UNIVERSITE POITIERS
La mobilisation étudiante continue
La CCI et le rectorat occupés
Les étudiants ont tenu leur assemblée générale le matin avant d'occuper successivement la Chambre de commerce et le rectorat.
Le stade Rébeilleau a rarement eu autant de spectateurs. La grande tribune était pleine de jeunes contre le Contrat première embauche (CPE) et la réduction des postes au Capes hier matin. Près de deux mille étudiants ont tenu une assemblée générale. La question du blocus de l'université s'est à nouveau posée avec un débat entre les pour et contre les barrages à la porte des facultés. C'est en fac de droit que la grève est la plus contestée et de nombreux étudiants réclamaient une journée banalisée afin de pouvoir manifester sans rater de travaux dirigés.
La présidence de l'université a été sollicitée afin de baliser une journée de débats sans cours, mais elle n'a pas donné suite. A l'issue de l'assemblée générale, un vote individuel a reconduit le blocus jusqu'à ce matin. 2.000 étudiants mobilisés sur les 24.000 que compte l'université, c'est peu. Mais les jeunes présents à Rébeilleau semblait déterminés à poursuivre le mouvement avant les vacances de la semaine prochaine. L'asemblée générale s'est déroulée dans le calme, les applaudissements sonores ont été remplacés par des applaudissements en langue des signes, plus respectueux de la parole des débatteurs, selon les jeunes.
Le rectorat occupé
Mais avec les étudiants, c'est désormais un rituel: le matin, discussion, l'après-midi, action. Au fil des manifestations tout ce petit monde s'enhardit. Les leaders se sont même payé le luxe de dire non à Ségolène Royal. La présidente de Région souhaitait s'inviter à l'assemblée générale (AG) de ce matin. Demi-satisfaction: elle recevra bien une délégation, mais n'aura droit qu'à la lecture de son communiqué lors de l'AG. Pour les étudiants le mot d'ordre est: "Pas de récupération".
Autre coup d'éclat; à 15h, les locaux de la Chambre de commerce et d'industrie de la Vienne (CCIV) sont envahis. L'atmosphère si feutrée des lieux en prend un coup. Avec les étudiants, c'est sit-in à tous les étages et meeting improvisé en salle de réunion. A 16h, le préfet accepte de les recevoir s'ils quittent les lieux.
Branle-bas de combat: direction la préfecture. Une délégation d'étudiants se constitue, mais par un mouvement aussi soudain qu'imprévu, les 1.200 jeunes refluent vers le rectorat. C'est le problème avec les étudiants: ils courent vite et ne sont pas bêtes. Les entrées du rectorat ont beau être tenues par la police, la jeunesse poitevine y entre par une porte dérobée. A 17h, une manifestante arborant un bonnet phrygien en tête, le cortège s'engouffre dans les lieux. Plantes grasses, escaliers cirés et tapisseries surannées n'en reviennent pas. Les raes fonctionnaires présents non plus.
Le climat est bon enfant. "Pas de violence, c'est les vacances", ont prévenu les meneurs. Reste que le préfet ne veut plus les recevoir. "Evacuez les lieux d'abord", leur fait-on savoir. A 18h, tout le monde s'exécute et, peu à peu, s'égaille dans Poitiers. Une délégation est finalement reçue en préfecture une heure plus tard. Du classique: le préfet enregistre les dolèances et argumente sur le CPE.
Pas de grandes avancées sinon l'obtention de chiffres demandées en vain depuis des lustres. "Ca fait un mois et demi qu'on les attendait et là on les a eu en 20 minutes", s'amuse Stéphane Séjourné. Le mouvement continue donc au moins jusqu'à ce soir. Après, c'est l'inconnue des vacances.
Valérie Bridard
Mathias Aggoun
Centre Presse, Vendredi 17 Février 2006.
Le film de la journée
Débutée par une assemblée générale gérante, dans les tribunes d'un stade, la journée de manifestation des étudiants poitevins s'est déclinée jusqu'en fin d'après-midi. Voici en six photos, le film de cette journée rythmée, mais parfaitement canalisée par les manifestants.
(Photo NR, Dominique Bordier)
Les étudiants poitevins font leur révolution orange
2000 étudiants ont manifesté toute la journée d'hier à Poitiers pour dire leur farouche opposition aux contrats CPE et CNE ainsi qu'aux réductions de postes au CAPES. Une démonstration de force pacifique et bon enfant.
