La trame
Marc, écrivain français, accompagné de Boris, son traducteur serbe, retourne dans les Balkans pour enquêter sur le suicide de la fille du Général Mladic, surnommé le "boucher des Balkans", mettant ce suicide en perspective avec la vie des enfants de dictateurs, pour lesquels il se fascine. Son voyage l'entraîne de Belgrade (capitale de la Serbie) à la République serbe de Bosnie (territoire intégré à la Bosnie-Herzégovine, mais qui ne reconnaît pas Sarajevo comme capitale) où il va rencontrer des admirateurs de Mladic (accusé de crimes contre l'humanité par la justice internationale), qui ont combattu les Croates, les Musulmans (dans la Yougoslavie, une partie de la population était recensée en tant que Musulmans) et cela après avoir vécu durant de nombreuses années ensemble, s'être mélangés les uns les autres. Marc ne cherche pas à juger, mais à comprendre comment un tel drame a pu se produire, cinquante ans après la seconde guerre mondiale. Au fur et à mesure, il lie le destin de ces gens à son destin personnel.
L'auteur
Lionel Duroy, né en 1949 en Tunisie, fils d'un militant d'extrême-droite, a été journaliste à Libération et à L'Evènement du Jeudi.
Il a écrit une vingtaine d'ouvrages dont L'Affaire de Poitiers en 1988, Il ne m'est rien arrivé en 1994, ou encore Le Chagrin en 2010. Il s'est rendu dans l'ex-Yougoslavie pour rédiger L'Hiver des Hommes.
Mon opinion
L'Hiver des Hommes, rien que par son (beau) titre, annonce la tragédie qui se déroule tout au long des 358 pages. Les témoignages se succèdent et l'on découvre divers personnages, réels, qui assument ce qu'il s'est passé, refusant d'endosser la responsabilité des crimes commis au titre qu'ils ont agit pour se défendre des attaques qu'ils allaient subir avec l'émergence des nationalismes dans la Yougoslavie post-Tito. Le passé évidemment ressurgit: la peur des Croates, justifiée par les massacres perpétrés par le régime des Oustachis, allié des nazis, de 1941 à 1945, la peur des Musulmans, dont ils sont persuader que leur combat est juste car il protège l'Europe du "péril islamiste", la peur du reste du monde, prétendant qu'il y a une vaste coalition voulant détruire la Serbie et son peuple.Le révisionisme est permanent: le bombardement du marché de Sarajevo en février 1994 est en fait, selon eux, un complot des Musulmans pour s'attirer les faveurs de la communauté internationale. Srebrenica, en juillet 1995 n'est pas selon eux un camp de concentration visant à massacrer les Musulmans, mais une simple prison. En ajoutant que certes il y a eu des victimes, mais au titre que la cohabitation était impossible, il fallait à tout prix, et cette notion est extrêmement importante, se protéger.
Ce livre, c'est l'exemple type de l'échec du projet yougoslave, qui voulait réunir tout les "Slaves du Sud" dans une même entité, en faisant disparaître les différences. Mais lorsque les nationalismes ont ressurgit dans les années 1980, une machine folle d'autodestruction inimaginable ne serait-ce qu'à la fin des années 1980, s'est enclenchée, conduisant chacun à répliquer davantage au coup qu'il venait de subir, ou pensait subir, menant peu à peu à l'épuration ethnique, projet qui consister à recomposer des territoires "ethniquement pur", à savoir avec une seul religion, une seul nation, à refuser à tout prix le mélange des cultures.
Lionel Duroy ne nous offre pas une histoire des guerres de Yougoslavie, mais une succession de témoignages où l'on découvre une population qui vit dans la crainte des autres, tout en prétendant avoir gagné la guerre. Mais à quel prix...Reclus là-haut dans des montagnes qui surplombent Sarajevo, on ressent leur solitude dans cette prison à ciel ouvert qu'ils se sont bâtis. Chacun a agit aux cours de ces guerres, certains se sont opposés, peu de familles n'ont pas eu la moindre victime. On est rapidement frappé par la teneur des discours de ces Serbes, à l'instar de l'historienne Mme Bulatovic, la biographe de Radko Mladic, fervent militant de le Yougoslavie devenu l'un des plus grands assasins des années de guerre. Précision: à l'époque, Radko Mladic n'avait pas encore était capturé pour être jugé à La Haye.
On constate enfin l'impossible réconciliation de ces peuples, hantés par la soif de vengeance de ceux avec qui ils cohabitaient avant-hier, de ceux qu'ils combattaient hier. Les cicatrices sont encore vives. Marc, apprend au cours de l'un de ses trajets en car, pour se rendre à Pale, cité qui domine Sarajevo (les deux villes sont distantes de seulement vingt minutes), que les lignes évitent soigeusement de passer par Sarajevo, de peur que les "Musulmans" ne cherchent à se venger en les massacrant. Eux, se sentent dans le rôle de la victime et vivent reclus entre eux. Quelque part, on a surtout l'impression d'avoir à faire à des survivants, dans une enclave où la démocratie est inexistante, où corruption, meurtre et désolation règnent.
Cet extrait résume à lui seul tout le drame, et la bêtise de la situation;
"Oui. Nous avons prétendument gagné la guerre, mais pendant que les Musulmans vivent tranquillement à Sarajevo dans les maisons des Serbes, nous, les vainqueurs, nous mourons de faim et de froid dans notre montagne".
Je recommande cet ouvrage et je remercie les élèves membres du Prix Renaudot des Lycéens de lui avoir attribué le prix 2012, sans lequel, je n'aurai jamais entendu parler de ce bouquin, poignant, accessible et qui nous intérroge sur le vivre-ensemble, tel que le décrit la 4ème de couverture:
"Ces hommes et ces femes sont-ils les derniers survivants d'un monde qui disparaît ou les précurseurs d'un désastre à venir?"
En bonus: une émission de France Culture avec Lionel Duroy qui témoigne sur L'Hiver des Hommes (26 Septembre 2012).
Portraits de Radovan Karadjic et de Radko Mladic
France 2, Lundi 29 Mai 1995.
Accords de paix et partage de la Bosnie-Herzégovine (toujours en vigueur)
France 2, Mardi 21 Novembre 1995.