Moscou sans drapeau rouge
L'Occident salue l'arrivée des "temps nouveaux" dans l'ex-empire. A Moscou, l'homme de la rue trouve, lui, la fête plutôt triste. Atmosphère d'une ville au bord du désespoir.
AUJOURD'HUI, samedi, Maria Petrovna a passé sa matinée à "faire les magasins", avec son vieux manteau, son éternel cabas et armée de son seul courage. D'abord sur l'avenue Lénine, l'une des plus grandes artères de Moscou, puis dans ce vaste centre commercial "universel" à la périphérie de la capitale. "Cinq heures à piétinier, à courir, à attendre, tout cela pour un malheureux morceau de pain!" L'énergique sexagénaire est amère, son sac vide la désole et ses jambes lui font mal. Pas question, avec sa maigre retraite, d'aller au marché libre, de l'autre côté de la rue: elle ne pourrait que lorgner avec envie les étals achalandés. Là, un poulet coûte 75 roubles, soit plus d'un tiers de son revenu mensuel. Le kilo de tomates est encore plus cher. Maria Petrovna n'a pas pour autant les joues creuses de l'affamée: pour 2 roubles, elle peut avaler un soupe - "sans viande", tient-elle à préciser - quelques pommes de terre et de la compote dans une cantine pour troisième âge. Mais elle aimerait bien manger autre chose et acheter du lait et des fruits pour ses trois petits-fils. A l'approche de la fin d'année, elle cherche les bonbons qu'elle souhaite leur offrir. A un prix raisonnable, il n'y en a pas.
En cette période riche en boulversements politiques, la préoccupation première des Moscovites demeure le ravitaillement. Tout le reste passe au second plan (y compris les évènements politiques).
Cherche mari pour sortir de l'abîme
Alexandre est étudiant en géologie. A 22 ans, il enseigne la paléonthologie à des écoliers et rêve de consacrer sa vie aux fossiles. Et tant pis s'il ne gagne pas un sou. Mais beaucoup de jeunes gens de son âge n'ont pas le feu sacré. Au Mgimo, université renommée, créee à l'époque de Brejnev pour former les cadres de la diplomatie soviétique, on pense aujourd'hui "affaires" et "créations d'entreprises". Le rêve de Helen, étudiante en marketing, est d'ouvrir sa propre "boîte" de publicité. Constantin, étudiant en 4e année d'économie, devrait bientôt mettre à profit ses connaissances en informatique, en lançant sa propre affaire. Plus pragmatique encore, cette jeune étudiante en chimie, qui avoue, la mort dans l'âme ne voir plus aujourd'hui qu'une seule solution, le mariage!
Tous ressentent une sorte de malaise, à commencer par ces 2000 communistes qui manifestent devant le siège de la télévision centrale leur dégoût des "pseudos-démocrates" actuellement au pouvoir. Un dernier carré de camarades bardés de brassards rouges, maigres, mais au moral remonté.
Tout s'achète
Combien sont-ils, ces nostalgiques de l'ère brejnevienne? Combien sont leurs amis qui, régulièrement, viennent fleurir la tombe de Staline, le "petit père du peuple"? Probablement une poignée. Mais ceux qui craignaient le capitalisme ou les excès qu'il pourrait entraîner sont beaucoup plus nombreux. Et de ce fait, le passage à l'économie de marché ne se fait pas sans excès au "pays des soviets". Récemment, le "Moscovski Konsommolets", le jeune communiste de Moscou, dénonçait dans ses colonnes la corruption de certains aiguilleurs du ciel qui, sur demande d'un "client" en retard, et moyennant finance, différaient le décolage des avions. Un exemple parmi tant d'autres d'argent facilement gagné. Ici, beaucoup de choses s'achètent: le permis de conduire, le visa de sortie...Aussi, quand Maria Petrivna (et elle n'est pas le seule) répète à l'envie qu'on vivait beaucoup mieux sous Stalie et qu'à l'époque de Brejnev on trouvait de tout dans les magasins c'est moins par conviction politique que par dégoût des magouilles.
Nausée de l'argent sale, mais aussi, pour une partie de population, découverte d'un individualisme nouveau et d'écarts de richesse inconnus jusqu'alors. "Les sentiments d'envie, de jalousie, sont nouveaux pour nous" reconnait Eugène, jeune étudiant en économie, qui a choisi de jouer à fon la "carte capitaliste".
Fin d'année morose à Moscou. Les rayons du "Dietski Mir", le grand magasin pour enfants de la capitale, sont désespérément vides. Au centre de la ville, places et rues ont été chichement décorées, à peine quelques loupiottes. L'atmosphère festive n'est pas au rendez-vous.
Nathalie LINQUIER, correspondante à Moscou.
BONUS KULTUR!
Une brève histoire du drapeau national russe par Jean-Olivier Benoist
La Nouvelle République, Lundi 30 Décembre 1990.
L'Hymne Russe de 1991 à 2000:
La Chanson Patriotique