Béatrice Bouniol, le 11/11/2016 à 15h47
JOURNAL DE LA PRIMAIRE J-9. Après l’élection de Donald Trump et les réactions des candidats, retour sur le sens historique et politique d’un terme ambigu.
« Un mot épouvantable » qu’utilisent les élites pour désigner de manière péjorative le vote de la « majorité silencieuse » dont il se veut le porte-parole. Mercredi 9 novembre, Nicolas Sarkozy a fait de l’élection du candidat républicain à la Maison-Blanche l’occasion d’une nouvelle confrontation avec son principal adversaire, Alain Juppé, qui de son côté a alerté les Français contre « la démagogie, l’extrémisme et le populisme ».
Devenu omniprésent dans les analyses des experts comme dans les médias, le terme « populisme » est d’autant plus difficile à définir qu’il est parfois employé pour signifier des réalités radicalement différentes.
« Le populisme, c’est l’expression d’un peuple à l’inconditionnel, résume l’historien Jean-Pierre Rioux. Selon ses partisans, le peuple est inné, premier, ne se trompe jamais et a toujours vocation à devenir un martyr des dominants et des élites. C’est la cause du peuple à l’état brut ».
Désignant une attente excessive, qui viserait une action politique instantanée, presque magique, le mot est aussi régulièrement employé par les hommes politiques pour dénoncer un comportement, disqualifier leurs adversaires ou les opinions qui ne leur sont pas favorables.
« Le terme sous-tend une manière très connotée de dépeindre le peuple comme une multitude, une populace, qui "veut tout et tout de suite", d’autant que les nouvelles technologies permettent de donner son avis en permanence, analyse Olivier Ihl, historien des idées politiques, et s’opposent aux élites politiques, qui feraient, elles, preuve de patience et de sagesse. »
Au XIXe siècle, il émerge au sein de deux mouvements que tout semble opposer : d’un côté, en Russie, dans les années 1860, les narodniki, en « allant au peuple », rêvent de restaurer une communauté perdue. « Ce sont des intellectuels, plus tard à leur tour vilipendés par les populistes, qui appellent à sauver le peuple affamé par le tsar », poursuit Jean-Pierre Rioux.
De l’autre, aux États-Unis, dans les années 1890, « des farmers qui se sentent dépossédés et ne joignent plus les deux bouts, ne comprennent pas le rôle que l’État fédéral veut jouer dans leurs affaires. C’est un populisme social, qui s’éteint dès que le système apporte les bonnes réponses économiques ».
Tout au long du XXe siècle, le populisme à la française est l’héritier d’une difficulté politique spécifique, venue de la Révolution française : exprimer le peuple. L’article 3 de la Déclaration des Droits de l’Homme affirme en effet que la souveraineté ne lui revient pas mais relève intrinsèquement de la Nation, transformée en République.
« Les formes de démocratie représentative que nous avons inventées, malgré l’instauration du suffrage universel, n’ont pas permis de fonder une politique du peuple », conclut Jean-Pierre Rioux, au sens de réaliser l’idée d’égalité inscrite dans les textes fondateurs ». D’autant que la dérégulation mondiale comme la crise économique ont laminé les conditions d’existence de pans entiers de population, terreau social d’un regain populiste.
C’est la première « pathologie contemporaine de la démocratie », d’ordre social, dont profitent ces mouvements, selon Olivier Ihl. L’égalité proclamée, une voix un vote, est utilisée dans les urnes par ceux qui sont en grande souffrance, qu’elle soit réelle ou fantasmatique. Ce moment du vote, « de grand recueillement où personne n’a de compte à rendre et où chacun peut être tout-puissant », représente finalement la dernière manière d’exprimer cette égalité théorique en renversant la table.
La seconde pathologie de la démocratie, à l’origine du regain populiste, est institutionnelle, marquée par la clôture d’une classe politique professionnelle, « se conduisant de manière parfois amorale et illégale, rechignant à voter contre ses intérêts comme le montre l’échec de la réforme du non-cumul des mandats en France, menant des relations souvent troubles avec les élites médiatiques. »
La Croix, Vendredi 11 Novembre 2016.