Nouveau coup d'Etat en Afghanistan: à 17h58 la dépêche tombait sur les téléscripteurs annonçant la chute du régime du président Amin. Sans qu'il soit encore possible de préjuger de la position que va adopter le nouveau chef de l'Etat, M. Badrak Karmei, il était devenu évident depuis un certain temps que des évènements alleiant se produire dans cette partie du globe. Evènements que tous, Occidntaux, Soviétiques, Américains ou Chinois, s'appêtrent à suivre avec le plus haut intérêt. Afghanistan: attention, produit hautement inflammable!
"Adou Allah! Tous ces hommes dont les bérets, les capotes ou les kalaschnikov s'ornent d'une étoile rouge son adou Allah: des ennemis de Dieu". L'accusation ancestrale est tombée comme un couperet sur les troupes soviétiques en Afghanistan depuis qu'il y a environ un an et demi quelques chefs rebelles - Patchounes, Baloutches, Turkmènes, Ouzbeks, Tadjiks ou Kirgizs - ont déclaré la "djihad", la guerre sainte. Guerre sainte qui, depuis septembre dernier, a pris la puissante Unions Soviétique dans ses filets et qui a fait dire à Washington que l'U.R.S.S. allait peut-être connaître avec l'Afghanistan son Vietnam.
Car partout autour de la frontière soviétique, au sud-ouest, une véritable poudrière existe, dont la ressemblance avec les dominos indochinois des années 60-70 n'est pas niable. Pakistan, Iran, Afghanistan, Turquie: un arc de cercle qui pourrait, par le charme d'un mot, créer une situation difficile au sein même de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques. Ce mot, bien sûr, c'est l'Islam.
Le 27 avril 1978, le président Daoud était tué au cours d'un coup d'Etat fomenté par l'armée et le Parti Populaire Démocratique Afghan. En été, après l'échec d'un nouveau coup d'Etat, le Premier ministre, Mohammed Taraki, prenait le pouvoir avec son parti, le Khalg (Parti du Peuple). Il entamait immédiatement toute une série d'actions "révolutionnaires" comme les nationalistations, l'officialistation du drapeau rouge, l'abolition de l'achat de l'épouse et surtout entamait une réforme agraire qui passait par une meilleure répartition des terres et la remise des dettes des paysans envers les grands propriétaires.
Cette réforme agraire fut le signal de la révolte des tribus afghanes pour lesquelles le prophète et l'ordre établi des choses sont des tabous inviolables. La chute de Taraki, l'été dernier, et son remplacement par Hafizullah Amin n'allait pas changer fondamentalement la situation. Ou plutôt elle allait l'aggraver: car si on avait pu croire que Moscou n'était pour rien dans la mise en place du nouveau régime, l'arrivée d'Amin allait montrer jusqu'à quel point l'U.R.S.S. se sentait concernée par ce qui se passe dans cette Asie Centrale, qui sert de haut-parleur aux exhortations de Khomeiny.
Les Américains, qui n'avaient pas réagi en avril 78, viennent de dénoncer l'existence d'un pont aérien d'au moins 150 "Antonov" 12 et 22 qui a, en 48 heures, débarqué 4 à 5.000 soldats soviétiques à Kaboul. Ce virage à 180 degrés est dû aussi à la révolution iranienne islamique. les Américains sont inquiets de l'influence de Moscou dans un pays qui, s'il tombait entièrement sous sa coupe, constituerait une base stratégique fantastique pour l'Armée Rouge. Objectif: les mers chaudes et le détroit d'Ormuz, où transite le pétrole des pays arabes. Les Chinois, eux-mêmes, manifestent leur mécontentement devant ce qu'ils appellent "un encerclement".
Mais les autres régimes islamiques, les chiites à Téhéran, les sunnites à Islamabad, soutiennent quasi ouvertement les rebelles afghans, dont les deux principaux mouvements d'opposition "Herbi-i-islami" et "Jamiyat-i-islami", ont fusionné en mars 1979, joignant leurs forces dans la guerre sainte contre l'ennemi,c'est-à-dire le régime central de Kaboul et celui des "conseillers" soviétiques. Les moudjahidin sont mal armés, mais fanatiques, anarchiques, peu organisés et ils tiennent la moitié des zones rurales le jour et bien davantage la nuit.
Ces combattants d'un autre âge ont chassé des montagnes les instituteurs ou les militants au brassard rouge: alors sont venues les troupes régulières. Harcelées, décimées dans des embuscades, elles ont cédé la place aux "Mig", aux hélicoptères, aux chars...et aux soldats soviétiques. Mais Moscou s'est enlisé dans un conflit où il ne peut se retirer de peur de perdre la face aux yeux de ses alliés de l'Est et de Cuba.
Et puis, de part et d'autre de la mer Caspienne, il y a cinquante millions de citoyens soviétiques dont la religion est aussi l'Islam. En l'an 2000, ils seront une centaine de millions dont les droits d'appartenir à "l'oumma", une communauté religieuse, sont fortement contestés par le régime du Kremlin. Il n'y aurait plus que 300 mosquées en U.R.S.S. alors qu'il y en avait 26.000 à la fin du XIXè siècle. Et si cette puissante communauté se mettait à réagir aux ondres de choc parties de Qom?
Dans l'arc de cercle islamique qui effraie tant les deux supergrands, seule la Turquie à majorité sunnite flirte tour à tour avec les uns et les autres. Au Pakistan, où vivent les Patchounes et 150.000 réfugiés qui ont fui les réfomres de Kaboul, un mot d'ordre circule entre les tentes: "Badal", vengeance. Au moment où un nouveau coup d'Etat renverse le président Amin, l'Occident va regarder le monde islamique avec les yeux de la peur...
Hervé CANNET
La Nouvelle République, Vendredi 28 Décembre 1979.