Des questions toujours d'actualité, entre progrès technique et confidentialité des données personnelles
Tout commença par les pièces sonnantes et trébuchantes; puis vint le papier, billets et chèques; voici venu le temps de l'argent magnétique et informatique. Le paiement électronique est pour demain. Dès février 82, va être lancée dans le centre de Lyon une expérience de paiement automatique par carte magnétique qui concernera l'ensemble des établissements financiers et bancaires de la ville et pas moins de 200 commerçants. Si cette expérience réussit, elle sera étendue à l'ensemble de l'agglomération dès 1983.
Depuis deux ans déjà, à Bourg-en-Bresse, la Banque Régionale de l'Ain a installé "avec un succès complet" 27 guichets automatiques, ainsi que des terminaux d'ordinateurs chez 130 commerçants. A Saint-Etienne enfin, dans le courant du deuxième semestre 82, de semblables "Terminaux Points de Vente" offriront aux clients les mêmes services informatiques grâce à une carte multibanques.
Le principe des cartes à mémoire par micro-processeur est simple: une somme est inscrite dessus magnétiquement avec possibilités régulières de recharges. Les achats sont réglés au moyen de cette carte qui enregistre immédiatement toute opération. La mise à jour du solde restant est donc instantanée. Un code secret de 4 à 5 chiffres connu de son seul détenteur semble être la parade imparable contre toute escroquerie. Dans l'expérience lyonnaise, chaque commerçant transcrira les transactions financières sur une bande magnétique qui sera traitée le soir même sur ordinateur de sa banque. Un autre ordinateur effectuera dans un deuxième temps les règlements interbanques. Ce système est dit "off line", puisque l'ordinateur n'est pas relié directement à la carte magnétique.
A Bourg-en-Bresse, comme à St-Etienne l'an prochain, l'expérience est "on line". Des commerçants étant pourvus de "Terminaux Points de Vente", les opérations financières sont donc immédiatement enregistrées et comptabilisées à l'ordinateur central de la Banque Régional de l'Ain.
Alors que dans l'Ain une seul banque a lancé ce système "on line" dans celle de St-Etienne au contraire, la quasi totalité des établissements financiers se sont entendus pour placer plus de 200 terminaux chez les commerçants. Cette expérience sera la plus ambitieuse qui aura été tentée en France puisque tous ces terminaux seront connectés à l'ensemble des banques et que l'acheteur comme le vendeur auront le débit et le crédit immédiats de leurs comptes respectifs.
Nous sommes de plain-pied dans l'ère informatique: le dire est déjà une lapalissade en 1981. La révolution du paiement électronique semble inéluctable. Comme pour la nouvelle carte d'identité informatisée qui est entrée en circulation le 5 janvier dernier, des questions déontologiques ne manqueront pas de se poser lors de la mise en place généralisée de "Terminaux Points de Vente" à travers l'hexagone. On sait que les dispositions qui ont été prises pour la nouvelle carte d'identité pour éviter toute atteinte aux libertés.
Il est possible dès maintenant d'évaluer les difficultés, les avantages, voire les dangers du paiement électronique:
-Les difficultés d'abord dans la généralisation des cartes magnétiques. Condition sine qua none, il faut un accord entre toutes les banques. Un tel accord difficile, semble possible: le tournant a déjà été pris en effet avec les "Cartes Bleues" et les "Points d'Argent" qui regroupent C.C.P., banques populaires et banques privées.
-Les avantages. La souplesse, la rapidité et la facilité d'utilisation sont aussi bien évidentes pour l'acheteur que pour le vendeur. Les avantages financiers ne sont pas moins évidents pour les banques: le coût d'un chèque est en effet pour elles très lourd puisqu'il oscille entre 3 et 5F. Sans les supprimer, on peut penser que la carte magnétique en limitera considérablement l'emploi...elle risque aussi, revers de la médaille, de limiter l'emploi du personnel bancaire.
-La protection du client. La ligne magnétique sur laquelle est inscrite le montant du compte est bien sûr invisible: cette sorte de carte aveugle est source d'erreur et de malveillance. A chaque opération financière, un document comptable est nécéssaire; une imprimante devrait être ainsi incoporée au terminal. On sait d'autre part que la connexion avec l'ordinateur s'opère grâce à un code secret: ce sera le client qui tapera, confidentiellement chez le commerçant même, ce code secret. En ce qui concerne les dangers de vol, toute erreur entraîne le verrouillage du micro-processeur et toute manipulation inexacte répétée son autodestruction.
Quatrième danger possible avec un système "on line": quelle seront les informations données par le "Terminal Point de Vente" sur le compte du client? Le commerçant aura-t-il le droit d'interroger l'ordinateur pour connaître l'état des finances de son client?Il semble d'ores et déjà que non: les informations n'iront que dans un seul sens, terminal-ordinateur; il n'y aura donc pas de retour de l'ordinateur au terminal. Enfin, les banques offrent maintenant à leurs clients la possibilité et le droit de connaître l'intégralité des renseignements les concernant sur leur fichier informatique.
Le vrai et grand danger de l'informatique dans ces questions financières comme dans toutes les autres - rappelons que le secret bancaire existe - est l'interconnection des fichiers. Mais ceci est une question, hautement politique.
Gilles TOUZALIN
La Nouvelle République, Lundi 12 Janvier 1981.