Blocus de la fac de droit, assemblée générale au stade Rébeilleau, défilé au centre-ville, occupation de la chambre de commerce et d'industrie, rendez-vous manqué à la préfecture, visite surprise au rectorat, puis enfin réception d'une délégation chez le préfet; les étudiants poitevins, toujours mobilisés contre les contrats CPE/CNE et contre la réduction de postes au CAPES, ont montré à deux jours des vacances une étonnante capacité à rester mobiliser. Retour sur une journée exemplaire, sans débordement, ni incident.
9h. Derrière un mur de chaises métalliques ramenés d'un hypermarché voisin durant la nuit, David et Nicolas, inscrits en licence d'histoire, tiennent solidement l'entrée de la fac de droit. "Occuper la fac de droit en grève, c'est un symbole!". En ce jeudi matin, le blocus est total. Une quarantaine d'autres grévistes sont également répartis aux autres entrées. Aucun étudiant ne doit pénétrer. "La majorité des étudiants en droit a voté le blocus, donc de blocus est légitime", justifie Nicolas qui savoure avec délice le fait d'occuper une fac réputée conservatrice. Seule une poignée d'étudiants chinois et les étudiants en médecine sont autorisés à suivre leurs cours normalement. "Ils passent un concours" justifient les grévistes.
"Le blocus n'est pas une fin en soi mais il était nécessaire"
10h30. Comme prévu, les étudiants prennent la direction du stade tout proche, prêté pour l'occasion par la ville de Poitiers. En quelques minutes, malgré la pluie, des dizaines d'étudiants convergent. La tribune principale est rapidement garnie de quelques 2.000 étudiants représentants les différentes unités de formation et de recherche (UFR). Une bonne heure durant, la légitimité du blocus est au coeur du débat. Certains étudiants la contestent très vivement. Morgan y voit l'origine "d'inutiles tensions entre étudiants alors qu'on se bat tous pour la même chose, le retrait du CPE". Stéphane Séjournais, l'un des membres de la coordination étudiante, rétorque: "Le blocus n'est pas un objectif en soi, je n'étais pas pour au tout début mais il était nécessaire". D'autant plus nécessaire que les étudiants comptent bien échanger sa levée contre l'attribution par chaque doyen d'une demi-journée banalisée permettant aux étudiants de manifester au retour des vacances. Il est presque 12h30, le résultat est sans appel:1.319 oui, 392 non et 98 abstentions. Un tonnerre d'applaudissements accompagne la fin de l'AG. La première phase de la mobilisation se termine sur un triomphe.
Jean-Jacques ALLEVI
La peur de la chienlit reprend de belles couleurs en droit
En entendant hier matin ces trois étudiantes en seconde année de droit vitupérer contre "la chienlit permanente" que font, selon elles, régner "les étudiants gauchistes" qui occupent leur fac, on se croirait presque revenu aux lendemains de mai 68. Lorsque les Comités de défense de la République fustigeaient jusqu'à la grossière caraicature les étudiants, tant ôt taxés d'être manipulés par Pékin, tantôt accusés d'être téléguidés par Moscou et que le ministre de l'Intérieur Raymond Marcellin ne perdait jamais une occasion de dénoncer le complot gauchiste. Aucune de ces trois étudiantes rencontrées dans les couloirs de la fac de droit n'était évidemment née en mai 68. Mais toutes trois ont ressuscité un discours élimé qui tranche aec leur 19 printemps.
Très remontée, Caroline stigmatise sans retenue les grévistes. Dénonçant avec une bonne dose mépris "leur petite révolution". Voyant dans ce mouvement "ce truc initiatique dont rêvent les étudiants en lettres". Jusqu'à l'outrance. "Ces étudiants qui ne mettent jamais les pieds à la fac. Ils sont seulement en grève pour avoir une semaine de vacances supplémentaire". Sur le même ton, Amandine tempête: "On veut juste pouvoir travailler, pouvoir aller à notre BU. On est pris en otage. On va perdre 18 heures de cours". L'étudiante poursuit: "Ils nous traitent de fachos. Je suis écoeurée. Ils ne respectent rien. Il y a quand même d'autres moyens de s'exprimer que de bloquer notre fac!" Et d'énumérer un certain nombre de dégradations que l'administration ne nous a pas confirmée hormis une vitre cassée. "Nous, le CPE on y est pour rien", tonne encore Amandine. Pourtant sur le fond des choses, les trois étudiantes qui se cachent derrière des prénoms d'emprunt, jurent qu'elles sont "contre le CPE et le CNE".
J.-J. A.
La Nouvelle République, Vendredi 17 Février 2006.