L'imagination et le dynamisme hollywoodien
Alors que Les Dents de la Mer (Jaws) de Steven Spielberg venaient d'établir un nouveau record historique du cinéma américain, pulvérisant les chiffres obtenus par Autant en emporte le vent, Le Parrain ou La Mélodie du bonheur, La Guerre des Etoiles (Star Wars) de Georges Lucas, le réalisateur d'American Graffiti et de THX1138, a réussi à dépasser Les Dents de la Mer en tête du box-office, encaissant ainsi en moins de quarante semaines et dans les villes clés presque soixante millions de dollars. Réalisé par un jeune cinéaste de trente-deux ans, La Guerre des Etoiles mélange avec une surprenante virtuosité les thèmes de la bande dessinée à une technologie futuriste stupéfiante. La naïveté du scénario est vite pulvérisée par la qualité des effets spéciaux dont certains ont mis trois ans pour être perfectionnés...
Au titre des réussites de l'année de la production hollywoodienne, il convient de citer Annie Hall, de Woody Allen qui, plus que jamais auteur complet de ses films, se raconte lui-même et se penche sur ses problèmes affectifs avec Diane Keaton. Black Sunday de John Frankenheimer, avec Robert Shaw et Marthe Keller, qui imagine le terrorisme palestinien s'attaquant aux Etats-Unis et Le Dernier Nabab (The Last Tycoon) d'Elia Kazan, d'après F. Scott Fitzgerald. Robert de Niro y personnifie un jeune producteur ambitieux (Fitzgerlald s'était inspiré de la destinée fulgurante d'Irving Thalberg, le chef de la production de la MGM) et Elia Kazan retrouve non sans nostalgie l'atmosphère du cinéma hollywoodien de la grande époque.
C'est au contraire l'Amérique la plus moderne et la plus réaliste que décrit John Avildsen dans Rocky, qui obtint l'Oscar du meilleur film et dont le scénario fut écrit par un jeune acteur peu connu, Sylvester Stallone, vedette du film et propulsé d'un coup parmi les grands espoirs du cinéma américain grâce à ce rôle d'un boxeur amateur soudain confronté à un champion du ring. Network (Main Basse sur la TV) permet à Sydney Lumet, aidé par son scénariste Paddy Chayefsky, de s'attaquer à la puissance de la télévision américaine en brossant le portrait d'un présentateur-vedette qui mourra assassiné en direct, sous les yeux des téléspectateurs. Sydney Lumet en profite pour dénoncer le pouvoir et l'influence de la télévision commerciale, révèlant le rôle néfaste des sondages et la course à l'audience. Peter Finch, William Holden et Faye Dunaway en productrice arriviste y sont splendides.
Ancienne victime de la liste noire et des persécutions maccarthystes, Martin Ritt consacre Le Prête-Nom (The Front) à la dramatique période de l'histoire d'Hollywood que fut celle de la "chasse aux sorcières". Woddy Allen et Zero Mostel dont la carrière fut momentanément brisée par la liste noire, interprètent ce très curieux film, à mi-chemin entre la satire et l'humour noir. La période que décrit En route pour la gloire (Bound to Glory) de Hal Ashby, dont c'est le meilleur film, retrouve la force et la violence des films de la Warner Bros, tels que Heroes for sale et Wild Boys of the Road pour décrire les trains bondés de "clandestins", les camps de réfugiés, le syndicalisme militant et parallèlement la fabuleuse volonté créatrice d'auteurs en liberté tels que Woody Guthrie, le héros du film. Autant la reconstitution d'Hal Ashby est remarquable, autant celle tentée par Peter Bogdanovich dans Nickelodeon pour retrouver le climat enfiévré des tournages de l'époque héroïque du cinéma muet américain, est décevante. Ancien cinéphile et ancien critique, Bogdanovich échoue une nouvelle fois en tentant d'imiter ses maîtres. Valentino, de Ken Russell, est consacré lui aussi à l'univers du cinéma muet et "l'enfant terrible" du cinéma britannique en profite - comme on pouvait le deviner - pour se livrer à ses recherches esthétiques et donner libre cours à ses nombreux phantasmes. Mise à part l'admirable apparition de Rudolph Valentino que joue Rudolf Nureev et que l'on voit danser avec Anthony Dowell qui personnifie Nijinsky, le film n'est que la caricature outrancière de la vie de Valentino. Ken Russell y semble, plus que jamais étouffé par ses propres obsessions. Dommage de voir ainsi gâchée la possibilité de s'attacher à travers la destinée exceptionnelle de Valentino à la grande époque de folie créatrice du cinéma hollywoodien des années vingt.
