étudiants menaçaient de bloquer Poitiers", avec notamment, dans la Nouvelle République, un plan de Poitiers à l'appui.
Opération "Poitiers portes closes"
De notre rédaction de Poitiers
C'est à une véritable opération "portes closes" qu'ont procédé les étudiants de Poitiers hier matin, en bloquant tous les accès à la ville.
Depuis cinq semaines, le campus universitaire de Poitiers est bloqué par les étudiants mobilisés contre le CPE, bien sûr, mais aussi contre la loi Fillon et la réduction des postes au CAPES. Cinq semaines ponctuées régulièrement par des actions spectaculaires. La plus importante fut certainement celle menée à bien hier, et pensée déjà depuis plusieurs jours. Les étudiants ont en effet réussi à transformer la capitale de la région Poitou-Cahrentes en ville fantôme une matinée durant. Dès 6h45, les traites tirés par le manque de sommeil, des équipes ont été formées sur le campus universitaire de Poitiers pour bloquer sept points névralgiques de la ville, dont le carrefour de Rebeilleau, la Pointe-à-Miteau ou la très emblématique porte de Paris.
Voitures et bus se sont entassés derrière les barrages, provoquant des embouteillages monstres, tandis que que l'hypercentre de Poitiers affichait un calme très dominical.
A la porte de Paris, les étudiants, rejoints par les lycéens d'Aliénor d'Aquitiane et d'Auguste-Perret, ont été les derniers à être délogés par les gendarmes mobiles. Une dispersion qui s'est effectuée dans le calme aux alentours de 11h30.
Textes
Jean-Jacques ALLEVI, Agnès NOEL
Photos
Patrick LAVAUD, Agnès NOEL
La Nouvelle République, Jeudi 23 Mars 2006.
SOCIAL
POITIERS
Un millier d'étudiants anti-CPE ont procédé, hier matin, à une action coup de poing
Les étudiants bloquent la ville
Ils l'avaient annoncé, ils l'ont fait. Hier matin, un millier d'étudiants anti-CPE -et quelques lycéens- ont installé des barrages sur les principales voies d'accès au centre-ville. Les forces de l'ordre ont rétabli la circulation en fin de matinée.
LE bazar....pour ne pas dire plus. Hier matin, le centre-ville de Poitiers semblait plongé dans le chaos le plus profond. Pratiquement aucune voiture, pas un bus. Seule une fourmilière de piétons entretenait un semblant de vie. La faute à qui? Aux étudiants anti-CPE;
Comme ils l'avaient annoncé la veille en assemblée générale, les étudiants poitevins sont donc passés à l'action hier à l'aube. Objectif: bloquer sept artères de circulation autour de Poitiers. Et ainsi toucher le coeur économique de la ville. De l'Etat. "On nous a longtemps reproché de ne pas prévenir de nos actions. C'est pour cela que, ce matin, nous jouons la transparence. C'est également une question de sécurité pour nous et les automobilistes. Nous sommes là pour faire passer un message, pas pour le plaisir", explique Mathieu, étudiant en Archéologie et membre de la coordination "comme les autres".
7h place à l'action
L'organisation commence à être rôdée à l'exercice du rassemblement. Dès 6h45, les étudiants affluent vers les deux poins de rendez-vous. Amphi J sur le campus. Place Leclerc en centre-ville. Comme convenu, ils sont environ un millier matinaux et motivés. 7h, l'heure des consignes. "Comme depuis le début, nous sommes là pour une opération pacifique. Nous bloquons la circulation mais nous laissons passer les urgences et les professionnels de santé. Nous devons à tout prix éviter les altercations avec les automobilistes. Nous ne sommes pas là pour bloquer ls gens mais l'économie", explique Stéphane. Dix minutes plus tard, le coup d'envoi de l'opération est donné.
7h30, les premiers barrages sont dressés. Pont-Neuf tout d'abord puis stade de la Madelain, Pont-Achard, Porte-de-Paris, Pont Saint-Cyprien, Pointe-à-Miteau et carrefour Kennedy. Les files de voitures s'allongent. Certains automobilistes tentent de forcer les barrages. Les forces de l'ordre interviennent et évitent les débordements. La seule solution pour atteindre le centre-ville: la marche. Les bus Vitalis rentrent au dépôt. 8h30, le centre-ville de Poitiers est bloqué.
10h40 : place aux gendarmes
Après plus d'une heure de blocus et de distribution de tracts, le temps est aux premiers bilans. "Je ne sais pas comment se sont déroulés ls autres barrages mais ici (Porte-de-Paris), j'ai l'impression que nous avons réussi notre coup. Les manifestations et les blocus ne suffisent pas pour nous faire entendre. Nous avons besoin d'opération comme celle-ci pour faire passer notre message. Même si certains automobilistes se sont énervés, beaucoup nous comprennent mais d'avantage sur le fond que sur la forme", analyse Annie, étudiante en Arts du spectacle. Autour d'elle, les sourires s'affichent sur les visages étudiants.
Mais il fallait bien une fin à cette histoire. 9h30, les gendarmes mobiles venus en renfort dans la nuit, ont procédé aux premiers débloquages. D'abord au stade de la Madeleine, puis à Pont-Achard vers 10h20. 20 minutes plus tard, c'est au tour de la Porte-de-Paris d'être évacuée. Dans tous les cas, aucun affrontement. Le mouvement étudiant de Poiiters est-et restera- un mouvement pacifique.
Une manif Boulevard Chasseigne et le coup de siffet final retentit. 11h, Poitiers est libérée.
Samy Magnant
M. Echo...
...n'a jamais vu autant de véhicules Vitalis à un arrêt de bus à Poitiers. Hier, pas loin d'une dizaine étaient soigneusement rangés, rue Jean-Jaurès, à l'arrêt Baptistère Saint-Jean en raison du blocage du Pont-Neuf par les étudiants anti-CPE. Les manifestants avaient ainsi une possibilité idéale de rentrer au campus.
...s'est branché sur 87.6 et a écouté hier matin à Poitiers son confrère France Bleu Poitou. La radio était bien utile pour suivre minute après minute le blocus de la ville par les étudiants en lutte contre le CPE. Un point d'information complet toutes les 5 à 7 minutes, deux reporters en permanence sur le terrain, des témoignages à chaud (un chauffeur de taxi, un pompier, un étudiant...): pas de doute, France Bleu Poitou a été au coeur de l'évènement jusqu'à 10h30.
...a noté le commentaire ironique d'un étudiant présent aux barrages, dès 7h20 hier matin, aux entrées du centre-ville de Poitiers: "On a montré que tous les étudiants ne font pas la grasse matinée!
...se demande si le 4e Forum international de la mobilité urbain et les transports avancés (les 5 et 6 avril au Futuroscope) travaillera aussi sur la question du blocage de l'accès des centres-villes par des étudiants qui généralement se déplacent...à pied.
... a écouté les excuses présentées hier au tribunal administratif de Poitiers par une avocate qui a plaidé sans avoir son dossier sous les yeux. La faute aux..."étudiants poitevins qui ne m'ont pas laissé passer pour rejoindre mon cabinet ce matin et récupérer mon dossier".
Centre Presse, Jeudi 23 Mars 2006.
En bonus, un lien vers le blog de Jules sur ce premier blocus de ville.