Moins glorieux que Zorro, mais moins dangereux que dans le Bronx
Ambiance far-west avec un parfum de pâté!
Un aspect de Lavausseau: l'église de la commune.
Lavausseau, ses tags, son shérif
Boulanger volé, graffitis, bruits de moto...le maire du bourg a décidé de sévir.
Lavausseau (Vienne) envoyé spécial
Il est question de menaces de mort, d'une bande qui "sème la terreur", de "cité dortoir". Certains évoquent leur passé d'anciens combattants. "Si personne se bouge, moi je saurai faire ce qu'il faut!" On rappelle qu'ici "faut se méfier des vengeances, on n'agit pas en face, mais..." Nous sommes à Lavausseau (800 habitants), adorable bourg du Poitou, autrefois opulent grâce aux tanneries. Tout semble y respirer la paix et l'harmonie.
Ce n'est pas l'avis du boulanger. Début février, pour la troisième fois depuis le début de l'année, on a tenté de s'introduire dans sa boutique. Cette fois, la vitrine a été frappée à coups de masse. En verre Securit, elle a résisté, mais les coups ont laissé d'inquiétantes zébrures. "Il était 2 heures du matin. Ils savent que j'embauche entre 3 et 4 heures pour allumer le four. C'est des gars qui connaissent mes habitudes..." La fois précédente, "les gars" avaient dérobé près de 1 kilo de bonbons, sucettes et Carambar.
"Snake". Il y a aussi les tags. "Une honte...Allez vois ces indécences!" s'épouvante une dame. Sous une venelle qui relie la rue principale à une place ombrée, on peut lire, en caractères hip-hop, de redoutables "Snake" ou "Bonne année 2004", et un énigmatique "Lavausseau production". Et les dégradations. Un cantonnier qui bine les primevères place de la Commanderie-des-Hospitaliers-de-Saint-Jean-de-Jérusalem, dominée par l'austère bâtisse du XIIème siècle, les trouve "franchement dégueulasses". La commune avait construit à côté du lavoir un petit bâtiment pour des toilettes. "C'était bien pratique pour les touristes, l'été". Les "voyous" ont pulvérisé les lavabos et les sièges. Et tagué. "Baise tes morts", "Nique le... (illisible)". Et aussi: "Légaliser la beu", avec un type à poil sur un chiotte, un pétard géant au bec.
On rappelle, pêle-mêle, les poubelles jetées dans la Boivre, les carreaux cassés, les pétarades de motos en pleine nuit..."A un moment, la coupe est pleine", dit un monsieur qui ne donne pas son nom, "pour la tranquillité".
Rodéo. En février, excédé d'entendre ses administrés se plaindre que ça ne pouvait "plus durer", le maire et deux conseillers municipaux ont planqué tard dans la nuit, place de la Commanderie. Les édiles ont aperçu deux silhouettes se faufilant par une fenêtre dans la salle des fêtes. Quelques jours plus tôt, on s'y était déjà introduit. A Mobylette! "Ils ont fait un rodéo à l'intérieur, renversant chaises et tables..." Cette fois, tout semblait calme. Alors le maire et ses conseillers ont fait irruption, tombant sur deux jeunes tirant le joint, prestement "saucissonnés". Le maire a appelé les gendarmes, qui se sont fait remettre les deux chenapans. Belle prise, l'un d'eux avait une barrette de shit.
Le lendemain, ça a fait du barouf. "Tout le monde a applaudi, je peux vous le certifier", assure la patronne de la Barigoule, le bar-restaurant. Enfin, pas tout à fait. Le père d'un des interpellés, mineur, a porté plainte pour "violences". Et le procureur de Poitiers a ordonné une "enquête approfondie". Le père estime qu'on veut rendre son fils responsable de la série de méfaits, sans preuve. "Le Jojo, dit une consommatrice de la Barigoule, il a toujours soutenu ses gamins, même quand ils faisaient des conneries ou qu'ils lui racontent des bobards". D'ailleurs, selon un autre: "Il accuse la mentalité paysanne, dit que ce sont des retardés qui ne comprennent rien aux jeunes. Je trouve qu'il va quand même un peu loin". "Le Jojo" ne souhaite plus s'exprimer. Il attend la parole de la justice. Tout comme le maire, agriculteur, «indisponible». «Et puis tout le monde le sait bien qui sont les fouteurs de merde. Ici, on se connaît tous», répètent les habitants. Beaucoup désignent la «cité» comme abritant les «meneurs», qui entraînent les «désoeuvrés qui regardent des trucs à la télé». La cité ? Une douzaine de pavillons type Phénix, à la sortie du village. «Ces gens habitent là parce que c'est pas cher, mais ils travaillent sur Poitiers ou à l'usine Isodelta de Chiré. Ils ont élevé leurs enfants dans le mépris de Lavausseau. Après, faut pas s'étonner du résultat !»
«Fort ressenti». Au début, «c'était des petites bêtises. Mais depuis sept ans que ça dure, c'est de pire en pire». Certains habitants ont fait des remarques, aux jeunes ou aux parents. «Comme par hasard, c'est ceux-là qui sont les victimes, dit un costaud d'une soixantaine d'années, tête rubiconde. Certains ici ont la gâchette facile. Vous pouvez me croire que nous, y viennent pas nous asticoter...» Dans ce contexte un peu chaud, le procureur a préféré demander ces derniers jours «un complément d'informations» aux gendarmes. Conscient du «fort ressenti local», il souhaite «apporter une réponse judiciaire qui soit à la fois pédagogique et source d'apaisement». Selon les habitants, l'intervention musclée du maire a suffi. «Depuis, ça moufte plus, on les voit même plus le soir sur la place», assurent plusieurs d'entre eux.
Libération, Lundi 29 Mars 2004, N°7116.
Prochainement, la suite de l'histoire.