Auteur inégal, Don Siegel a réussi avec Le Dernier des Géants (The Shootist) un de ses meilleurs films. Le film débute symboliquement le 22 janvier 1901, au moment où l'on apprend au Nevada la mort de la reine Victoria, et retrace la dernière semaine d'un "tireur", miné par un cancer et qui donne un ultime rendez-vous à tous ceux qui rêvent de se mesurer à lui pour le tuer. John Wayne, dont c'est un de ses plus beaux dernier rôles, incarne splendidement ce vieil aventurier de l'Ouest, confronté à une mort inéluctable. Réussite également pour Stanley Kramer dont La Théorie des Dominos (The Domino Principle), avec Gene Hackman et Candice Bergen, décrit sans concession l'engrenage diabolique des services secrets pris à leurs propres pièges.
Sydney Pollack adapte dans Bobby Deerfield une histoire d'Erich Maria Remarque (Heaven has no favourites) et retrouve parfois le lyrisme déchirant d'un Frank Borzage en racontant la liaison sans espoir d'un pilote de courses (Al Pacino) et d'une jeune femme (Marthe Keller), atteinte d'un mal incurable. Si certains ont pu être déçus par L'Île des Adieux (Islands in the Stream), d'après Ernest Hemingway, avec George C. Scott, ou par New York, New York de Martin Scorcese, le réalisateur de Taxi Driver, joué par Robert de Niro et Liza Minelli, tous ceux qui avaient déploré l'échec de Buffalo Bill and the Indians de Robert Altman ont retrouvé avec plaisir dans Trois Femmes (Three Women), admirablement interprété par Sissy Spacek, Janice Rule et Shelley Duvall, le talent de l'auteur de M.A.S.H. et de Nashville.
Comme toujours, Hollywood s'est également penché sur son passé en n'hésitant à réaliser plusieurs remakes de film célèbres: L'Île du Docteur Moreau (Island of Dr Moreau) de Don Taylor, d'après Island of Lost Souls, dont Charles Laughton avait été en 1932 la vedette, Une Etoile est née (A Star is born) d'Arthur Pierson, dans laquelle Barbra Streisand succède à Janet Gaynor et à Judy Garland, et enfin Mon "beau" légionnaire (The Last Remake of Beau Geste), de et avec Marty Feldman, l'un des acteurs comiques de la troupe de Mel Brooks. Aucun de ces nouvelles versions ne parvient toutefois à faire oublier les précédentes.
De même, le nouveau film des studios Walt Disney Les Aventures de Bernard et Bianca (The Rescuers) paraît bien pâle comparé à l'invention et au charme de Bambi ou d'Alice au pays des merveilles.
Curieusement, le film qu'Ingmar Begman nous offre chaque année a cette fois-i été un film américain, L'Oeuf du Serpent (The Serpent's Egg) avec David Carradine et Liv Ullman. Bergman nous plonge d'un coup dans l'Allemagne du pré-nazisme avec son chômage, ses médecins inquiétants et ses cabarets de débauche. Moins personnel peut-être que ses précédents films, L'Oeuf du Serpent fait songer tout à la fois à certains films de Federico Fellini, à Cabaret de Bob Fosse et au cycle Mabuse de Fritz Lang. C'est une oeuvre prophétique et angoissante dans laquelle on sent l'Allemagne basculer graduellement dans la folie hitlérienne;
Oscar du meilleur documentaire, Harlan County USA, de Barbara Kopple, retrace avec passion un mouvement de grève féminin et pose avec intelligence et courage les problèmes des ouvriers, du patronat américain et du "grand syndicalisme".
Terminons ce bref panorama de la production américaine par une surprise: l'un des films américains qui a obtenu les meilleures recettes en France, Lâche-moi les baskets (The Pom-Pom Girls), est passé presque inaperçu dans son propre pays...
Patrick Brion, Le Cinéma en 1977, in Panorama Mondial des Evènements 1977, publié en 1978.